J'étais absent - 13/01/1998

La cour a fini d'évoquer hier le convoi de septembre 1942 et débute aujourd'hui la rafle et le convoi d'octobre 1942

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mardi 13 janvier. Quarante sixième journée d'audience. Pour la troisième journée consécutive, la cour examine le convoi du 21 septembre 1942 qui a conduit 71 juifs du camp de Mérignac à Drancy, et pour lequel Maurice Papon, absent de Bordeaux entre le 19 et le 28 septembre, nie toute responsabilité.
Les avocats des parties civiles essaient pourtant de démontrer le contraire. Ainsi Me Alain Levy (FNDIRP) affirme que Pierre Garat, chef du service des questions juives et subordonné du secrétaire général de la préfecture Maurice Papon, avait une « habilitation générale et une mission permanente ». Il reprend d'ailleurs les propres déclarations de Maurice Papon en novembre dernier : « J'étais responsable de Garat dans tous les sens du terme, Garat était loyal, n'aurait jamais trahi mes instructions, il était docile aux instructions données ».
Maurice Papon s'en défend : « Me Levy pratique lui aussi la confusion. L'instruction permanente à Pierre Garat, rapportée il y a quelques jours par un témoin, un témoin crédible (Mme Marie Bonnecaze), pour ramasser et courte qu'elle était, n'en était pas moins souveraine : « pas de zèle ».

« Infractions collectives »

« Ce n'est pas en répétant trois fois une erreur, comme on le connait en politique, qu'elle devient une vérité » martelle Maurice Papon lorsque Me Levy affirme qu'il avait une responsabilité sur le camp de Mérignac. Il menace même de ne plus répondre aux questions « puisqu'on ne tient pas compte de mes réponses. C'est comme si on sifflait dans la campagne sans autres auditeurs que les oiseaux. Ce n'est pas intellectuellement correct et c'est moralement méprisable ».
Me Levy précise qu'il n'y a pas, dans cette affaire, de responsabilité collective « mais des infractions collectives, commises par une chaine de personnes. Le plus tragique exemple est le crime contre l'humanité, il n'est jamais commis par une seule mais par plusieurs personnes dans le cadre d'un plan concerté ».
Les enfants de moins de deux ans, qui avaient été exemptés en juillet et août 1942, ont été versés au convoi de septembre. Me Klarsefld se demande si « Pierre Garat n'a pas essayé de les fouguer avec les parents ». « Il imite Me Levy. Il répète dix fois la même chose de manière à ce que ça entre dans les esprits, que ce soit vrai ou faux. Il est plus habile, dans une certaine manière, car il n'a pas l'air de le faire. Cet effet répétitif peut marquer les jurés » se défend Maurice Papon.
L'avocat provoque volontiers l'accusé, usant ironiquement du subjonctif dont Maurice Papon a une parfaite maitrise. Le président Jean-Louis Castagnède intervient vivement : « Celà commence à me fatiguer, surtout quand on fait rire le public. Je voudrais que l'on revienne au débat ». Il suspend l'audience.
A la reprise, Me Francis Vuillemin, l'un des trois avocats de Maurice Papon, veut rendre hommage aux 70 otages fusillés au camp de Souges par les Allemands, le 21 septembre 1942, le même jour que le convoi. L'occasion d'un nouvel et vif échange entre les avocats. Le président menace de suspendre l'audience et de réunir les avocats : « Ce n'est plus possible ».

Deux enfants

« Les interrogatoires inutiles menés depuis deux jours sont symptomatiques de l'équation : Papon égale Vichy » plaide alors Me Jean-Marc Varaut. Puis, au terme d'une dizaine de questions en forme d'affirmations auxquelles, comme d'habitude, Maurice Papon répond simplement par « oui », « absolument », ou « je confirme », Me Varaut rappelle avec beaucoup d'habileté les conclusions qu'avait formulées le procureur général dans son réquisitoire définitif en décembre 1995 : « Il n'est pas établi que Maurice Papon ait eu un rôle même indirect et minime dans les évènements tragiques du 21 septembre 1942 ».
Maurice Papon se lève et confirme : « Pour les convois de juillet et août, je n'ai pas manqué de souligner les lacunes, occultations, interprétations obliques et partis pris. Je constate que pour le convoi de septembre, les sommets sont vraiment atteints. J'étais absent mais on prétend réduire la portée de cette absence en créant du brouillard pour masquer la réalité ». Il dénonce « la volonté de le faire apparaitre, au mépris de la réalité, comme le maitre d'oeuvre des persécutions antisémites bordelaises. Mais ce fait est un exemple et même une preuve de l'acharnement dont je suis l'objet ».
Pour ce convoi, Maurice Papon est accusé d'une complité de séquestration et d'assassinat sur deux enfants, Arlette et André Stajner, 2 ans et 6 mois, arrêtés avec leur mère sur la ligne de démarcation à Mont de Marsan par les Allemands. En même temps que leur tante (la soeur de leur mère) Charlotte Gryff et leurs quatre cousins. Les deux pères, M. Stajner et M. Gryff, engagés dans l'armée française et démobilisés, les attendaient en zone libre.
M. Stajner s'est remarié en 1947 à Reims avec une dame qui avait elle même perdu son mari en déportation. Ils ont eu deux enfants dont Jeanine, une jeune femme de 44 ans qui s'est avancée hier à la barre en mémoire de son demi-frère et de sa demi-soeur qu'elle n'a pas connus mais dont son père parlait parfois : « Il n'a jamais pu faire le deuil. Quand des enfants revenaient, il avait toujours l'espoir... Jusqu'à sa mort en 1965 ». Les deux beaux-frères sont toujours restés en relation : « Parfois, ils s'absentaient dans une pièce au grenier avec leurs photos et leurs lettres ». La photo de Mme Stajner avec Arlette à ses côtés et le bébé André sur ses genoux est projetée dans la salle d'audience.
Aujourd'hui, la cour commence à évoquer la rafle et le (quatrième) convoi d'octobre 1942.
L'audience reprend à 13 h 30.


Retour

Copyright Sud Ouest. Pour tout usage lié à la reproduction de nos articles, merci de prendre contact avec Sud Ouest : doc@sudouest.com Tel : 05 56 00 35 84. 

Accueil | Le procès | Procédures | Les acteurs | Repères | Lexique | Forum

Copyright Sud Ouest 2006 - contact@sudouest.com