La projection des noms des 171 déportés de Bordeaux du 18 juillet 1942 pour conclure une effrayante rétrospective, documents à l'appui.
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Vendredi 12 décembre. Trente deuxième journée d'audience. Le face à face entre le président Jean-Louis Castagnède et Maurice Papon reprend au 15 juillet 1942, 20 h 30. La première grande rafle bordelaise a commencé.
Benjamin Librach, 20 ans, cultivateur à Pompignac est le premier juif arrêté comme en témoigne toujours, 57 ans après, le procès verbal des deux gendarmes qui l'ont interpellé " en application de la note du 12 juillet ".
Le 16 juillet, Pierre Garat, chef du service des questions juives de la préfecture, rend compte des arrestations de la nuit dans une note adressée " au préfet régional, en communication à M. L'intendant de police, sous couvert du secrétaire général ".
Maurice Papon qui ne se lève plus de son fauteuil, sent la difficulté et s'empresse immédiatement de minimiser son rôle : " Le secrétaire général apparaît en dernier, c'est le moins important. Pierre Garat est placé sous mon autorité, c'est le coup de chapeau à la hiérarchie, il ne veut pas me court-circuiter, mais je ne suis pas le destinataire premier ".
On peut lire dans ce compte rendu détaillé que " les opérations ont débuté le 15 juillet à 21 heures et se sont achevées le 16 juillet à 1 heure " ou encore qu'il y a eu " un déchet de 30 % ". " Le mot ne me plaît pas " s'empresse l'accusé.
15 enfants, dont les parents ont été arrêtés, ont été placés chez des parents et 8 à l'hôpital. Pierre Garat indique qu'ils seront pris en charge par le grand Rabbin. " Je ne veux pas me tresser des lauriers mais Garat a suivi mes observations pour mettre les enfants à l'abri d'une manière sérieuse et définitive ". Indignation des parties civiles dans la salle d'audience. Le mois suivant, en effet, plusieurs de ces enfants ont à leur tour été déportés vers Drancy puis Auschwitz.
Garat mentionne également que le commandant Luther et le lieutenant Doberchutz ont contrôlé les opérations durant la nuit. " Ni l'un, ni l'autre n'étaient des plaisantins. C'étaient des SS convaincus " commente l'accusé, la tête penchée sur le document.
Ce même 16 juillet, deux policiers qui contrôlaient la gare Saint-Jean à Bordeaux, indiquent sur procès-verbal qu'ils ont arrêté trois juifs dont un monsieur de 51 ans. A priori, il ne rentrait pas dans la catégorie des " juifs de 16 à 45 ans ", déterminée par les Allemands. A côté de son nom, pourtant, une main " non identifiée " a rajouté " déporté ". Une nouvelle fois, le président Castagnède s'étonne que l'administration soit allée au delà des exigences allemandes. " C'est dramatique, bien sûr, admet l'accusé, le plan opérationnel de l'Intendant de Police était très minutieux. Je ne sais s'il y avait une indication pour surveiller la gare ".
Avec la même rigueur et la même minutie, le président examine une seconde note de Garat adressée, le 18 juillet, au préfet régional toujours " sous couvert du secrétaire général ". Cette fois-ci, ce fonctionnaire diligent rend compte de la formation et de la mise en route du convoi qui amenait 171 déportés vers la mort. Dont 33 juifs français. Contrairement aux termes des accords Oberg-Bousquet du 2 juillet.
70 Juifs avaient été arrêtés en Gironde, 6 à Mont de Marsan, 12 à Dax et 32 dans les Basses Pyrénées, 53 étaient déjà internés au camp de Mérignac et 22 au Fort du Hâ. Sur ces 195 personnes, 24 ont été exemptées : 10 en raison de leur nationalité, 10 mariés à un Aryen et 4 malades. " Je retiens l'arbitraire des autorités allemandes. Je vois aussi les efforts dépensés par Garat pour soustraire de nombreuses personnes " observe Maurice Papon qui tente désespérément, comme il le fait souvent, de retourner la situation à son avantage.
Garat note scrupuleusement que le train a quitté la gare Saint-Jean à 8 h 53 pour Paris puis Drancy, et conclut : " l'opération s'est passée sans incident et l'autorité allemande a témoigné sa satisfaction des conditions générales dans lesquelles elle s'est déroulée ".
La veille, Pierre Garat avait signé deux ordres de mission, l'un au chef de la gare Saint-Jean pour la " location de wagons pour 200 personnes " et l'autre au commissaire Norbert Techoueyres " pour veiller au respect des consignes ". Maurice Papon essaie de trouver une contenance : " A tout prendre, il valait mieux affréter des wagons de voyageurs que de marchandises. Je ne pense pas qu'un geste comme ça soit constitutif d'un crime contre l'humanité ".
Ce même 18 juillet, le préfet régional Maurice Sabatier adresse un rapport sur la rafle au Secrétaire d'Etat au Ministère de l'Intérieur. Il conclut à son tour : " Les services de police ont agi avec tout le tact et le dévouement qui s'imposaient ". Deux jours plus tard, il écrit à l'Intendant de police " l'expression de ma satisfaction sur la manière dont a été menée à bien l'opération ". En marge de ce courrier, quelqu'un a rajouté : " Faire une note rapide aux services qui ont collaboré à cette opération ". " Je constate effectivement qu'il a choisi ce mot collaboré), un mot ambigu en l'espèce " convient Maurice Papon d'une voix faible.
Sur les trois écrans vidéo déroulés dans la salle d'audience, apparaissent alors les noms des 171 juifs déportés de Bordeaux ce 18 juillet. Derrière la froideur des documents administratifs, se dessinent alors le drame de ces familles et la douleur de ceux qui les pleurent toujours. Silence émouvant dans la salle d'audience.
" Vous êtes accusé de complicité d'arrestations, complicité de séquestrations et complicité d'assassinats qui constituent des crimes contre l'humanité " martèle le président.
" Je suis d'autant plus surpris de ces accusations que nous venons de voir ce dossier minutieusement et qu'à aucun moment n'apparaît ma signature, ni dans les arrestations, ni dans les transferts. Je me demande si ces arguments ne sont pas purement et simplement le fruit d'une erreur " se défend avec un regain de d'énergie Maurice Papon.
Le procès reprend lundi à 13 h 30.
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