Samuel Schinazi, le témoin du jour (Crédit P. Taris)
Deux fils du Dr Schinazi ont témoigné hier des vaines démarches de leur mère pour empêcher la déportation de son mari
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 27 janvier. Cinquante sixième journée d'audience. Les avocats des parties civiles poursuivent leur contre-interrogatoire de l'accusé sur le convoi du 25 novembre 1943. Parfois dans la plus grande confusion. Au point que le président passe de l'agacement à la fureur. Ainsi, alors que le bâtonnier Bertrand Favreau interroge Maurice Papon sur ses rapports avec Jacques Dubarry qui a remplacé Pierre Garat au service des questions juives en août 1943, ou encore sur le contentieux entre la SEC et le service des questions juives, l'échange dégénère et le président hurle presque : « Cette forme de débat que vous initiez ne permettra pas à la cour et aux jurés de se faire une opinion. Je trouve qu'il y en a assez de ces échanges. Vous posez des questions et on y répond ».
« Ca ne vas durer longtemps, je vais suspendre les débats aussi souvent que nécessaire si vous voulez, et tant pis s'ils durent longtemps encore. Je voudrais qu'avant de parler, on me demande la parole. C'est une règle stricte que je vais faire observer » tonne-t-il quelques instants plus tard, pour mettre un terme à un nouvel échange virulent, cette fois-ci entre Me Boulanger et Me Varaut qui se font face depuis le début du procès.
Lorsque Me Zaoui veut parler de l'UGIF (Union générale des Israélites de France), Me Varaut émet une objection : « Je croyais que ce sujet serait abordé en présence du grand rabbin Sitruk (mardi prochain). Nous ne sommes pas prêts à discuter de ce sujet. C'est une sorte de loyauté des débats ». Le président laisse cependant poser les questions. Lors de l'instruction, Maurice Papon avait estimé que les « Juifs étaient responsables de leur propre déportation ». Aujourd'hui, il nuance son propos : « Je n'adhère pas à cette généralisation. Je reconnais que le choix des juifs internés à Drancy pour constituer les convois était un choix cruel ».
Il maintient cependant que « l'administration française n'est pas responsable de la déportation des juifs, géographiquement parlant ». Qui déporte ? interroge Me Zaoui. Maurice Papon n'en démord pas : « Ce sont les Allemands ». Et Entre Bordeaux et Drancy ? « L'administration est là, convient Maurice Papon, mais elle est requise par les Allemands sous la menace des représailles ». « L'administration, ajoute-t-il, s'efforce de sauver un maximum de gens ».
« Si je vous comprends bien, résume Me Zaoui, l'administration est là sans être là tout en étant là, elle a une responsabilité sans en avoir tout en en ayant une. Parmi ces bureaucrates, il y a Maurice Papon ». Maurice Papon se lève : « Je voudrais élever le débat : Fallait-il rester ou déserter? Tout le problème est là. Lorsqu'on intervient pour alléger les souffrances humaines, on nous reproche d'intervenir, et quand on n'intervient pas, on essuie les mêmes reproches des parties civiles et du ministère public. Il faudrait savoir si on reproche à l'administration d'intervenir ou de ne pas intervenir ».
Comme à son habitude, Me Varaut ne pose pas de questions à Maurice Papon. Il énonce simplement, et fort clairement, des affirmations auxquelles Maurice Papon se contente d'acquiescer. L'avocat rappelle ainsi que « la préfecture est totalement absente de ce convoi ordonné par les SS et exécuté par la police à l'insu de la préfecture ». Il rappelle surtout que dans son réquisitoire définitif de décembre 1995, le procureur général avait lui aussi conclu à l'absence de responsabilité de la préfecture qui n'avait eu connaissance de ces faits, que l'après-midi, après le départ du convoi de 86 juifs du camp de Mériganc pour Drancy. « C'est une bonne analyse juridique » confirme Maurice Papon.
Après la suspension, Samuel Schinazi, 76 ans, s'avance à la barre. Il est partie civile au nom de son père, Sabatino Schinazi, 50 ans, médecin à Bacalan, marié à une catholique, père de neuf enfants, détenu au camp de Mérignac de juillet 1942 à novembre 1943, déporté dans ce convoi du 25 novembre 1943 et mort à Dachau en février 1943.
Sam Schinazi, « héros modeste » selon l'expression de Me Boulanger, reste discret sur ses propres actes de résistance, ses arrestations et évasions, sa traversée de l'Allemagne, la Suisse et l'Italie pour rejoindre Londres. Il parle surtout de son père, « un médecin exceptionnel » qu'il a retrouvé au camp de Mérignac où il a lui-même été détenu 13 mois.
Sam se souvient que « sa mère s'est battue avec courage et désespoir » pour faire libérer son mari, en intervenant de multiples fois auprès de la préfecture et des autorités allemandes. Maurice Papon ne se souvient pas s'il a ou non reçu Mme Schinazi. Sam affirme aussi qu'en octobre 1942, « on savait par de jeunes juifs allemands arrivés au camp de Mérignac qu'en Allemagne, on assassinait les Juifs, on les brulait, ils disparaissaient. Les déportés n'avaient aucune illusion sur leur sort, ils savaient que la mort les attendait ».
Le témoignage d'un autre frère, Moïse, 67 ans, est poignant. Le petit garçon de douze ans entend encore sa mère lui dire : « Ces gens-là, ils n'ont pas de coeur, c'est un roc ». « Elle a été frappée à toutes les portes. Nous somme allés à Drancy, à l'hôtel du Parc à Vichy demander audience au maréchal Pétain. Il ne nous a pas reçus ». Il se souvient aussi des visites à son père au camp de Mérignac « qui se remplissait puis qui, 8 jours plus tard, était vide, puis de nouveau bourré de monde. Ca pleurait, c'était atroce, déchirant ».
Moïse pleure aussi. « C'est honteux, c'est lamentable. Notre vie a été brisée ». Il se tourne vers Maurice Papon : « Mentir, c'est pas propre ».
Aujourd'hui, la cour doit commencer l'examen de la rafle du 20 au 21 décembre 1943 et du convoi du 30 décembre 1943. Parmi les 136 déportés, se trouvait Daniel Schinazi, frère de Sam et fils de Sabatino, qui s'est évadé à l'arrivée du train à Paris.
L'audience reprend à 13 h 30.
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