Hubert de Beaufort (Crédit Philippe Taris)
Quatre résistants ont encore affirmé hier que l'accusé avait rendu des services à la résistance
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 24 février. Soixante treizième journée d'audience. Hubert de Beaufort, économiste de 71 ans, est le premier des quatre témoins, appelés à la barre. Ces anciens résistants, cités par la défense de Maurice Papon, sont tous « étonnés et même indignés » du procès fait à « l'un des leurs ».
« J'ai la mémoire précise de ce que m'a dit ma famille et mon père, je suis là par un devoir de vérité » insiste Hubert de Beaufort dont le père (seul survivant) et les cinq oncles résistaient à l'ORA, le BCRA et le SOE.
Hubert de Beaufort assure que dès janvier 1944, « De Gaulle savait ce qui se passait à Bordeaux et en était attéré ». Il est le premier à parler de l'affaire Grandclément : « En juillet 1943, il y a eu un tremblement de terre à Bordeaux. Grandclément a été retourné par la Gestapo. Le SOE a envoyé à Bordeaux Roger Landes (alias Aristide) pour exécuter tout ce qui paraissait suspect dans les réseaux de résistance. Ca s'est terminé en apothéose avec, en juillet 1944, l'exécution de Grandclément ».
Hubert de Beaufort assure ainsi que lorsque Cusin a été nommé par Alger (plus précisèment par Michel Debré) pour prendre la direction de la région de Bordeaux, il a reçu une instruction de De Gaulle : « La Résistance, c'est un nid de guêpes, n'y mettez pas le doigt ». « Papon était la seule personne sur laquelle il pouvait s'appuyer. Il n'y a pas d'autre explication à cette saga commencée plusieurs mois auparavant » conclut le témoin.
Me Gérard Boulanger observe que cette version ne correspond pas à celle donnée par Maurice Papon qui relatait, encore, la semaine dernière, la rencontre de Gaston Cusin et Roger Samuel Bloch sur le quai de la gare de Périgueux. « Ce n'est pas contradictoire » réplique l'accusé.
Hubert de Beaufort dont le père était de nouveau aux côtés de de Gaulle en 1958 pour « examiner le passé de résistant des hommes qui l'entouraient », confirme que si « il y avait eu la moindre faille dans le dossier, De Gaulle n'aurait pas maintenu Maurice Papon (préfet de police de Paris) ».
Quant à la solution finale, Hubert de Beaufort affirme que « s'il existait, à la base, une sensibilité que la déportation allait au drame, paradoxalement, plus on remontait dans la hiérarchie, plus il y avait une chape de plomb sur l'information ». Pour lui, « le vrai drame » est que « la résistance n'ait pas reçu d'instructions de Londres ou Alger ».
Léon Boutbien, 83 ans, médecin en retraite, déporté au Struthof, président de plusieurs associations de résistants et déportés, récemment élevé par le président de la République au grade de Grand Croix de la Légion d'Honneur, témoigne pour la cinquième fois dans un procès de crimes contre l'humanité. « Jusqu'alors, c'était facile, j'avais face à moi les pires bourreaux que j'avais vu torturer, pendre et fusiller mes camarades. Aujourd'hui, je veux vous dire mon étonnement et mon indignation de voir Maurice Papon sur le banc des accusés ».
Léon Boutbien affirme lui aussi que « l'administration préfectorale a rendu de grands services à la résistance et a permis la permanence de la République ». « S'il y avait un lien de causalité entre la signature de papiers de transport et de déportation de 1500 juifs, je ne serais pas là » persiste Léon Boutbien pour lequel Maurice Papon « est et restera un de nos camarades ».
Roger Lhombreaud, 76 ans, fils de résistant et lui-même résistant à Bordeaux, n'a pas davantage connu Maurice Papon. Mais il affirme avoir reçu, fin 1942, les confidences de son père, qui avait des contacts avec les trois réseaux Nap (noyautage de l'administration), Jade Amicol et Marco Kleber : « Il rencontrait un certain M. Papon qui lui fournissait des renseignents ». Il se souvient même qu'avec son frère, lorsque leur père rentrait tard, ils « plaisantaient sans finesse en disant : Papon ! Papon ! ».
Il confie encore qu'à la libération, alors qu'il présidait le comité pour le mémorial de la résistance de Saucats, il a souvent rencontré le commissaire de la République Maurice Bourges-Maunoury : « Il m'a dit le plus grand bien du résistant Maurice Papon ».
Le président s'étonne que Maurice Papon n'ait jamais parlé de M. Lhombreaud. « Il y a beaucoup d'autres noms que je n'ai pas cités » rétorque l'accusé qui a gardé le souvenir d'une « dizaine de contacts » avec ce résistant. Il s'étonne également que ce témoignage ait échappé à l'instruction. Roger Lhombreaud s'indigne : « J'ai écrit au procureur général en 91-92 les grandes lignes du témoignage que le viens de faire ». « Je ne le savais pas » constate le président.
Le dernier témoin, Anne (son nom de résistance) Schroeder, une élégante dame de 78 ans, salue Maurice Papon en arrivant à la barre. D'une voix claire et décidée, elle explique : « Je suis là comme porte-parole des personnes disparues (Guy Jousselin de Saint Hilaire, responsable du réseau Marco Kleber, est décédé le jour de Noël) ou des camarades qui ne peuvent plus bouger ». C'est le cas de Roger-Samuel Bloch avec lequelle elle a longuement conversé deux jours auparavant au téléphone : « Il m'a demandé de répéter ce qu'il a déjà dit trente six fois. Il préparait le noyautage de l'administration publique et lorsqu'il venait à Bordeaux où Maurice Papon lui fournissait des renseignements militaires, sur l'ambiance et l'état d'esprit, il était la plupart du temps hébergé chez lui ».
« On pouvait être fonctionnaire et résistant, sinon je ne vois pas ce que la résistance aurait fait » affirme cette dame qui confirme que Maurice Papon a été « honorable correspondant » du réseau Marco Kleber.
Aujourd'hui, d'autres résistants sont attendus à la barre.
L'audience reprend à 13 h 30.
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