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Henri Desclaux, procureur général, a longuement interrogé l'accusé. (Crédit Sud-Ouest)

L'accusé est redevenu combatif - 05/12/1997

Maurice Papon s'est âprement défendu face au procureur général Henri Desclaux qui l'a longuement interrogé sur la responsabilité du service des questions juives dans le fichage et l'arrestation des Juifs

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Vendredi 5 décembre. Vingt septième journée d'audience. Le président, dont on pensait la veille qu'il avait fini d'interroger l'accusé, a de nouvelles questions à lui poser. Il évoque notamment une déclaration de Jacques Dubarry, successeur de Pierre Garat à la tête du service des questions juives de la Préfecture, qui indique que " le service a pris des arrêtés pour interner des Juifs ". " C'est un abus manifeste de formule. Le bureau n'a pas eu l'initiative de l'opération. Comme chaque fois, le bureau a suivi une décision du préfet " réplique Maurice Papon qui demeure assis dans son fauteuil.
Il s'énerve même lorsque le président revient sur ses pouvoirs de police : " On persiste à tenir comme un postulat définitif que le secrétaire général avait des attributions de police. Je suis désolé de revenir pour la énième fois sur le sujet, mais les pouvoirs de police n'appartenaient pas, même par délégation, au secrétaire général. Faut-il le répéter 100 fois pour que ca devienne vérité? Je pensais naïvement que la question était réglée une fois pour toutes ".

"Lui, c'est lui"

C'est - enfin - au tour du procureur général Henri Desclaux d'interroger l'accusé sur son rôle et son autorité sur le service des questions juives.
Au départ, il s'agit presque d'une conversation de salon. Maurice Papon, selon les cas, approuve, précise ou rectifie les affirmations du procureur général. Il campe de toute manière sur ses positions et se retranche derrière l'autorité du préfet régional Maurice Sabatier : " Il n'y a pas d'osmose entre le préfet régional et le secrétaire général. Je révoque ce terme qu'on me prête abusivement. La décision du préfet, c'est la décision du préfet, même si le secrétaire général est d'accord. Si le secrétaire général n'est pas d'accord, ça n'a pas d'importance, c'est le préfet qui commande. Lui, c'est lui, et moi, c'est moi. Voila une réalité que je voulais préciser, j'ai pourtant conscience d'employer le français pour m'exprimer ".
Très vite, cependant, le procureur général cite des exemples précis du " zèle " avec lequel le service des questions juives a répondu aux injonctions des autorités allemandes. Maurice Papon se lève, manifestement décidé à se battre.
Il y a d'abord cette note du 13 juillet 1942 sur l'arrestation d'un Juif " à la demande du service des questions juives ". " Si c'est une initiative, je la condamne... C'est peut-être une exception. Il faudrait voir si la pratique a changé par la suite " hésite Maurice Papon. Murmure de désapprobation dans la salle d'audience.
Il y a aussi cette lettre du 20 octobre 1942 pour convoquer à la préfecture M. Lendler qui n'a pas de timbre juif sur sa carte d'identité et ne porte pas l'étoile jaune. " Ce document a été manipulé. Il ne répond pas à une règle d'intégrité de notre déontologie à tous " s'énerve encore l'accusé.
Henri Desclaux s'étonne également de l'absence d'intervention " humanitaire " de Maurice Papon pour favoriser le retour de Victor Haddad en Tunisie. " Je le dis, je le répète et je le répéterai jusqu'à mon dernier souffle, un papier c'est un papier, il ne reconstitue jamais l'ambiance, l'atmosphère dramatique de ce qui se passait ". Victor Haddad et ses deux filles, Monique, 3 ans, et Jeanine, 18 mois, ont été arrêtés et déportés en décembre 1943. Leur fils et frère, Simon, est partie civile.

"Les boches"

Au terme de deux heures et demi d'interrogatoire, le président suspend l'audience. Maurice Papon reste dans le box. Il classe des documents puis s'appuie contre le dossier du fauteuil et observe les parties civiles qui discutent à quelques mètres de lui.
A la reprise, le procureur général aborde la préparation des listes et leur communication aux autorités allemandes. " Ces listes, les Allemands les possédaient déjà " réplique Maurice Papon. " Alors, pourquoi les demander ? " interroge Henri Desclaux. " Vous savez bien qu'il y a aussi des refus de la Préfecture de les fournir aux Allemands. Et puis, elles n'ont jamais été remises spontanément " persiste l'accusé.
Il est 17 h 30. Me Varaut se lève : " A la voix de Maurice Papon et à ses réponses, on voit bien qu'il n'est pas en mesure de poursuivre l'audience. Il n'est plus en pleine possession de ses moyens ". " Ma volonté prévaut sur mon état " assure pourtant l'accusé dont l'attention semble ne pas se relâcher. Le président décide de poursuivre l'audience et le procureur général promet de resserrer ses questions.
Henri Desclaux évoque alors, avec autant de fermeté, l'organisation des rafles. " Il appartenait à l'Intendant de police d'organiser un plan d'opération. Le Bureau des questions juives n'y participait pas. Garat suivait les opérations, non point comme participant, mais comme observateur pour intervenir et exonérer des hommes et des femmes des rafles " répond Maurice Papon.
" N'aidait-il pas les Allemands ? ". " Si les services français ne l'avaient pas fait, les Allemands s'en seraient passé et l'auraient fait eux-mêmes avec brutalité ".
" Garat vous rendait-il compte des opérations ? ". " J'en référais d'abord au préfet régional ".
" Garat appliquait-il conformément vos instructions ? ". " A peu près. On était en temps de guerre ".
" Quand vous vous adressiez au gouvernement de Vichy, c'était pour obtenir le feu vert à des opérations déjà entreprises ". " On gagnait du temps, c'était notre tactique " répond Maurice Papon qui hurle presque : " Nous disions aux Bôches : j'ai saisi mon gouvernement, j'attends la réponse. On se battait sans armes, il fallait inventer des tactiques. J'ai une certaine amertume à me retrouver ici aujourd'hui, pour ne pas dire davantage ". Il est tard. Les avocats des parties civiles interrogeront l'accusé la semaine prochaine.
L'audience reprend lundi à 13 h 30.


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