Madeleine Gorge que l'on croyait décédée était employée aux questions juives. Sud-Ouest l'a retrouvée et le Parquet a réclamé son témoignage. (Crédit Daniel)
Maurice Papon affirme que le service des questions juives a permis "au moins 150 exemptions et libérations de juifs"
Compte rendu d'audience Claude GARNIER
Lundi 16 février. Soixante-huitième journée d'audience. L'audience s'ouvre par une information qui provoque quelques frissons. L'un des témoins cité par les parties civiles, le magistrat allemand Rolf Holfort, qui avait engagé des poursuites contre les nazis, a reçu à son hôtel à Bordeaux le matin même des menaces de mort agencées avec des lettres d'imprimerie glissées sous la porte de sa chambre. " Vichy est en vie. Vous parlez, la mort. " C'est l'avocat général Marc Robert qui donne ces précisions. " M. Holfort a été très affecté, il s'est placé sous la protection de la justice française et il a repris l'avion pour son pays " indique M. Robert qui fait part de son " indignation ". Un sentiment partagé par Arno Klarsfeld qui l'avait fait citer et par Me Varaut, le défenseur de Maurice Papon pour qui ces menaces " répugnantes " ne méritent que mépris. Il sera donc passé outre à l'audition du témoin comme à celles d'Elie Wiesel et de Simone Lagrange.
Le président Castagnède donne ensuite la parole à Me Varaut qui verse aux débats une pièce du 2 juillet 1942 relative à l'arrestation pour des " menées anti-allemandes " et à la détention du Dr Schinazzi au camp d'internement de Merignac. " Le fait qu'il y ait eu un ordre allemand d'arrestation n'enlève rien à la responsabilité des autorités françaises " estime Me Levy. " Elle n'ajoute rien à votre thèse et beaucoup à la nôtre " ajoute Me Boulanger, soulignant que ce sont " des gendarmes français " qui se sont chargés de la besogne. Comme son avocat, Maurice Papon demande qu'il soit constaté qu'à aucun moment on ne trouve sa signature mêlée à cette arrestation. L'accusé se lance alors dans un long monologue tendant à démontrer que, " pris entre des SS virulents et les collabos de la SEC " (police des questions juives) le service des questions juives de la préfecture placé sous sa responsabilité (par l'entremise de Pierre Garat) a multiplié les interventions destinées à sauver des juifs. Pour lui, le bilan est d'" au moins 150 personnes libérées ou exemptées des convois " entre 1942 et 1944.
Maurice Papon détaille les rafles et les convois en s'appuyant sur des notes écrites, assurant que ce service a accordé " 1 181 dérogations au port de l'étoile jaune ", ce qui donnait " une chance supplémentaire aux Juifs d'échapper aux Allemands ", et qu'il avait procédé à 130 radiations sur les listes. " Cela montre que le service des questions juives n'était pas le maître d'oeuvre des convois et que, quand il était privé de sa marge d'action, alors la machine nazie fonctionnait à 100 %. " L'accusé indique également, et ce pour la première fois, que certaines de ces radiations étaient " clandestines et donc risquées " car le SQJ les aurait faites sans l'accord des Allemands, ni de la police anti-juive, normalement compétente sur cette question. Papon situe ces " radiations clandestines " fin 1943, début 1944. Il indique que le SQJ a prévenu des familles juives " des opérations projetées contre eux " par l'occupant et que des dénonciations anonymes parvenues au service ont été " détruites ". Quant au " zèle " qu'on lui prête (dans la mise en oeuvre de la collaboration avec l'Allemagne), lui prétend l'avoir seulement exercé " en faveur des malheureuses victimes ".
Après ce plaidoyer pro domo, Maurice Papon réitère ses griefs contre l'arrêt de renvoi qui, au terme de l'examen des faits, se révèle être " un panier percé dans lequel il ne reste plus que des épluchures. " La formule fait mouche.
Se présente alors à la barre Juliette Benzazon, partie civile pour Gaston Benaïm, 22 ans, dont les parents et les deux soeurs ont été déportés. " On m'a dit que des Croix de feu l'avaient dénoncé " rapporte cette femme éprouvée, mère de six enfants et grand-mère de quatorze petits-enfants, qui réclame simplement que " justice soit faite ". " Nous, les victimes, nous n'avons pas de grands mots à faire valoir. Nous avons nos morts derrière nous. " Elle ne peut s'empêcher d'exhaler sa colère en songeant que Maurice Papon a poursuivi pour " dénonciations calomnieuses " certaines parties civiles dont plusieurs sont morts inculpés. Le monde à l'envers. " Ne me parlez pas de compassion. On ne peut dire cela quand on a envoyé 1600 juifs dans les camps " renvoie Juliette Benzazon à Papon qui demande comment elle a été " dirigée " vers lui. " Bon, le dialogue s'égare, cessons ce jeu de société " marmonne l'accusé, surpris par la vigueur de la réplique.
Longue et émouvante déposition que celle qui suit. Claude Michel Léon, 70 ans, est partie civile pour Noémie Léon, déportée à 79 ans. " Elle a probablement été gazée à son arrivée à Auschwitz. " " Il y a deux ans j'y suis allé avec ma femme. Et là, sur le quai, face aux baraquements, j'ai pleuré. Ce jour-là, j'ai vraiment enterré ma grand-mère. " " Le crime contre l'Humanité pour moi commence quand des fonctionnaires ont accepté de mettre le doigt dans l'engrenage de la machine de guerre allemande " a encore ajouté M. Léon, partagé entre une ascendance allemande et protestante par sa mère, israélite de souche portugaise par son père.
Dernière audition, celle de Madeleine Gorge, 80 ans, ancienne rédactrice du Service des questions juives entre 1941 et septembre 1943. Elle ne se souvient pratiquement de rien. Tout passait par Garat, les employés étaient tenus à l'écart de ses conciliabules avec les visiteurs. " On se demandait parfois à quoi on servait. " " On faisait des lettres, voilà tout ! " Même l'avocat général n'en tira rien malgré ses efforts. " J'avais la musique pour me consoler " dit-elle. La musique et le théâtre pour " oublier " ce qui se tramait dans l'officine ?
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