L'engrenage de la solution finale - 03/11/1997

L'historien Jean-Pierre Azéma a très bien expliqué hier comment les autorités de Vichy, après avoir promulgué une législation antisémite, ont été prises dans l'engrenage de la solution finale

Dominique RICHARD

Avec les historiens, on a parfois de mauvaises surprises. Brillants à l'écrit, ils leur arrive d'être confus à l'oral et de perdre au fil de leurs propos la logique de leur démonstration, le souci d'expliquer et la manière de mettre en perspective des événements qu'ils étudient pourtant depuis des décennies. Tel n'est pas le cas de Jean-Pierre Azéma. Lundi, il est resté à la barre pendant presque quatre heures sans que l'attention ne se relâche.
Agé de soixante ans, cet universitaire parisien est un généraliste de Vichy. Publié en 1 979, son ouvrage intitulé de Munich à la Libération demeure toujours un point de passage obligé pour qui veut embrasser cette période dans sa globalité. Ce professeur à la voix rocailleuse était tout indiqué pour expliquer aux jurés et à la cour dans quel contexte s'inscrivait la législation antisémite promulguée de 40 à 42.

Dans l'indifférence

Refus de l'individualisme, refus de l'intellectualisme, refus de l'industrialisation, refus de la liberté des moeurs... Les soubassements idéologiques de ce régime autoritaire né de la débâcle s'accompagne d'une mise à l'index des partisans supposés de l'anti-France. Apparu à la fin du XIXème siècle, un " nationalisme fermé " prend ses quartiers sur les bords de l'Allier.
Défaite oblige, l'Allemand, le traditionnel ennemi extérieur, passe au second plan. L'accent est mis sur les ennemis intérieurs. " Le communiste remplace le protestant aux cotés du franc-maçon, du métèque cher à Maurras et du juif d'autant plus dangereux qu'il prétend être assimilé alors qu'il ne peut pas l'être ",constate Jean-Pierre Azéma en reprenant l'argumentaire des antisémites.
Le statut des juifs, leur mise à l'index et leur recensement, l'internement des juifs étrangers en zone libre et la perte de citoyenneté des juifs d'Algérie qui interviennent courant octobre expriment la persistance d'un sentiment xénophobe à l'oeuvre dans l'hexagone depuis plusieurs dizaines d'années.
" Ce fut un apartheid à la française "observe l'historien en rappelant que ces mesures n'ont suscité aucune émotion au sein d'une population préoccupée par le sort des prisonniers et les problèmes de ravitaillement. D'éminents juristes comme le professeur Maurice Duverger les ont d'ailleurs commentées sans les condamner.
Pour éliminer politiquement, économiquement et socialement les juifs, les dirigeants de Vichy se sont largement inspirés des textes promulgués par les nazis dans les années trente. Mais ils ne souhaitaient pas la solution finale." L'exclusion, la ségrégation : oui. L'extermination : non. Pourtant, les ministres et les préfets vont devenir les complices avérés, patents de la déportation des juifs. " insiste Jean-Pierre Azéma.

"Des échappatoires"

Les responsables SS, Oberg, Knochen et Hagen, vont se jouer des autorités françaises pour parvenir à leurs fins. Depuis l'armistice, Hitler a laissé l'appareil administratif français en place, non pas dans l'idée d'associer un jour le pays à l'ordre allemand mais pour soulager le Reich d'un certain nombre de tâches.
Les différents gouvernements qui se sont succédés à Vichy n'ont eu de cesse de réclamer à l'Allemagne une véritable collaboration. En vain. Revenu aux affaires en 42, Pierre Laval soutient fermement cette politique. Il est partisan de faire des concessions pour pouvoir s'asseoir un jour à la table des vainqueurs. Il qualifie les juifs étrangers de " déchets " et insiste pour que les nazis emmène les enfants dans les convois.
Le 2 juillet 42, seul devant un aréopage de nazis, René Bousquet, le secrétaire général de la police, cède sur deux points essentiels : Il accepte de livrer les juifs étrangers et promet aux allemands que policiers et gendarmes français les arrêteront. " En contrepartie, il obtenait une autonomie totale de la police ", relève Jean-Pierre Azéma. Vichy venait de mettre le doigt dans l'engrenage.
Reprenant une formule de François Bloch-Lainé, auteur de Hauts fonctionnaire sous l'Occupation, Jean-Pierre Azéma estime qu'il existait toujours des échappatoires pour qui ne voulait pas aller contre sa conscience. Et de citer sans le nommer François Mitterrand qui eut l'intelligence en 43 de décliner une nomination avantageuse au Commissariat général aux questions juives. " Ce refus lui a permis ensuite de sauter le pas et de devenir un vichysto-résistant authentique. "


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