Le grand rabbin Joseph Sitruk (Crédit Daniel)
Pour le grand rabbin de France Joseph Sitruk, le pardon commence par un aveu
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 3 février. Soixantième journée d'audience. Le grand rabbin de France Joseph Sitruk, barbe et cheveux blancs, sa kippa noire sur la tête, confie à la barre l'émotion qui l'étreint aujourd'hui : « J'ai le sentiment, la conviction même que 6 millions de victimes nous regardent et nous écoutent ».
En ce début d'audience, une salle attentive écoute le message du chef de la communauté juive de France, qu'il résume lui-même en trois mots : « Mémoire, vérité et avenir ». « J'ai la conviction que le pays tout entier comprend que son avenir est en train de se construire ici » poursuit le dignitaire religieux, soucieux de « dissiper l'inquiétude de voir rater cet enjeu ».
Les mots sont choisis mais le propos est clair. Son premier message est d'ailleurs pour la cour d'assises et son président : « J'ai pleine confiance dans votre objectivité et votre souci d'éclairer cette période avec courage et détermination ».
Après un historique du judaisme et de la communauté « mise à l'écart, humiliée et exterminée », le chef spirituel de la communauté parle des enfants qui sont morts « à cause d'hommes assez lâches pour accomplir cette sale besogne », des Juifs qui n'ont pas eu le temps de vivre et de mourir, de la « France qui a le courage de revenir sur son passé » et du « sens de la responsabilité qui doit guider le sens de la justice ».
« Ne pas avouer, c'est commettre l'infamie au delà de la mort » poursuit le grand rabbin de France, à l'adresse directe de l'accusé. Avant d'affirmer : « Pardonner d'un revers de manche est trop facile. Mais le pardon est nécessaire, à condition qu'il y ait un aveu, une reconnaissance de responsabilité ».
Maurice Papon écoute et ne dit rien. Seul Me Varaut souhaite que « ces paroles volent dans cette salle d'audience et au delà ». Durant une demi-heure, subjuguée par les propos fraternels et apaisants de Joseph Sitruk, la salle d'audience a retrouvé toute sa sérénité.
La cour finit ensuite d'évoquer la rafle et le convoi de décembre 1943 (1). Trois parties civiles sont concernées par ces faits. Simon Haddad a perdu son père Victor, 45 ans, et ses deux petites soeurs Monique, 3 ans, et Jeanine, 1 an. Il est présent depuis le début du procès, mais « son émotion est telle qu'il est incapable d'exprimer sa douleur ».
Juliette Benzazon est également partie civile pour les quatre enfants de son grand père, David Drai, 11 ans, Léon, 8 ans, Jacqueline, 5 ans, et Michel, 1 an, ainsi que pour Nouna Benaim, 49 ans, et ses deux filles, Georgettes, 16 ans, et Paulette, 13 ans, la mère et les deux soeurs de la tante (par alliance) du président Castagnède, comme l'a révélé la semaine dernière Me Arno Klarsfeld.
La déposition de Juliette Drai-Benzazon qui a déjà témoigné le 8 janvier dernier pour son grand père et son grand oncle, déportés en août 1942, est attendue avec impatience. Mais Me Touzet annonce que Mme Benzazon préfère s'exprimer sur le convoi de mai 1944, le dernier reproché à Maurice Papon, où elle également partie civile pour un autre membre de sa famille.
Il reste Moïse Schinazi, le fils du Dr Sabatino Schinazi, déporté en novembre 1943. Aujourd'hui, il évoque la mémoire de son frère, Daniel, déporté dans le convoi du 30 décembre 1943 et qui s'est évadé à l'arrivée du train à Paris.
Le procureur général s'étonne qu'au cours des neuf jours qui séparent la rafle du convoi, la préfecture ne soit pas intervenue pour sauver Daniel Schinazi qui, avec sa mère catholique et ses huits frères et soeurs, avait été radié du fichier juif en avril 1943. « J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer, répète l'accusé. Le convoi de décembre était de A à Z dans les mains des Allemands, les relations entre les autorités allemandes et la préfecture étaient tendues, tout effort aurait été vain ».
Me Varaut s'insurge qu'on revienne sur ce convoi. Le président qui a retrouvé toute son assurance, lance : « Les incidents, il y en a suffisamment ici sans qu'on en créé d'autres ».
Me Blet insiste sur la radiation de la famille Schinazi dont Maurice Papon ne sait pas s'il en fut l'initiateur ou simplement le gestionnaire. Ce simple aveu est la preuve pour Me Blet que ces dix radiations ne doivent rien à l'ancien secrétaire général de la préfecture qui les comptait pourtant parmi les 130 à son actif. « Je m'en remets aux experts, des gens sérieux et objectifs » se reprend Maurice Papon qui affirme alors qu'à cette époque, il était informé de l'évolution de la guerre : « Je tenais mes informations des réseaux Jade Amicol et Kleber ». « Ou vous saviez, ou vous ne saviez pas. Il faudrait choisir » relève Me Levy.
Pour minimiser son rôle à la préfecture, Maurice Papon assure alors que ses relations avec Maurice Sabatier avaient évolué : « Du bras droit, je suis devenu le bras gauche ». L'expression est séduisante mais Me Zaoui voudrait des exemples concrets. Maurice Papon qui « respecte les morts », refuse de révèler des élèments personnels. Me Zaoui rappelle cependant le rapport élogieux de Maurice Sabatier en 1944. « C'était un homme élégant » réplique Maurice Papon qui répète : « Je passais plus de temps au service des réseaux qu'au service de la préfecture, j'étais devenu un fonctionnaire peu laborieux, peu consciencieux ».
Pendant la suspension d'audience, Maurice Papon a réfléchi aux raisons de son éloignement du préfet Sabatier en cette fin 1943 : « Maurice Sabatier et moi avions certes le même ennemi, c'est à dire l'Allemand, mais peut-être était-il à mon goût trop légaliste et étais-je à son goût, trop rebelle ».
Aujourd'hui, la cour commence à examiner la rafle du 10 janvier et le convoi du 12 janvier 1944, les avants derniers faits reprochés à Maurice Papon.
L'audience reprend à 13 h 30.
(1) Lundi, plusieurs témoins ont parlé de la zone libre sans que personne ne leur fasse remarquer qu'en décembre 1943, elle n'existait plus depuis le 11 novembre 1942.
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