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Le président Jean-Louis Castagnède (Crédit Sud-Ouest)

L'homme fort du procès - 06/04/1998

Le président Jean-Louis Castagnède a véritablement dominé les débats

Bernadette DUBOURG

Le procès Papon aura permis à Jean-Louis Castagnède de donner la pleine mesure de ses compétences et de le confirmer comme un magistrat apte à affronter les tempêtes, maîtriser les tensions, tempérer les ardeurs des uns comme les excès des autres, et permettre que le procès aille à son terme. Malgré les difficultés qui n'ont cessé de l'assombrir, et parfois même le menacer.
Ce magistrat qui a fêté ses 53 ans pendant le procès n'a pas eu la tâche facile.
Dès le début du procès, il a dû affronter les conséquences de la mise en liberté de Maurice Papon, certes décidée par la cour, c'est-à-dire les trois magistrats professionnels, mais immédiatement focalisée sur sa seule personne. Très vite, aussi, il a dû supporter les impertinences, insolences et humeurs d'Arno Klarsfeld. Jusqu'à la " révélation " du jeune avocat des parties civiles d'un lien de parenté entre le président et une victime du convoi de décembre 1943. Si cette information, qui s'est rapidement transformée en mise en cause de son indépendance, n'a jamais été réellement abordée en audience, si le président a parfois répété que ce qui se disait en dehors du prétoire lui était étranger et s'il a fait mine de les ignorer, ces propos et leur cortège de commentaires ont dû blesser l'homme et affecter le magistrat.

Discret et secret

D'autant que Jean-Louis Castagnède, bien avant le procès, a tout fait pour ne jamais prêter le flanc à la critique. Enfermé dans un bureau sans téléphone du moins sans qu'on puisse l'y joindre dès que le dossier Papon lui a été confié, il a toujours refusé de rencontrer le moindre journaliste, fuyant aussi ceux qu'il côtoyait même rarement auparavant, échappant également à l'objectif des photographes, sauf aux premières minutes du procès, ou lorsqu'il était surpris en quittant le palais de justice.
Homme discret, presque secret, refusant d'ailleurs de se justifier sur ce fameux lien de parenté, sauf à démentir par parquet général interposé qu'il en ait connu l'existence, Jean- Louis Castagnède a aussi montré pendant le procès qu'il était un magistrat rigoureux, respectueux de la procédure jusqu'à en paraître obsédé : " La loi, c'est la seule chose à laquelle j'ai des comptes à rendre "; " Laissez-moi remplir mon rôle légal "; ou encore " Je fais ce que je peux mais, tant bien que mal, je parviens à un certain résultat ", a-t-il souvent répété.
Soucieux d'équité envers les divers intervenants, il n'a pas hésité non plus à reprendre les uns : " Je n'aurais pas posé cette question car l'action de M. Amouroux n'est pas dans le débat ", a-t-il sèchement répliqué à Me Moulin-Boudard qui interrogeait Robert Paxton sur les activités de l'ancien journaliste de " la Petite Gironde ". Interrompre les autres : " Je ne suis pas le président d'une assemblée mais d'une audience "; " Vos commentaires, vous les ferez quand vous plaiderez "; " Faites abstraction des petites querelles de prétoire ". Les rappeler à l'ordre : " Je ne suis pas enclin à me laisser faire des reproches ", a-t-il dit à Me Klarsfeld. Puis lorsque le jeune avocat s'est excusé de lui avoir lancé à la figure : " Pour vous aussi, il y a des juifs intéressants. " " Il s'agit de paroles outrageusement inacceptables, vos regrets viennent à point. Je ne sais pas si je saurai toujours prendre sur moi ", a simplement commenté le président.
Jean-Louis Castagnède s'est parfois montré moqueur : " Je trouve paradoxal que des juristes demandent à un historien des leçons de droit. " Il n'a pas caché quelques impatiences : " Vous n'allez pas avoir une attitude capricieuse ", à Me Boulanger qui estimait ne pas avoir la parole aussi longtemps que certains confrères.
Il n'a pas non plus épargné Maurice Papon : " Je ne veux rien dire, je pose une question. Quand je veux dire quelque chose, vous savez, je le dis "; " Je vous laisserai le soin de ranger tous vos papiers, mais écoutez ce que je vous dis "; " Je voudrais que vous soyez attentif. " Même parfois sévèrement, comme lorsque l'accusé a quitté son box en plein réquisitoire du procureur général : " Si vous deviez réitérer votre attitude, j'en tirerais les conséquences d'un refus de comparaître. "
Il s'est aussi laissé aller à un sourire lorsque Marc-Olivier Baruch a dit à Me Klarsfeld : " Je ne comprends pas votre question. " Ou un trait d'humour : " Ce procès s'illustre par la variété des pièces versées "; " Je suis toujours étonné de voir arriver au compte-gouttes des documents qui m'auraient éclairé pour instruire ce débat. "
Il n'a pas non plus échappé aux lapsus qui ont émaillé les débats, appelant ainsi l'accusé Maurice Sabatier, ou le camp de Mérignac Beauséjour au lieu de Beaudésert.

"Le président"

Tout au plus a-t-il pu donner l'impression, aux tout premiers jours du procès, d'un léger flottement, le temps peut-être de trouver ses marques, apprécier ses interlocuteurs et mesurer ses marges de manoeuvre.
Mais, rapidement, chacun s'est accordé à reconnaître qu'il maîtrisait parfaitement " son " audience. Et surtout le dossier dont il connaissait la moindre date, le plus infime document, chaque nom des victimes, prenant même parfois en défaut les plus avertis ou informés de l'affaire.
La longueur du délibéré près de dix-neuf heures comme la rigueur du verdict rendu jeudi matin témoignent aussi du sérieux avec lequel le président, mais aussi les deux magistrats professionnels qui l'entouraient, Jean-Pierre Esperben et Irène Carbonnier, ont dû discuter avec les jurés avant que, tous ensemble, ils rendent leur décision.
Aujourd'hui, avec la fin du procès Papon, une page se tourne également pour lui. Ces prochaines semaines, il devrait retrouver la présidence de l'audience correctionnelle à la cour de Bordeaux et des dossiers plus " ordinaires ". A moins qu'il ne soit " appelé " à de nouvelles fonctions. Car Jean-Louis Castagnède restera, dans les annales, comme " le président " incontesté et incontestable du procès Papon. •


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