Maurice Papon et son avocat Me Vuillemin, très décontractés à l'arrivée au Palais de Justice. (Crédit Ph.Taris)
Déportée à Auschwitz en septembre 1942, Marie Reille, 27 ans, a été libérée à sa descente du train. Sa belle-soeur a témoigné ce lundi
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Lundi 12 janvier. Quarante cinquième journée d'audience. L'avocat général Marc Robert interroge à son tour Maurice Papon sur le (troisième) convoi du 21 septembre 1942 qui a conduit 73 juifs de Mérignac au camp de Drancy. Vendredi, Maurice Papon a déjà expliqué qu'il était absent de Bordeaux du 19 au 28 septembre pour notamment régler la succession de son père, à Gretz-Armainvilliers (Seine et Marne). L'avocat général feuillette justement l'agenda de l'accusé et s'étonne ainsi que le secrétaire général de la préfecture de la Gironde ait noté des événements aussi dérisoires que la fête de la Terre à Saint-Sulpice le 23 août, douloureux comme la mort de son père en juin, ennuyeux comme l'incendie de la forêt du Teich le 7 septembre ou dramatique comme le bombardement de Lormont le 17 septembre, qui a fait 245 victimes, mais n'ait mentionné ni les rafles ni les convois de juillet, août, septembre ou octobre 1942.
" Ils sont tracés dans le corps et dans l'esprit pour qu'il soit inutile de les retranscrire " réplique Maurice Papon, qui trouve " audacieux et hypothétique de vouloir faire de la psychologie avec un éphéméride qui, par définition, est une fantaisie personnelle. L'exploitation que vous en faites me parait vaine ".
L'agenda toujours en main, l'avocat général remarque qu'au cours de cette semaine du 19 au 28 septembre 1942, Maurice Papon a également rencontré à Paris comme à Vichy des " personnalités de premier rang " dont le préfet Ingrand (délégué général en territoire occupé) ou le préfet de la Seine, " des Vichystes convaincus, des gens au courant des déportations de Juifs et du camp de Drancy ". " C'était des visites de courtoisie au nom de Maurice Sabatier. Ils m'ont reçu 5 minutes " affirme Maurice Papon qui précise : " Ces événements remontent à 55 ans, je suis incapable de vous dire ce que j'ai eu comme conversation avec les uns et les autres, sauf Ingrand qui m'a donné de bonnes paroles, il parlait pour ne rien dire, pour que je débarrasse le bureau le plus vite possible. Ce que j'ai fait ".
Mais Marc Robert n'en démord pas. Il est persuadé que, même absent de Bordeaux, Maurice Papon avait laissé des " instructions permanentes ". " On me fait un procès dans le procès. Mes instructions permanentes ont été résumées vendredi par le témoin. La prioritaire et quasiment la seule était " pas de zèle ". Il ne fallait pas se prêter à des initiatives favorables à l'autorité allemande, chaque fois qu'il était possible, il fallait négocier, discuter, tergiverser, gagner du temps, voilà l'instruction permanente. Je pense que cette mise au point mettra définitivement un terme aux espèces d'insinuations sournoises ".
Au terme de plus de deux heures d'interrogatoire, alors que le président n'avait interrogé Maurice Papon qu'un petite heure, l'accusé se lève et dénonce avec une certaine virulence l'arrêt de renvoi qui, " en remontant en juillet et août et encore avec l'affaire de Mme Reille, essaie de créer autour de moi, de mon rôle, de mes responsabilités, un halo de méfiance, de doute, de responsabilité. Je ne peux pas laisser faire cela sans le dénoncer à la vigilance de Messieurs et Mesdames les jurés ".
Après une suspension d'audience, la cour entend Yvette Silva, 48 ans, assistante dentaire à Bordeaux, belle soeur de Marie Reille, née en 1915 à Carignan, de père juif et de mère catholique, épouse d'un catholique et mère d'une petite fille baptisée, déportée comme " juive " le 21 septembre 1942 à Drancy puis le surlendemain à Auschwitz.
Marie Reille est décédée, mais " Zette ", comme l'appelait sa famille, a tellement raconté " l'injustice " dont elle a été victime et cet étrange aller-retour à Auschwitz, que sa belle-soeur le récite comme si elle l'avait elle-même vécue.
Marie Reille a toujours accusé Pierre Garat, chef du service des questions juives et subordonné de Maurice Papon, de l'avoir obligée à se déclarer comme juive, à porter l'étoile jaune, de l'avoir internée à Mérignac puis désignée pour le convoi du 21 septembre 1942 : " Voilà notre soixante dixième personne, cette élégante jeune femme " se serait-il écrié.
A la descente du train à Drancy, un policier français s'est encore moqué de cette jeune femme, vêtue d'une robe légère : " Si elle savait où elle allait, elle se serait habillée plus chaudement ". A Metz, dans les wagons à bestiaux qui les conduisaient vers l'est, les déportés chantaient " Ce n'est qu'un au revoir ". Quelques jours plus tard, les Polonais ont reconnu la Haute Silésie. Lorsque le convoi s'est arrêté, Marie Reille a aperçu des baraquements et une grande cheminée : " Elle a pensé à une usine ". Elle a aussi écrit à l'intérieur de sa valise le nom qu'elle déchiffrait mal : Auschwitz.
A peine descendue du wagon, elle a immédiatement été séparée des autres déportés, rangés en colonnes et " embarqués comme des cochons dans des camions ". Un officier allemand lui a dit que " c'était un camp pour les Juifs, pas pour les catholiques ", a affirmé qu'elle " avait été arrêtée par la police et les autorités françaises " et lui a présenté ses excuses.
Quelques jours plus tard, elle a été raccompagnée à Paris où elle a parlé d'Auschwitz à l'ami du commissariat aux questions juives qui était intervenu. Puis de retour à Bordeaux, elle s'est précipitée à la préfecture : " Quand Garat l'a vue, il a eu un mouvement d'affolement, même un malaise ". Elle lui a crié : Vous m'avez envoyé à la mort, et tous ces gens aussi ". Fin 1944, elle s'est plaint de lui au ministère de l'Intérieur. " Quand elle est rentrée, elle a crié haut et fort le nom d'Auschwitz " affirme sa belle-soeur. Tout le monde ne l'a pas entendu. Ainsi sa tante a été déportée dans l'avant dernier convoi.
La déportation de Marie Reille n'est pas reprochée à Maurice Papon mais illustre, selon l'accusation, " l'acharnement de la préfecture " contre cette personne. " Je n'étais pas au courant de cette affaire, se défend Maurice Papon. Tel que je me connais, j'y aurais mis fin ". Murmure de désapprobation dans la salle d'audience.
L'examen de ce convoi se poursuit mardi, avec un jour de retard. L'audition de Michel Bergès n'aura ainsi probablement pas lieu avant lundi prochain.
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