Le verdict vient d'être prononcé. (Crédit A.F.P.)
Pierre VEILLETET
On a tellement dit qu'il n'aurait pas lieu, ou qu'il serait interrompu, que le fait d'avoir mené à son terme le procès Papon est un motif de soulagement général. Les instigateurs de cette phénoménale bataille juridique peuvent légitimement y voir une victoire : un haut fonctionnaire de Vichy a été traîné en justice et condamné pour complicité de crimes contre l'humanité.
S'agit-il d'un dénouement ? On a éprouvé l'impression étrange qu'à peine le verdict prononcé, le procès reprenait. Ou continuait. Comme s'il ne pouvait plus s'arrêter. Les parties civiles réagissaient en fonction de leurs divisions antérieures, Me Varaut réentonnait sa plaidoirie et Maurice Papon regagnait silencieusement son domicile. Comme si rien ne s'était passé ? ? Bien sûr que non. Il s'est passé, il s'est dit infiniment de choses pendant ces six mois. Surtout la justice a été dite. Si le débat fait long feu, c'est pour au moins deux raisons. D'une part, on attendait peut-être trop l'équivalent politico-moral d'un nettoyage à grandes eaux, or l'Histoire ne se lave pas comme une maison. D'autre part, certaines parties civiles et l'accusé lui-même avaient fini par se rejoindre dans un désir d'alternative extrême : perpétuité ou acquittement. Le jury populaire a rendu un verdict qu'on peut indifféremment qualifier de " nuancé ", " mesuré ", " politique ", " contradictoire ", voire de " demi-jugement ". Au lieu de désigner le blanc ou le noir, il ramène à cette zone grise dont beaucoup espéraient que le procès allait nous débarrasser comme d'un mauvais rêve mais qui refuse d'être dissoute, sans doute parce qu'elle est la couleur même de ces temps-là. D'une certaine manière, les neuf jurés et les trois magistrats enfermés pendant dix-neuf heures ont poursuivi le débat qui les avait occupés, eux, durant six mois et la nation durant un demi-siècle pour ne trancher qu'à demi. Etymologiquement, un procès est un progrès. L'un et l'autre se sont produits, puisque la justice est passée. Juridiquement clos, le " procès Papon " n'en a cependant pas fini de se faire et de se refaire dans les consciences, car il y a acquis une dimension symbolique. Il est devenu la métaphore de la querelle inépuisable qu'un pays entretient avec son passé, c'est-à-dire avec soi-même.
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