Sous conduite policière, Jacques Delarue et André Gouron (Crédit Daniel)
Me Varaut a reproché au président d'avoir laissé Arno Klarsfeld diffamer un témoin de la défense
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 17 février. Soixante neuvième journée d'audience. Jacques Delarue, 78 ans, commissaire divisionnaire en retraite, et André Gouron, 67 ans, professeur de droit à l'université de Montpellier sont deux des trois auteurs (le préfet honoraire Roger Bellion est décédé) de l'expertise historique ordonnée en 1984 par le premier juge d'instruction de l'affaire Papon.
Cette expertise a été annulée en 1987 par la cour de cassation avec la presque totalité de la procédure. Mais en 1993, Me Varaut a trouvé le moyen de la réintroduire dans le dossier en la publiant sous la forme d'un opuscule à la couverture bleue, intitulé « Fonctionnaire sous l'occupation », que les avocats des parties civiles ont en évidence devant eux.
Tout en affirmant son « attachement au libre et plein exercice du droit de la défense », le procureur général Henri Desclaux qui n'avait pu obtenir, alors, que ce document soit retiré du dossier, avertit le président qu'il ne posera aucune question à ces deux témoins, aujourd'hui cités par la défense.
Jacques Delarue dont l'état de santé laissait planer, il y a quelques jours encore, un doute sur sa présence au procès et que le président autorise à demeurer assis, prend tout de suite ses distances avec Me Varaut auquel il reproche d'avoir publié ce rapport d'expertise « sans en avoir avisé ses auteurs et leur avoir demandé l'autorisation ». A l'époque, une lettre a même été adressée au parquet général de Bordeaux : « Nous n'avons jamais eu de véritable réponse ».
Contrairement à l'attente entretenue depuis le début du procès par Maurice Papon et ses avocats qui se réferent régulièrement aux conclusions de ce rapport, Jacques Delarue n'évoque en rien l'action de l'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux. Cet ancien policer qui a travaillé durant 8 ans à « la liquidation des séquelles de l'Occupation », évoque simplement d'une manière générale « la pression qu'excercaient les Allemands sur Vichy ». Il affirme que les « Allemands étaient les seuls maitres des camps, les maitres des Juifs » et que le KDS « contrôlait tout ce qui se passait dans les préfectures ». Il assure tout au plus qu'à Bordeaux « la préfecture cherchait à gagner du temps ».
Les choses commencent à se gâter lorsque Me Klarsfeld lui demande des exemples d'interventions directes des Allemands. « Je ne me promène pas avec mes archives » répond le témoin. « Avec votre mémoire non plus » réplique avec insolence Me Klarsfeld. Le président Castagnède n'intervient pas. Jacques Delarue fait alors remarquer au président qu'on « est entré dans le commentaire » et qu'il n'est « pas venu pour ça ». Puis il se lève, dit qu'il est fatigué. Le président suspend une première fois l'audience en demandant aux avocats de ne poser que des questions factuelles.
A la reprise de l'audience, Jacques Delarue est de nouveau malmené par Me Klarsfeld qui l'interroge sur son rôle dans la police et la nature de ses actes de résistance, « des vols de boites de conserve ». Le témoin demande au président de lui donner acte que « ces propos portent atteinte à sa considération » et indique qu'après l'annulation de sa condamnation en 1945, il a été réintégré dans la police. Très vite, il répète qu'il est vraiment fatigué et « souhaite que ce soit fini ». Le médecin du SAMU confirme quelques instants plus tard que son « état cardiaque ne lui permet pas de poursuivre sa déposition, aujourd'hui et demain ». Pour la première fois, Me Varaut reproche très directement au président d'avoir laissé Me Klarsfeld « délibérèment outrager et diffamer M. Delarue pour qu'il ne puisse plus rester à la barre », privant ainsi une fois de plus la défense d'un témoin. Il dénonce également « ces procédés d'intimidation qui rappellent les pressions exercées sur la cour à l'extérieur du débat ». Après une deuxième suspension d'audience, la cour décide de différer sa décision de poursuivre ou non, un prochain jour, l'audition de Jacques Delarue.
Entre temps, le second témoin, André Gouron est arrivé à la barre. Ce spécialiste du droit médiéval qui a trié 6000 à 7000 documents aux archives départementales de la Gironde, veille scrupuleusement à ne pas évoquer le rapport annulé. Il répète que la Gestapo est à l'origine des rafles et des déportations. Il admet seulement que « Maurice Papon a donné des ordres à la gendarmerie pour transférer des Juifs au camp de Mérignac ou à la gare Saint-Jean ». Il assure également que le « secrétaire général à l'époque avait moins de pouvoir qu'actuellement » et que sa « marge de manoeuvre » était moins importante que celle du préfet régional Maurice Sabatier.
Par contre, au fil des nombreuses questions des avocats des parties civiles, notamment Me Raymond Blet, le bâtonnier Favreau, Me Michel Touzet et Me Alain Levy, André Gouron précise que dans ce rapport, il est simplement question de « 130 interventions » où on trouve le nom de Maurice Papon, et non pas de « 130 sauvetages » : « Nous ne savons pas si ces interventions ont été suivies d'effets, si ces personnes ont été radiées du fichier ou libérées ». Il indique d'ailleurs qu'à compter de mai 1943, « la préfecture perd le pouvoir de prononcer des radiations ».
Ce professeur de droit se défend surtout de l'interprétation que l'on veut faire aujourd'hui de cette expertise annulée : « On veut donner l'impression que le rapport est fait exclusivement dans l'intérêt de Maurice Papon. Ce n'est pas possible. Nous avons essayé de le faire aussi neutres que possible ».
Aujourd'hui, Maurice Papon doit être interrogé sur ses actes de résistance.
L'audience reprend à 13 h 30.
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