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Arno Klarsfeld est l'avocat des familles de ces enfants, déportés en août 1942 (crédit Michel Lacroix)

81 enfants dans le convoi - 22/12/1997

Maurice Papon a nié avoir donné l'ordre de regrouper les enfants dont les parents avaient été déportés le 18 juillet et qui, à leur tour, ont été déportés dans le convoi le 26 août 1942

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Lundi 22 décembre. 38ème journée d'audience. Me Jean-Marc Varaut s'indigne, tout d'abord, des propos tenus la semaine dernière par le député-maire de Bordeaux Alain Juppé.
Puis il revient sur le terme " anéantissement ", prononcé " de manière anachronique ", la semaine dernière, par Maurice Papon " dans un moment de fatigue ". Il souhaite la diffusion du témoignage d'André Frossard au procès Barbie (déjà prévue par la cour) et la déposition rapide de Jean Matteoli, ancien déporté et président du Conseil Economique et Social, sur la connaissance que l'on pouvait avoir en 1942 des " camps de concentration ".
En réponse, Me Levy produit plusieurs documents publiés en France entre 1934 et 1939 où figurent des termes comme " régime cruel, troupeau humain, loques humaines, vision de l'enfer ". " On peut les regrouper sous les termes de " persécutions et traitements inhumains " qui définissent le crime contre l'humanité " conclut la partie civile.
Au terme de ce débat, le président Castagnède commence l'interrogatoire de Maurice Papon sur le convoi du 26 août 1942. Pour l'instant, il s'en tient surtout aux différentes étapes entre le 18 juillet (départ du premier convoi), et le 21 août 1942, lorsque la préfecture est avisée qu'un prochain convoi doit partir 5 jours plus tard.
De nouveau, le président fait projeter sur les trois écrans géants de la salle d'audience une quinzaine de documents qui témoignent de ces préparatifs et surtout du sort qui sera réservé aux enfants dont les parents ont été déportés en juillet.

Les gendarmes

Le 25 juillet 1942, Jean Chapel, directeur de cabinet du préfet régional Maurice Sabatier, attire l'attention de Maurice Papon sur 7 juifs détenus à Langon dont trois enfants de 6, 12 et 15 ans, et une dame de 75 ans. Le 31 juillet 1942, Maurice Papon lui répond qu'aucune " nouvelle mesure de cet ordre (déportation) n'est actuellement prévue, qu'il a attiré l'attention du secrétaire d'Etat à l'Intérieur sur la déportation des juifs français le 18 juillet et que, si une nouvelle opération avait lieu, les enfants de moins de 16 ans et la personne de 75 ans y échapperaient ". " Nous avons été trompés dans cette affaire, c'est toujours le même diktat. La raison du plus fort est toujours la meilleure " se défend Maurice Papon, d'une voix faible.
Le 31 juillet, Maurice Papon reçoit une note de Garat qui - comme début juillet - s'est rendu chez Doberschutz. Les Allemands demandent notamment que les juifs arrêtés sur la ligne de démarcation soient conduits au camp de Mérignac par les gendarmes français car ils n'ont pas les moyens d'effectuer ces transferts.
Le 8 août, le secrétaire général " pour le préfet régional " confirme au chef de la SIPO que " des instructions ont été données aux gendarmes ". Il adresse également une liste des juifs internés à Mérignac entre le 29 juillet et le 6 août. " Cette concession peut permettre d'engager les négociations sur les enfants " affirme Maurice Papon qui suggère, en effet, aux Allemands que " les jeunes de moins de 21 ans et les vieillards soient libérés ".
Les 7, 8, 11 et 19 août, le directeur du camp de Mérignac avise la préfecture de l'arrivée de plusieurs juifs, dont des enfants, arrêtés sur la ligne de démarcation. " Des signes annonciateurs du prochain convoi " selon le président qui s'inquiète de la réaction de la préfecture. " A ma connaissance, l'information - sur les enfants - a été communiquée à la cellule de crise composée du grand Rabbin, de Mme Ferreyra (déléguée de l'Union générale des israélites de France) et M. Garat "

"Aucun ordre"

Le 21 août, le chef du KDS de Bordeaux répond à la note de Maurice Papon du 8 août. Il indique, en substance, que les enfants doivent être laissés ou envoyés à leurs parents. Le même jour, Garat adresse une note à Maurice Papon pour lui dire qu'il " est demandé aux autorités françaises d'assurer la préparation d'un convoi à destination de Drancy dans lequel seront compris tous les juifs des deux sexes, de tous âges et de toutes nationalités. Pierre Garat indique surtout : " En fait, j'ai acquis la certitude par l'allure générale de la conversation que le séjour à Drancy sera de courte durée et que les intéressés seront déportés ". " La conclusion de Garat est correcte " réagit Maurice Papon en " fonctionnaire ".
Le président interroge alors longuement Maurice Papon sur le sort des enfants qui, après l'arrestation et la déportation de leurs parents en juillet 1942, ont été " placés " dans des familles d'accueil. " Avec l'accord du grand Rabbin Cohen " ajoute Maurice Papon qui ne cesse, dès lors, d'impliquer le chef spirituel de la communauté juive de Bordeaux.
" Que fait la préfecture pour les enfants ? " interroge le président. " Elle prévient le grand Rabbin " persiste Maurice Papon. " Qui donne les instructions de ramener les enfants à Bordeaux ? ". Maurice Papon est prudent : " La préfecture a donné une information sur les ordres allemands, mais aucun ordre. " Le président insiste : " Vous savez que l'autorité française doit préparer ce convoi et que les enfants " placés " doivent en faire partie. Qui donne les instructions et à qui ? ". " La préfecture a simplement informé de l'ordre allemand " répète l'accusé.
Le président s'impatiente : " Je voudrais avoir une explication très précise, comment les personnes qui gardaient les enfants les ont-elles restitués ? Qui les a prévenues ". " Je n'ai pas donné d'ordres " persiste l'accusé.
" Vous êtes celui qui reçoit les informations, qui connaît les exigences allemandes, qui signe les demandes au gouvernement français, qui reçoit les réponses. J'ai la naïveté de croire que vous savez qui a informé les familles d'accueil " lance le président. " Je me suis abstenu de toute espèce d'ordre dans cette affaire. Au contraire, j'ai fait tout mon possible pour les masquer " assure Maurice Papon.
Pourtant, le 25 août, Nelly et Rachel Stopnicky, 5 et 2 ans, recueillies en juillet par Mme Descas à Salles, sont amenées à Bordeaux par le garagiste de la commune qui, le 9 février 1943, facture ce transport (350 F) à la préfecture. Ce même jour, un taxi médical de Libourne conduit à Bordeaux Ida et Jacques Junger, hébergés chez Mme Slimermann à Saint Michel de Fronsac. Le lendemain, ces quatre enfants sont transférés au camp de Mérignac d'où, le soir, ils partent à Drancy dans ce convoi qui comptait 443 juifs, dont 186 français et 81 enfants.


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