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Me Jakubowicz s'entretient avec le rabbin Maman. (Crédit A.F.P.)

"perpétuité pour inhumanité" - 12/03/1998

Me Alain Jakubowicz a demandé la réclusion à perpétuité pour condamner l'inhumanité de Maurice Papon

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 12 mars. Quatre vingt quatrième journée d'audience. Les avocats des parties civiles plaident pour la quatrième journée consécutive. Me Pierre Mairat (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples - MRAP) avoue tout de suite son " désaccord " avec ses confrères " qui se substituent au ministère public pour demander une peine ".
Revenant au dossier, il estime qu'il y avait trois manières de se comporter sous l'Occupation : " Subir sans rien dire comme beaucoup de Français, combattre et c'est l'honneur des résistants, ou participer à la politique de Vichy plus ou moins passivement, comme Maurice Papon, par goût du conformisme, de l'ordre, sans état d'âme, sans morale et sans remords, sans regret ni sentiment de culpabilité ". Il cite Primo Levi : " La shoah ne doit jamais être comprise ", pour conclure : " La comprendre est peut-être impossible, mais la connaître est indispensable ".
Me Martine Moulin-Boudard, avocate de la Licra aux côtés de Me Charrière-Bournazel, en appelle à Montesquieu : " Le devoir du citoyen est un crime lorsqu'il fait oublier le devoir de l'homme ", pour affirmer : " Le devoir du fonctionnaire est un crime lorsqu'il fait oublier le devoir de l'homme ".
L'avocate bordelaise plaide le " devoir de désobéissance " qui aurait du être celui de Maurice Papon : " Il aurait pu s'abstenir, désobéir ou démissionner comme a conclu le jury d'honneur. Mais il est resté et a gravement trahi son devoir de fonctionnaire ". Face aux jurés, d'une voix posée, elle répète inlassablement : " Le devoir de désobéissance s'imposait à Maurice Papon. Dans la fonction qu'il occupait, avec son acuité intellectuelle, il ne pouvait qu'identifier le seuil de l'acte déshonorant. Face à l'ordre inhumain, le seul devoir est de désobéir ".

"Devoir de désobéissance"

Me Moulin-Boudard cite encore De Gaulle qui écrivait dans le " Fil de l'Epée " : " Face à l'événement, c'est à soi-même que recourt l'homme de caractère ". Elle se félicite que la " France ait le courage de regarder son passé en face " et conclut : " La peine doit être exemplaire pour enseigner aux jeunes la responsabilité de l'homme ".
Maurice Papon ne lève pas davantage le nez de ses dossiers lorsque Me Dominique Delthil (SOS Racisme) le traite de " monstre de froideur, technocrate parfaitement conscient de ce qu'il faisait " ou encore "de " collabo fidèle de 40 à 44 ". " Son refus d'examen de conscience montre qu'il n'avait aucune conscience " ajoute l'avocat qui s'interroge : " Peut-on avoir participé à cette politique sans être antisémite ? ". Pour Me Delthil, " ce procès est le point culminant de la prise de conscience de la France sur l'extermination des juifs ". Il le considère également comme de " grande actualité " face " au racisme ordinaire et à l'antisémitisme " : " L'expérience montre que dans des circonstances difficiles, beaucoup sont prêts à perdre la raison et leur honneur. L'histoire ne se répète pas, elle bégaye. La vertu pédagogique du procès est d'attirer l'attention sur l'impérieuse nécessité que cette situation ne se reproduise pas ".
" Ce procès est une grande leçon de justice et de démocratie " convient, à son tour, Me Alain Jakubowicz, en début d'après-midi. " Ce n'est pas en qualité de juifs mais de citoyens de ce pays que nous intervenons " précise cependant le représentant de la communauté juive de France (Consistoire israélite de France et B'nai B'rith), tout en assurant : " Après avoir rendu leur statut d'humain aux juifs, trahis, humiliés, anéantis et massacrés, il reste aujourd'hui à leur rendre justice ".

La connaissance

Durant près de 2 heures, l'avocat lyonnais s'attache, sur un ton passionné, à démontrer qu'entre 1942 et 1944, Maurice Papon a porté " sciemment " aide et assistance à la préparation du crime contre l'humanité, qu'il " savait que les nazis procéderaient à l'extermination ou à l'assassinat des Juifs " : " Cette preuve résulte de plusieurs éléments concordants et précis. Si ces éléments, pris individuellement, sont des soupçons, rapportés les uns aux autres, ils constituent une certitude ".
Il montre ainsi comment Maurice Papon est passé de " l'éveil de la conscience " lorsqu'il vivait " la frénésie des lois anti-juives au gouvernement de Vichy ", à la " preuve d'une connaissance " lorsqu'à son arrivée à Bordeaux en juillet 1942, il voit partir le premier train de déportés avec " ces personnes entassées dans les wagons, souffrant de faim et de froid, dans une hygiène déplorable " : " Ce train, Maurice Papon en ignorait peut-être la destination finale, mais pas la destinée ". " En avez-vous vu revenir un seul ? Jamais " lance-t-il à l'accusé qui regarde ailleurs.
Me Jakubowicz énumère les nombreuses prises de position, dès juillet 1942, de l'église catholique et protestante, du consistoire central, de la presse clandestine mais aussi de la presse officielle. Il observe que Maurice Papon, lui-même, a " cédé du terrain en assurant avoir arraché la petite Nicole Grunberg aux bras de sa mère pour la soustraire à un sort cruel ".
" Je crois que Maurice Papon n'était pas antisémite. C'est pire, il a agi par inhumanité, c'est cela le crime contre l'humanité " assure l'avocat qui s'adresse alors aux jurés en procureur : " Ce crime devant la justice des hommes impose la réclusion criminelle à perpétuité afin d'être compris du corps social. Votre verdict doit empêcher à tout jamais toute banalisation, il doit aller au delà de la perpétuité, il doit s'inscrire dans l'éternité ".
Dernier avocat à intervenir, Me Claude Guyot explique pourquoi l'Amicale des anciens internés et déportés du camp de Drancy ne s'est constitué partie civile, deux jours avant la fin des débats : " Ils ont vu s'esquisser la défense de Maurice Papon et ne l'ont pas supporté. Certes, le camp de Drancy n'était pas un camp d'extermination, mais il était l'antichambre de la mort, un camp de l'angoisse ". " Nous ne soutenons pas que Maurice Papon est le seul coupable, ni le plus coupable, mais il est coupable. S'il n'est pas condamné, ce serait une insulte aux victimes et à l'histoire de la France ".
Me Francis Terquem (SOS racisme) qui devait également plaider, est absent sans en avoir informé la cour et ses confrères. Quatre autres avocats doivent intervenir vendredi.


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