La fin des débats - 05/03/1998

La cour d'assises a clôturé les débats. Le procès reprend lundi matin avec les plaidoiries. Le verdict est attendu dans deux semaines et demi

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Jeudi 5 mars. Quatre vingtième journée d'audience. Me Varaut se lève. Solennel. " Maurice Papon, indique son avocat, se trouve dans la nécessité de déposer entre les mains du procureur général qui y donnera les suites nécessaires, une plainte sur le fondement de l'article 434-16 du code pénal qui prévoit et réprime la pression sur la justice ".
Cette annonce ne surprend qu'à moitié. Depuis la révélation par Me Arno Klarsfeld d'un lien de parenté éloigné entre le président Castagnède et des victimes du convoi de décembre 1943, et malgré les promesses de Me Varaut de ne jamais utiliser cet argument comme motif de cassation, tout le monde s'attendait plus ou moins à ce que l'avocat en fasse état, dans le prétoire, avant la fin des débats.
" J'avais pensé que notre confrère Serge Klarsfeld, président de l'association des fils et filles de déportés juifs, qui avait demandé de prendre la parole avec les associations, serait présent. Mon intention était alors de lui demander s'il retirait ce qu'il avait dit et s'il respecterait la décision de la cour, quelle qu'elle soit " justifie Me Varaut qui dénonce cette " tentative de pression sans précédent sur la justice destinée à ce que la cour homologue une condamnation publique prononcée par cette partie civile qui agit sur le terrain du combat ".
Surpris que cette intervention ait lieu à la barre alors que les propos de Mes Arno et Serge Klarsfeld ont toujours été tenus en dehors de l'audience, le procureur Général Henri Desclaux se demande " s'il s'agit d'un moyen pour donner une publicité maximale à ce que Me Varaut estime être une pression sur la justice, s'il s'agit de laisser entendre à la cour et aux jurés que s'ils condamnent Maurice Papon, ils céderaient aux pressions, ou s'il ne s'agit pas là d'une nouvelle forme de pression qui, paradoxalement, ressemble à celle que dénonce l'avocat ".

"Un subterfuge"

Le Procureur Général indique que depuis le début du procès, le 8 octobre dernier, il a " exercé pleinement et sobrement ses responsabilités et donné régulièrement des instructions nécessaires aux enquêtes relatives à diverses infractions ". On sait d'ailleurs qu'à la suite d'une saisine du parquet général de Bordeaux, le conseil de l'ordre du barreau de Paris a décidé la semaine dernière d'engager des poursuites disciplinaires contre Arno et Serge Klarsfeld.
Ni Arno Klarsfeld, ni sa jeune soeur Lida, ne sont présents sur les bancs des parties civiles. Me Weltzer prend la défense de ses confrères : " On cherche un effet d'audience sur la même ligne que ce qu'on reproche à des faits passés en dehors de l'audience ". " Ne pensez pas à des pressions que vous n'avez pas vécues " met également en garde Me Jacob, alors que Me Blet ajoute : " Me Varaut est maître en ce qui concerne le subterfuge ".
Le président ne dit rien. Il appelle à la barre les présidents d'associations qui se sont constituées parties civiles.
L'avocat Henri Leclerc, président de la Ligue des droits de l'homme, a momentanément quitté les assises de Versailles (où il défend le jeune Alexi) pour la cour de Bordeaux. " Vous avez à juger des actes de barbarie qui méconnaissent et méprisent les droits de l'homme. Si nous oublions de défendre les droits de l'homme, nous ouvrons la voie à la barbarie " déclare Me Leclerc qui rappelle que la justice pénale " remplit aussi une fonction d'exemple. La justice rendue 50 ans après est importante. Il faut, partout dans le Monde, montrer que la France a eu le courage, malgré les tergiversations et les erreurs, d'accomplir un acte pareil ".
" Vous dites que s'il est coupable, il faut le condamner. S'il est innocent, il faut l'acquitter? " demande Me Varaut à son confrère. " Bien sûr " convient Me Leclerc. " Merci, merci, merci " s'exclame Me Varaut. Me Leclerc, excédé, précise : " En ne vous disant pas ma conviction, je faisais preuve à l'égard de la défense d'une grande indulgence ".
Germaine Bonnafon, 76 ans, présidente de la délégation girondine de la FNDIRP (fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes), a été déportée à Ravensbruck. Elle parle longuement de la résistance dans l'imprimerie clandestine de son père, fusillé à Souges, le 21 septembre 1942. Elle rappelle aussi les buts de la Fédération " d'exercer la solidarité entre les survivants et les familles " et livre aux jurés son sentiment sur le verdict qui " doit rester dans l'histoire, pour vous et vos enfants ".
Les propos de Richard Sebban, 59 ans, président de Maccaby-Inter, sont plus virulents. Il interpelle même directement l'accusé sur " sa définition du juif " et son accusation de " complot ". Il n'accepte pas non plus que " Maurice Papon s'adresse aux gens de façon arrogante, autoritaire et méprisante ".
Le rabbin Marcel Sturdze, 85 ans, président de l'association nationale des déportés et internés juifs, torturé par Klaus Barbie à Lyon et déporté à Auschwitz, aurait pu être partie civile pour son jeune frère Samuel, arrêté à la frontière espagnole, détenu au camp de Mérignac et déporté de Bordeaux en juin 1943 : " Mais, dans sa modestie, il n'aurait pas apprécié que je le représente ".
Son témoignage rappelle l'horreur de la déportation, les atrocités des camps de la mort et le sort tragique des Juifs " arrêtés avec la complicité des hautes autorités françaises, des préfets, des secrétaires généraux qui sont responsables de leur mort, de leur martyrologue ".
A un juré qui, au procès Barbie, lui demandait s'il était capable de pardonner, il avait répondu : " Seuls, ceux qui ne sont pas rentrés pourraient pardonner. Si j'exprimais un seul mot, ce serait la pitié ". " Les criminels et leurs complices doivent être dénoncés uniquement pour que demain les choses ne se reproduisent plus. A travers votre décision, nous devons comprendre que notre obligation à tous est de lutter pour que ces crimes ne se reproduisent jamais " conclut le rabbin.
Le président rend ses derniers arrêts. Il estime, notamment, qu'il n'est pas en son pouvoir de saisir les carnets intimes de Maurice Papon, comme l'avait demandé Me Blet la veille. Les débats sont terminés.
Le procès reprend lundi à 9 h 30 avec la plaidoirie de Me Gérard Boulanger, le premier des 24 avocats des parties civiles.


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