L'historien qui dévoila Vichy - 27/10/1997

En 1973, cet historien américain fut le premier à écrire la véritable histoire de Vichy

Dominique RICHARD

Si Vichy divise toujours les Français, il rassemble les historiens bien au-delà des mers. A la fin du mois de septembre, les plus réputés d'entre eux ont survolé l'Atlantique pour fêter le départ à la retraite de Robert Paxton. A 65 ans, l'universitaire américain est descendu de sa chaire entouré des meilleurs spécialistes de cette période.
Quelques jours plus tard, cette reconnaissance n'était pas de mise sur le plateau de télévision de " la Marche du siècle ". Venu en Concorde aux frais de la chaîne, Robert Paxton n'a eu droit qu'à quelques minutes d'antenne. Devant une parole qui lui était à ce point mesurée, on avait du mal à imaginer que ses travaux constituaient toujours une référence vingt-cinq ans après leur parution.
Les ouvrages ayant trait au dossier Papon encombrent les tables des libraires. Dès le lendemain du procès, ils passeront vraisemblablement à la trappe et disparaîtront des catalogues. " La France de Vichy " (1), de Paxton, leur survivra. La nouvelle mouture, à peine revue et corrigée, est disponible depuis la rentrée. Sans être un best-seller, elle rencontre un nouveau public.

Nouvelle vision

Au début des années 70, Robert Paxton avait pourtant eu du mal à trouver un éditeur. Les professionnels ne remettaient pas en cause la qualité du manuscrit, mais ils doutaient qu'il puisse intéresser des Français. Seul Le Seuil avait senti que le texte de l'universitaire était susceptible de recueillir une certaine audience.
Il survenait au moment où " le Chagrin et la Pitié ", le film d'Ophuls, levait enfin un coin du voile sur les années noires. Jusqu'alors, l'histoire de Vichy, telle qu'elle s'écrivait dans de nombreux ouvrages, s'appuyait sur une citation du Maréchal lors de son procès devant la Haute Cour : " J'ai été un bouclier pendant que de Gaulle a été une épée. " Cette image avait le don de souder une communauté nationale qui parvenait difficilement à refermer les plaies de la guerre civile.
Elle rassurait aussi le plus grand nombre : ceux qui ne s'étaient pas engagés et s'étaient progressivement ralliés à l'homme de Londres. Le rôle du méchant était dévolu à Pierre Laval, revenu aux affaires en 1942 et qui avait souhaité publiquement la victoire de l'Allemagne. Il incarnait la trahison, le Vichy du mal et de la honte que les ultras de la collaboration avait imposé au vieillard de l'hôtel du Parc.
Le peu d'intérêt manifesté par les universitaires français pour cette période n'était pas étranger à la persistance de cette vision. Le verrouillage des archives par les pouvoirs publics expliquait aussi cet aveuglement. La grande chance de Robert Paxton est d'avoir pu s'appuyer sur des documents allemands et américains jusqu'alors inexploités. Sans passion, mais avec méthode, il a passé Vichy au microscope. Sous sa focale est apparu un régime qui ne méritait pas l'absolution.
Il n'est pas le premier à démontrer que Pétain attire dans la cité thermale une coalition hétéroclite de gens qui ont des comptes à régler avec la démocratie, le mouvement social, les étrangers et la laïcité. Cette revanche des minorités, si elle s'accompagne d'odes à la tradition et aux valeurs éternelles, fait malgré tout la part belle aux experts, aux technocrates et aux hauts fonctionnaires. L'Europe, sous la domination de la croix gammée, se matérialise en France par une étrange alliance entre les grands corps de l'Etat et les milieux d'affaires.
La thèse du double jeu de Vichy n'a pas résisté à l'analyse de Paxton. L'universitaire américain a été le premier à décortiquer les efforts répétés du régime pour initier une politique de collaboration dont Hitler n'avait que faire. Loin de se décourager devant les rebuffades, les hommes de Vichy ont persisté dans cette voie suicidaire. En donnant des gages de plus en plus importants aux occupants, ils espéraient que la France pourrait prétendre à une place de choix dans l'ordre nouveau.
La répression sanglante des maquis, la spoliation des juifs et la participation de l'administration à la mise en oeuvre de la solution finale, la mise à contribution en 1944 de la moitié de la population active française pour soutenir l'effort de guerre nazi, le pillage des richesses nationales... Le prix à payer a été sans cesse plus élevé sans que la France de Vichy n'accroisse ses prérogatives. En voulant éviter le pire et sauver l'Etat, les hommes du Maréchal ont failli perdre la nation.
Les travaux de Paxton ont ouvert la voie à une nouvelle génération de chercheurs. Sa vision généraliste est aujourd'hui dépassée par la précision de certaines études et ses jugements ont été nuancés ou relativisés, notamment ceux ayant trait à l'antisémitisme des Français ou au peu d'importance de la Résistance. Mais l'architecture générale de son analyse demeure aujourd'hui une base incontournable pour qui veut appréhender cette période.
" Lorsqu'il fallut choisir entre deux solutions faire son travail, donc courir des risques moraux et abstraits, ou pratiquer la désobéissance civile, donc s'exposer à des dangers physiques immédiats , la plupart des Français ont poursuivi leur travail. L'auteur et les lecteurs de cet ouvrage, hélas, auraient peut-être été tentés d'en faire autant ", conclut honnêtement Paxton au terme de son livre.
Lundi, devant les jurés de la cour d'assises de la Gironde, d'une voix ferme mais d'un ton courtois, il viendra dire une nouvelle fois que le pays des droits de l'homme n'a pas à se glorifier d'avoir compté à un moment donné 40 millions de pétainistes. Le temps passe, mais il ne trouve pas d'excuse au régime de Vichy et aux fonctionnaires qui l'ont servi sans manifester d'état d'âme.
Le zèle déployé par les policiers français pour traquer les juifs l'étonnera toujours. Le dernier cas qu'il a pu trouver remonte à mars 1944. Cela se passait à... Bordeaux !

(1) " La France de Vichy ", de Robert Paxton, Editions du Seuil. L'ouvrage à prix modéré publié par la collection Points est introuvable. Une nouvelle édition revue et corrigé vient de sortir.


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