Hersz Librach a parlé de son cousin et de toute sa famille exterminée en 1942. Moment d'intense émotion dans le prétoire (Crédit Daniel)
Hersz Librach, 73 ans, a évoqué hier le souvenir de son cousin, Léon, et de toute sa famille.Aujourd'hui mes enfants me demandent pourquoi je ne suis jamais gai
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mercredi 10 décembre. Trentième journée d'audience. Hersz Librach, élégamment vêtu d'un costume sombre, les cheveux noirs séparés par une raie, vient évoquer la mémoire de son cousin, Léon Librach, dont l'ordre de transfert du camp de Mérignac à Drancy, le 8 juillet 1942, signé par Maurice Papon, a longuement été évoqué la veille devant la cour. Léon Librach, 26 ans, a été déporté à Auschwitz le 18 septembre suivant.
Ce monsieur de 73 ans est également partie civile pour son frère ainé, Benjamin, 20 ans, transféré de Mérignac à Drancy dans le premier convoi du 18 juillet 1942, et déporté deux jours plus tard à Auschwitz où il a également été exterminé.
La famille est originaire de Pologne. Le père de Léon est arrivé le premier à Paris en 1925 ou 1927, où il a remonté un atelier de tricoteur. Plus tard, il a écrit à son frère -le père de Hersz- qui l'a rejoint en France avec sa femme et ses quatre enfants.
En 1939, Léon, qui venait d'être naturalisé, a été mobilisé et a rejoint le front. Lorsqu'il a été arrêté à Libourne par les Allemands, en voulant franchir la ligne de démarcation, il portait son livret miliaire et sa carte d'identité. « Sa jeune épouse Edwige a tout fait pour essayer de le sauver. Elle est venue à Bordeaux, sans son étoile, alors qu'il était aussi interdit de voyager ».
« Edwige s'est remariée. Comme j'étais partie civile pour mon frère, elle m'a demandée de l'être aussi pour son mari. C'est en son nom que je parle de Léon. C'est un devoir de mémoire » ajoute Hersz Librach, d'une voix douce, sans haine ni colère.
« A Drancy, Léon a du rencontrer mon frère... » pense-t-il à haute voix, tout en confiant que son père et son jeune frère, Mandel, 16 ans, ont également été raflés à Paris en 1941 par « un commissaire de police du 11 ème arrondissement qui s'est vanté d'avoir arrêté 4400 juifs. Après guerre, il a simplement été déplacé ».
Le père et le jeune frère d'Hersz Librach ont été déportés, comme la mère et une cousine de Léon Librach. « Il ne restait que ma mère et ma petite soeur » ajoute ce monsieur qui avait rejoint Lyon en 1942 où il s'employa à procurer des faux papiers à de nombreuses familles juives.
« Les évènements se sont passés il y a plus de 50 ans, mais je n'ai jamais pu les oublier, j'ai vécu avec tout ce passé, le bon et le mauvais, j'ai vécu avec une plaie qui ne se referme pas. Les enfants m'ont toujours reproché de ne pas être gai » confie-t-il aux trois jurés qui l'interrogent successivement.
« Je suis émue, honorée et bouleversée par votre présence » lui adresse Me Caroline Daigueperse, alors que Maurice Papon ajoute : « Je ne puis m'empêcher d'exprimer ici l'émotion que je ressens au récit sobre et douloureux fait devant nous... Même dans la situation où je me trouve, je m'incline avec respect devant M. Librach ». « Alors, demandez pardon ! » lance une partie civile dans la salle d'audience.
Après une courte suspension d'audience, Me Boulanger qui remet à la cour deux photos de Léon Librach, dont une en unfiorme, donne également lecture de quatre lettres écrites les 5 et 8 juillet 1942 par Robert Goldenberg -transféré à Drancy avec Léon Librach- à sa femme.
Ces lettres ont été adressées à l'avocat, le matin même, par le fils de M. Goldenberg qui, la veille au soir, a entendu le nom de son père à la télévision. Dans une lettre, Robert Goldenberg demande à sa femme qui n'est pas juive de faire parvenir à Pierre Garat, chef du service des questions juives de la préfecture, un certificat d'aryeneté afin qu'il soit libéré.
Maurice Papon se lève : « Je me mets à la place du Dr Gayon (nom sous lequel les enfants Goldenberg ont été cachés pendant la guerre et qu'ils ont ensuite gardé). Il a réagit directement sur la cible que j'offre. Je suis devenu la cible nationale, sinon mondiale de cette affreuse affaire ».
« Qu'avez-vous fait pour le libérer? » interroge Me Touzet, en montrant une liste de « juifs dont le conjoint est aryen », adressée par le directeur du camp de Mérignc à la préfecture. « C'est une liste de Juifs que le service essaie de protéger. Dans la vie on réussit ou on échoue. Dans cette période dramatique, on échouait plus qu'on ne réussissait » réplique Maurice Papon, tout en demeurant assis. Murmure de désapprobation dans la salle d'audience. M. Goldenberg et sa femme, qui l'avait rejoint à Drancy, ont été déportés en novembre 1942.
A Me Klarsfeld et Me Favreau qui l'interrogent de nouveau sur Léon Librach, Maurice Papon répond avec lassitude : « Nous avons analysé par le menu, hier, les conditions dans lesquelles ce malheureux dossier a été traité. Il a été frappé par la malédiction ».
Pour finir, Me Varaut pose six questions à Maurice Papon afin de démontrer que Léon Librach a été transféré à Drancy sur ordre des Allemands qui l'avaient arrêté, et que le jeune secrétaire général n'a fait qu'exécuter les ordres de son préfet qui lui-même était sous la contrainte de l'Occupant.
« En vertu de quoi un homme obéit aux ordres criminels ? lance Me Nordmann. « Les seules déclarations de l'accusé suffiraient à emporter la conviction du ministère public quant à la culpabilité de Maurice Papon dans la déportation de Léon Librach » conclut le procureur général Henri Desclaux.
Aujourd'hui, la cour devrait commencer à évoquer les accords Oberg-Bousquet puis la rafle et le convoi de juillet 1942.
L'audience reprend à 13 h 30.
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