Jusqu'où doit on servir - 05/11/1997

L'historien Marc-Olivier Baruch a expliqué hier pendant plus de trois heures pourquoi Vichy fut une belle époque pour l'administration

Dominique RICHARD

Traduction d'une thèse de huit cents pages, le livre de Marc Olivier Baruch intitulé Servir l'Etat français a été publiée à point nommé. A la veille du procès de Maurice Papon, cette somme dont l'épaisseur peut décourager la curiosité, éclaire d'un jour nouveau ce que fut le fonctionnement de l'appareil administratif de Vichy.
Cet universitaire timide et parfois emprunté qui se méfie comme de la peste des bons mots et des formules à l'emporte pièce, a exploré en profondeur l'un des continent les plus méconnus de la Collaboration. Les enseignements retirés ne sont pas de ceux qui se résument en une note de service. Mais Marc-Olivier Baruch sait rendre audible la complexité de ce monde paperassier.
Dans l'air depuis le début du siècle, le premier statut des fonctionnaires est instauré par Vichy. L'avénement de l'administration s'effectue sur les décombres d'un système parlementaire jugé responsable de la défaite. Dans un pays traumatisé, la fonction publique se voit confier la défense des interêts de la nation.
Très attachés au maintien d'une souveraineté pourtant bien entamée, les différents gouvernements qui se succèdent à Vichy demandent à leurs subordonnés de faire la preuve de leur compétence et de leur dévouement. Pétain n'a t-il pas fait don de sa personne à la France ?

Des préfets choyés

Choyé par le régime, les préfet devient « le maréchal dans son département »observe Marc-Olivier Baruch. Il dirige des services sévérement épurés d'où ont été exclus les juifs, les francs maçons, les républicains et les communistes. Il est jugé sur sa capacité à maintenir l'ordre et à améliorer le ravitaillement.
La démocratie locale ayant été baîllonnée, le plus haut représentant de l'Etat joue un rôle politique en zone libre. En 41, le ministre de l'intérieur Pierre Pucheu lui demande d'ailleurs d'assurer un contact permanent entre le l'opinion et le pouvoir. L'époque n'est pas encore trop troublée. Nombre d'entre eux militent fermement pour la Révolution nationale.
« Le statut des juifs et les lois d'exclusion ont été jugées particulièrement interessants par les fonctionnaires. C'était un domaine nouveau. On s'est mis à faire du droit antisémite sans le discuter. Un peu plus tard, pas un préfet, pas un sous-préfet n'a démissionné au moment d'executer les rafles»constate Marc Olivier Baruch.
Selon l'historien, l'administration de Vichy est l'exemple même de la bureaucratisation et de la survalorisation de l'obeissance. Le verbe servir est omniprésent. Il subsiste en 42 lorsque Laval remplace les préfets réactionnaires de la première époque par des fonctionnaires dont le professionnalisme prime sur le maréchalisme.

Il existait des marges

Marc-Olivier Baruch ne le conteste pas. Les hommes qui ont prêté leur concours à la solution finale étaient sans doute moins antisémites que ceux qui s'étaient regroupés dès l'été 40 autour de Pétain dans la cité thermale. Mais ils se trouvaient comme anesthesiés, prisonniers d'une situation où se mêlait l'acceptation d'une contrainte exterieure et le besoin de mener une politique propre.
« Jusqu'ou servirs'interroge Marc Olivier Baruch ?Le poids des circonstances était d'une telle lourdeur que personne ne peut dire ce qu'il aurait fait. »Une minorité a résisté, d'autres se sont accommodés occassionnellement où volontairement pour des raisons de carrière, un tout petit nombre a collaboré sciemment avec les nazis.
« Un fonctionnaire doit une obeissance aveugle au maître de l'heure »affirmera le préfet de Clermont-Ferrand. Sentant le vent tourner, certains de ses collègues donneront des gages à la résistance. En 44 comme en 40, ils se proclameront patriotes. « René Bousquet, lors de son procès, justifiera la participation de la police française aux rafles. A l'entendre, Il luttait pour la souverainté du pays. »relève Marc-Olivier Baruch.
Quelques uns préféreront sacrifier leur position sociale plutôt que de cautionner l'inacceptable. Le préfet de la Meuse, celui de Marseille qui refusera de donner une liste d'otages, l'inspecteur général de l'académie de Paris qui ne voudra pas expliquer le statut des juifs dans les écoles, le chef de cabinet du Commissariat général aux questions juives qui incitera les responsables d'une association israelite à désobeir aux ordres...
« Ils n'ont pas eu de promotion mais ils n'ont pas été inquietés. Il existait bien des marges de manoeuvre »conclut Marc OlivierBaruch.


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