L'amertume de Michel Bergès - 06/04/1998

L'historien avait découvert les pièces qui furent à l'origine de l'incrimination de Maurice Papon. Aujourd'hui il s'en veut un peu

Propos recueillis par Dominique DE LAAGE et Dominique RICHARD

L'historien bordelais Michel Bergès avait contribué à armer le bras des parties civiles au début des années 80 en exhumant les archives qui allaient déclencher l'affaire. " J'avais cru que ceux qui avaient jugé Maurice Papon à la Libération n'avaient pas tous les documents en main. C'était un faux raisonnement ", confesse l'universitaire, aujourd'hui âgé de 45 ans.
Au fond de lui-même, il s'en veut sans doute un peu d'avoir été à l'origine d'une procédure qu'il critique toujours avec autant de virulence. " On n'a pas le droit de défendre une noble cause avec des moyens de pouvoir, des moyens frauduleux, des déformations, des anachronismes, des choses contraires au droit et aux valeurs de la République. "
Il l'avoue sans détour. S'il avait été juré, en son âme et conscience, il aurait voté l'acquittement. La décision a été autre. Mais il n'est pas étranger au fait que la complicité d'assassinat n'ait pas été retenue et que la réclusion criminelle à perpétuité n'ait pas été prononcée à l'encontre de Maurice Papon. Tout au long de sa plaidoirie, Me Varaut s'est fréquemment appuyé sur ses thèses pour essayer de sauver l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde.
" C'est la France d'aujourd'hui qui s'est jugée elle-même à travers ce procès ", insiste Michel Bergès. " Et Maurice Papon lui a servi de victime expiatoire. Lorsqu'ils affrètent des charters ou expulsent en force des réfugiés des églises, nos policiers contemporains le font à contre-coeur, mais ils le font quand même. Car c'est le devoir et l'honneur des fonctionnaires d'obéir. Et la logique de la "désobéissance", au coeur du procès Papon, n'existe pas davantage aujourd'hui que sous l'Occupation. Sauf que sous l'Occupation, il y avait les Allemands ! "
" Nous sommes moins exigeants vis-à-vis de nous-mêmes que pour des hommes qui étaient placés dans une situation autrement incertaine que la nôtre ", poursuit l'historien. " C'est une lâcheté suprême. Nous nous sommes projetés avec nos angoisses, nos grilles judiciaires, notre manichéisme politique d'aujourd'hui sur des hommes d'une autre époque. On ne peut pas dissoudre les hommes d'alors avec nos représentations à nous.
" Les fonctionnaires humiliés de l'Occupation furent plus héroïques en demeurant à leur poste qu'en bouclant leurs valises pour l'Afrique du Nord ou l'Angleterre. Notre vision actuelle est déformée par une réécriture hollywoodienne de l'Histoire où ne subsistent que des héros, du type des saboteurs de la Résistance. Mais dans la Résistance aussi, il fallait se salir les mains ! Il fallait tuer des camarades qui avaient trahi sous la torture ! Il fallait tuer des Allemands en sachant que cela serait suivi d'exécutions d'otages innocents. C'est cela, la responsabilité. On ne peut pas l'arrêter uniquement à ceux qui ont été contraints d'arrêter les juifs ! ", insiste l'universitaire bordelais.
Selon lui, justice et histoire peuvent coïncider à condition que les archives soient analysées complètement et sérieusement. " Cela n'a pas été le cas à Bordeaux. Une bonne enquête, une bonne instruction, moderne et objective, auraient permis d'éviter l'intervention des historiens dans le procès. En revanche, histoire et mémoire sont incompatibles. On ne peut pas tomber dans une vision larmoyante de l'Histoire. La mémoire est une anti-histoire et l'histoire une anti-mémoire. "


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