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Sylvain Molho: le témoin le plus important de l'après-midi. (Crédit Philippe Taris)

L'enfer de Drancy - 07/01/1998

Le témoignage d'Yves Jouffa sur les abominables conditions de vie au camp de Drancy avait été enregistré au procès Barbie à Lyon en 1987. Il a été diffusé hier à Bordeaux

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mercredi 7 janvier. Quarante deuxième journée d'audience. Les avocats des parties civiles interrogent encore Maurice Papon sur le convoi du 26 août 1942, le deuxième des huit qui lui sont reprochés et qui a conduit 444 déportés juifs à Drancy.
Très vite, l'accusé retrouve une certaine virulence. Ainsi, en conclusion de l'intervention de Me Alain Levy sur les ordres d'arrestation et d'internement de juifs que Maurice Papon est accusé d'avoir signés, il réplique : « Malheureusement (pour les parties civiles), ma culpabilité n'est pas établie, même par le document qui ferait foi, à savoir l'arrêt de renvoi ». Lorsque Me Raymond Blet évoque un courrier de la préfecture qui souhaite que la police « répare le plus vite possible un oubli », à savoir l'arrestation d'un couple de juifs, il explique : « Une lettre doit faire l'objet d'une analyse objective. Elle illustre le semblant et le vrai qui se cotoyaient dans la vie quotidienne. Certaines locutions étaient superfétatoires et confirment le caractère articificiel de ce courrier ».
Beaucoup de questions lui ont déjà été posées. Les débats deviennent confus. Le président Castagnède lui-même ne cache pas une certaine lassitude : « Il faut avancer. J'avais la prétention de finir (l'examen de ce convoi) demain (aujourd'hui jeudi). Ma conception des débats est extrèmement simple, qu'une décision intervienne dans les meilleurs délais. Si je n'obtiens rien, je reviendrai à une conception plus rigoureuse des débats, je poserai les questions moi même ».

Le procès Barbie

Me Boulanger qui parle du « fantôme de la préfecture » gène cependant l'accusé en l'interrogeant sur la « suggestion » faite aux autorités allemandes de libérer les enfants de moins de 21 ans. Maurice Papon flaire le piège sans le déceler et affirme que « c'est surement après une discussion avec Maurice Sabatier ». Jusqu'à présent, il avait pourtant présenté cette « suggestion« comme une initiative personnelle. Il se reprend : « Pourquoi en fait-il une mayonnaise? Je n'en sais rien ». Enfin, à Me Daigueperse qui défend l'honneur du grand rabbin Cohen et l'interroge également sur le sort des enfants, il lance : « Mon intellect est impuissant à répondre à la subtilité de cette question ». « Je ne sais pas ce qui se passe aujourd'hui, je ne comprends pas pourquoi tant d'orages » commente encore le président.
Après une première suspension, le président fait projeter sur les écrans géants de la salle d'audience, deux dépositions enregistrées au procès de Klaus Barbie, devant la cour d'assises de Lyon en mai et juin 1987.
Le témoignage d'André Frossard, aujourd'hui décédé, a été sollicité par la Licra pour « la définition que donnait cet écrivian du crime contre l'humanité ». Ce récit sur l'horreur de la baraque aux Juifs dans le Fort Montluc à Lyon où il est resté neuf mois, dérange un peu. Comme si le procès Barbie venait au secours du procès Papon. « Je ne vois pas le rapport entre ce beau témoignage et ce procès, le SS Barbie et le patriote et résistant Maurice Papon, je ne me sens aucune identité avec les propos tenus par Me Verges » commente Me Varaut après trois quart d'heure de projection.
« Ayant écouté la déposition de cet illustre français, je ne vois aucune espèce de rapport entre la condamnation morale qu'il fait et mon cas personnel, car je continue à ne pas comprendre pourquoi je suis ici » ajoute Maurice Papon.

Un bout de pain

Le témoignage d'Yves Jouffa, ancien président de la ligue des droits de l'homme, aujourd'hui malade, a une toute autre valeur. Tous les déportés de Bordeaux ont transité au camp de Drancy, à 15 kms de Paris, où l'ancien avocat est resté plusieurs mois et a « eu l'immense chance de ne pas aller au delà ».
Avec une rage contenue, il raconte le manque d'hygiène, le bout de pain et les deux sucres par jour, le froid dans ces bâtiments HLM inachevés, les enfants seuls et perdus, le premier convoi en mars 1942 et les volontaires qui voulaient échapper à « l'enfer de Drancy » et croyaient partir vers des camps de travail. « Mais lorsque nous avons vu partir des vieillards, des malades et des enfants, nous n'avions plus aucun doute, il était évident qu'ils ne partaient pas vers des camps de travail ». « Envoyer les gens à Drancy, c'était les envoyer à la mort » conclut-il.
« J'ignorais effectivement ce qu'était Drancy, à l'exemple des 90 autres secrétaires généraux en fonction en France » affirme Maurice Papon. « Il est difficile de poursuivre un débat juridique avec les vérités relatives de l'accusé » constate Me Tubiana, avocat de la ligue des droits de l'homme.
Après une seconde suspension d'audience, la cour entend Sylvain Molho, 71 ans, médecin en retraite à Paris. En août 1942, ce jeune garçon de 15 ans et son frère de 13 ans, David, ont été arrêtés par les gendarmes dans un hôtel de Saint-Sever avant de franchir la ligne de démarcation. Quinze jours plus tard, ils ont été transférés par des inspecteurs français au camp de Bacalan et ont été déportés le lendemain à Drancy où ils sont restés quelques jours avant d'être conduits à Pithiviers : « J'ai vu que le train partait vers l'ouest, je ne me suis pas inquiété. Je savais qu'à l'Est, c'était l'Allemagne ». Sylvain et son frère ont été libérés après une intervention de leur père. Cet homme qui s'excuse d'être ému après le témoignage d'Yves Jouffa, pleure encore au souvenir de sa mère qui s'est évanouie en le voyant.
Me Gérard Boulanger s'étonne que Pierre Garat qui accompagnait le convoi du 26 août à Drancy n'ait pas décrit à Maurice Papon les conditions de vie dans de camp. « Il n'était pas en charge d'une inspection » se défend maladroitement l'accusé. « Il suffisait de jeter un coup d'oeil dans la cour pour voir que ce n'était pas un endroit normal » se lève le témoin.
Aujourd'hui, jeudi, la cour entendra la défense et les premières parties civiles. L'audience reprend à 13 h 30.


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