L'accusé "attend des preuves" - 23/12/1997

Au terme de deux jours d'interrogatoire par le président, Maurice Papon persiste à nier toute responsabilité dans le convoi du 26 août 1942 qui a conduit 444 déportés juifs à Drancy puis Auschwitz

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mardi 23 décembre. Trente neuvième journée d'audience. Comme il le fait parfois en début d'audience, Maurice Papon revient sur ses déclarations de la veille qui, selon lui, ont été marquées par « des faiblesses physiques ».
« Ce n'est pas que j'ai beaucoup de choses à dire mais étant le seul survivant de l'équipe préfectorale, je me dois de répondre à ce titre » assure-t-il, avant de limiter sa responsabilité : « J'ai été informé par Garat de l'injonction allemande de reprendre les enfants qui avaient échappé au départ le 18 juillet 1942; J'ai signé le 22 août une lettre pour entretenir le gouvernement français et essayer d'avoir quelques secours de son côté; J'ai reçu (le 24), en l'absence de M. Chapel, la fameuse communication téléphonique du chef de cabinet de Leguay que j'ai traduite et transmise au préfet Sabatier; M. Sabatier, à ce moment-là, a demandé à Garat de prévenir le grand Rabbin Cohen et l'UGIF du changement radical de position des SS, pour mettre les enfants à l'abri et prévenir les familles d'accueil de la menace allemande ».
« Ma seule intervention dans ce domaine, en dehors de la lettre du 22 août, persiste Maurice Papon, fut de demander le 8 août aux Allemands la libération des enfants de moins de 21 ans. Intervention parfaitement vaine comme vous le savez ».
« Vous ne donnez pas davantage de précisions sur le processus qui a conduit ces familles à se démettre des enfants » observe le président qui poursuit, alors, alors l'interrogatoire de l'accusé sur la formation du (deuxième) convoi du mercredi 26 août 1942.

60 gendarmes français

Il reprend très précisèment l'examen des faits au lundi 24 août 1942.
Ce jour-là, l'adjoint de l'Intendant de police désigne le commissaire Norbert Techoueyres pour escorter le convoi jusqu'à Drancy. Comme il l'avait d'ailleurs déjà fait en juillet.
Ce même jour, le préfet régional Maurice Sabatier réquisitionne six gendarmes pour surveiller le camp de Mérignac jusqu'au 26 août à 18 heures.
Par contre, une simple « note de service » indique que 60 gendarmes et un officier escorteront les déportés. « Les circonstances dans lesquelles on se mouvait à l'époque expliquent surement ce fait » répond, évasif, Maurice Papon. Le président ne cache pas son étonnement : « Je pense que quand la décision de récupérer les enfants a été connue, on a du en parler, discuter, échanger des informations, quelqu'un a du trancher. Il peut en rester des traces ».
Une autre note -« interne à l'Intendance de police », selon Maurice Papon- précise le départ du convoi, le 26 août à 20 h 20, et son arrivée au Bourget le lendemain à 8 heures du matin, d'où les déportés doivent être conduits à Drancy. Il est inscrit, à la fin, qu'il y aura « autant de policiers français que d'évasion ». « Celà témoigne de la continuité des injonctions allemandes » remarque Maurice Papon. « Les menaces ont-elles été mises à exécution ? » interroge le président. « Je n'en ai pas le souvenir » répond l'accusé. Une personne s'est, en effet, évadée du convoi.
Le 26 août, Maurice Papon écrit à Leguay que « les décisions de libération appartiennent aux autorités supérieures des SS à Paris » et auront lieu à Drancy. « On croyait que le gouvernement français allait obtenir là-bas ce qu'on n'arrivait pas à obtenir ici. Ce n'était ni un voeu pieu, ni une croyance absolue,mais une tentative de se battre sur un autre terrain, à un autre niveau » explique Maurice Papon.

« Un seul incident »

Pierre Garat qui accompagne également le convoi à Drancy, adresse un rapport circonstacié au préfet régional, « sous couvert du secrétaire général ».
le chef du service des questions juives de la préfecture de la Gironde relate un « seul incident », l'évasion d'Irma Reinsberg qui est hospitalisée à Orléans. Le préfet régional de Bordeaux réclame, par télégramme, à son homologue d'Orléans que cette dame soit, dès sa sortie de l'hôpital, conduite à Drancy. « On peut s'interroger sur les actions de sauvetage de la préfecture » s'étonne le président. « C'est un fait que cette volonté n'était pas également répartie » hasarde Maurice Papon. Cette dame s'est évadée de l'hôpital d'Orélans le 1 er novembre.
Toujours dans son compte rendu, Pierre Garat indique que trois trains de 1000 personnes doivent partir chaque semaine de Drancy. De fait, sur une liste projetée sur les trois écrans de la salle d'audience, on peut voir qu'entre le 22 juillet et le 31 août 1942, 15 convois ont été formés à Drancy et 15 000 juifs ont été déportés à Auschwitz.
Il indique encore que « le triage » des Français et des conjoints d'Aryens ne peut pas avoir lieu si les déportés arrivent à Drancy la veille d'un départ de convoi (les départs sont prévus les lundi, mercredi et jeudi), qu'il ne faut pas trop s'attarder sur les juifs étrangers sous peine de les voir remplacer par des français, et qu'enfin les juifs déportés le 18 juillet ne seront pas rapatriés. Et pour cause, ils ont déjà été exterminés à Auschwitz.
« Vos commentaires ? » interroge le président. « C'est un compte rendu qui ne laisse guère d'illusions sur l'intention coupable et sur leur entreprise criminelle » convient, d'une petite voix, Maurice Papon.
Le 27 août 1942, 444 déportés juifs (et non 443 comme sur le rapport de Garat), partis de Bordeaux la veille, arrivent à Drancy. Parmi ces 215 hommes et 230 femmes, il y a 13 enfants qui avaient été « sauvés » en juillet lors de l'arrestation de leurs parents, et confiés à des familles d'accueil, dont Nelly et Rachel Stopnicky, 5 et 2 ans, Jeanne et Henri Plevinski, 4 et 9 ans, Ida et Jacques Junger, 7 et 3 ans. Leurs familles se sont constituées parties civiles en leur nom.
« Vous êtes accusé de complicité d'arrestation (pour ces six enfants), de complicité de séquestration, d'assassinat et de tentative d'assassinat (sur Maurice Benifla et Jules Jacob) » résume le président.
« Je répudie naturellement toutes ces accusations et j'attends qu'on m'apporte les preuves de ma responsabilité » réplique Maurice Papon qui sera interrogé, à la reprise des débats, par le procureur général Henri Desclaux.
Le procès reprend le lundi 5 janvier 1998 à 13 h 30.


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