Au chevet de l'accusé - 23/02/1998

Depuis quatre mois et demi, le docteur Josiane Benaniba, médecin du SAMU, assure la surveillance médicale de Maurice Papon pendant le procès de Bordeaux. Rencontre

Bernadette DUBOURG

A l'exception de ses avocats, cette jeune femme de 38 ans, l'allure décidée et la démarche sportive, est la seule personne à parler à Maurice Papon dans l'enceinte de la cour d'assises. Un soutien médical et probablement psychologique, dans un climat généralement hostile.
Le docteur Josiane Benaniba a 38 ans. Depuis huit ans, elle partage son temps professionnel entre un cabinet médical dans la banlieue bordelaise et un engagement dans la médecine d'urgence. Elle est l'un des trois médecins du SAMU à s'être portée volontaire pour assurer une surveillance médicale tout au long du procès Papon. " J'étais très enthousiaste et je ne suis pas déçue ", confie-t-elle après quatre mois et demi de présence aux audiences, présence qui s'est traduite par un certain nombre d'interventions.
Les médecins et infirmiers de l'équipe du SAMU ont en effet été sollicités pour intervenir au profit de l'ensemble des acteurs du procès. De l'accusé certes, mais aussi des victimes, des parties civiles et des témoins, souvent âgés et parfois souffrants. Cela a été le cas par exemple, mardi dernier, lorsque le docteur Benaniba a indiqué au président que le témoin, Jacques Delarue, était trop fatigué pour poursuivre sa déposition.

" Relation de confiance "

La plus grande part de son attention concerne cependant Maurice Papon. On se souvient qu'au tout début du procès, il avait montré d'inquiétants signes de faiblesse, pouvant laisser supposer que l'instance n'atteindrait pas son terme.
Il y avait eu également cette alerte après la déposition de Ginette Chapel, veuve du directeur de cabinet de Maurice Sabatier (le mercredi 22 octobre), lorsque le docteur Benaniba s'était précipité hors de la salle de repos où se trouvait l'accusé, vers le bureau du président Castagnède, pour l'informer du grand état de stress qui s'était abattu sur Maurice Papon. Le lendemain, il avait été hospitalisé jusqu'au 31 octobre. Pour une bronchite.
Une deuxième fois, le vendredi 14 novembre, après le long interrogatoire sur le fonctionnement du service des questions juives, le médecin avait averti le président, au cours de la suspension d'audience, que Maurice Papon " n'était plus en état d'être interrogé ". Ce jour-là, le président avait choisi d'interrompre les débats et le lundi suivant, Maurice Papon avait été de nouveau hospitalisé pour deux semaines et demi.
Aujourd'hui, il paraît aller beaucoup mieux. Sans trahir le secret médical, le docteur Benaniba est la première étonnée de sa résistance physique, mais aussi de sa volonté, que confortent aisance verbale et vaste culture.
Le contact entre le médecin et son patient ne semble pas poser de problème. " Il est d'un contact très facile. Il est très courtois, très vieille France ", convient la jeune femme qui, au fil des semaines, a noué une relation de confiance avec ce malade hors normes, dont elle remarque que, désormais, lorsqu'il est fatigué, " il se confie plus facilement ".
Josiane Benaniba vit au rythme de la procédure. Elle arrive au palais de justice avant 13 h 30, retrouve ses collègues du SAMU (1), notamment l'infirmier, Patrick Delage, qui s'occupe du matériel, et rejoint la salle d'audience. Maurice Papon est souvent déjà installé dans le box, protégé par une vitre pour sa sécurité. " Je vais tout de suite le saluer, lui serrer la main. Je lui demande comment il se sent, nous échangeons quelques mots. "
Durant la suspension d'audience, en cours d'après-midi, si Maurice Papon n'est pas en conversation avec ses avocats, Josiane Benaniba revient quelques instants auprès de lui. L'accusé quitte rarement le box. Il se repose ou consulte le dossier. A quelques mètres, les parties civiles qui restent dans la salle d'audience parlent entre elles, ne lui prêtent plus la moindre attention depuis longtemps. Seuls quelques policiers en civil veillent discrètement à la sécurité de l'accusé. " Il est extrêmement seul, très isolé, j'essaie d'établir une relation humaine. Je l'encourage à parler, à se laisser aller ", confie Josiane Benaniba. " Parfois, il dit qu'il en a marre. "

" Ma propre opinion "

Pendant le déroulement de l'audience, assise tout près du box, elle prend aussi des notes. Elle ne nie pas son intérêt pour le procès : " Je n'étais jamais entrée dans un palais de justice et je ne connaissais rien, ou pas grand-chose, à cette période de l'histoire dont il est question. Avant de venir, j'ai lu de nombreux livres car je voulais me faire ma propre opinion. "
A la fin de l'audience, elle s'enquiert une dernière fois de la santé de Maurice Papon avant de quitter le palais de justice. Jusqu'au lendemain.
Dans son cabinet, les clients qu'elle reçoit le matin ou le soir n'ignorent rien de ses après-midi. " Au début, ils ont été très surpris. Mais dans l'ensemble, ils le prennent bien, ils sont extrêmement compréhensifs. Nous en parlons souvent. Ils me posent des questions. "
Les personnes âgées qu'elle soigne dans une maison de retraite manifestent également un grand intérêt pour le procès. " Certaines ne comprennent pas qu'il ait lieu. D'autres me disent que ça remue trop de douleur en elles. Je les écoute. Je ne sais pas quoi leur répondre. "
Le soir, à la maison, c'est sa fille aînée de 10 ans qui, à son tour, la questionne sur Maurice Papon : " Qui c'est ? Qu'est-ce qu'il a fait ? Comment ça se passe ? " " Je lui explique autant que je le peux ", assure Josiane, qui garde pour elle ses doutes et ses convictions.
" Rien n'est simple, assure-t- elle. Je sais seulement que lorsque le procès sera terminé, longtemps après, je continuerai à y penser. " Probablement à l'instar de tous ceux qui, durant six mois de leur vie, auront vécu dans le vase clos de cette cour d'assises. •

(1) Une dizaine de médecins et d'infirmiers du SAMU coopèrent à cette assistance médicale exceptionnelle au palais de justice de Bordeaux.


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