L’accusé a été interrogé par le ministère public. Marc Robert (à droite) avait la parole. A gauche, le procureur général H. Desclaux. (Crédit AFP)
Interrogé sur le dernier convoi du 13 mai 1944, Maurice Papon maintient qu'il ignorait l'extermination des juifs
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mercredi 11 février. Soixante sixième journée d'audience. Le convoi du 13 mai 1944 est le huitième et dernier reproché à Maurice Papon. Parmi les 57 juifs transférés du camp de Mérignac à Drancy, il y avait beaucoup de personnes agées (18 avaient plus de 70 ans) et notamment des anciens combattants de 14-18, quelques uns invalides.
Certains d'entre eux avaient été arrêtés au cours de la rafle du 10 janvier 1944 et avaient été, à l'époque, maintenus au camp de Mérignac.
D'autres avaient été raflés moins d'un mois après, dans la nuit du 4 au 5 février 1944. Les Allemands ont arrêté 40 juifs français à Bordeaux dont Jules Cahn, 78 ans, chef de bataillon en retraite, officier de la Légion d'honneur et titulaire de la Croix de guerre. Le 8 février, Maurice Papon rend compte au gouvernement de Vichy de cette rafle pour laquelle la préfecture n'a jamais été mise en cause.
D'autres, encore, sortaient de l'hôpital. Dès la fin du mois de janvier 1944, les Allemands ont demandé à la préfecture de procéder au recensement des Juifs hospitalisés. Le 16 février, Jacques Dubarry, responsable du service des questions juives, adresse une circulaire à 15 établissements du département. « Dans la liste, vous remarquerez que ne figure pas le château Picon (asile psychiatrique de Bordeaux), nous en reparlerons au châpitre de la résistance » commente Maurice Papon qui « imagine » que ce recensement est destiné à mettre à jour le fichier « instrument majeur des interventions, des négociations ». Il affirme surtout que les renseignements n'ont pas été communiquées aux Allemands.
Trois mois plus tard, le 12 mai 1944, l'Intendant régional de police informe le préfet régional Maurice Sabatier qu'un transfert de 50 juifs est prévu le lendemain pour Drancy. Il indique même que l'escorte comprendra un officier de paix, un gradé et 15 gardiens de la Paix. Le président Jean-Louis Castagnède s'étonne qu'il ne soit demandé aucune instruction au préfet. « De plus en plus, les autorités allemandes prennent une certaine emprise et même une emprise certaine sur la police » assure Maurice Papon qui admet, pourtant, que si le préfet avait manifesté la moindre opposition, l'intendant de police aurait du lui obéir.
Le président se demande également pourquoi le service des questions juives n'intervient plus pour assurer les conditions matérielles du convoi, comme c'était encore le cas en janvier 1944. « Les Allemands agissent par eux-mêmes, dans le dos de la préfecture, ils se servent automatiquement, persiste Maurice Papon. J'étais le dernier à être surpris, je ne me suis jamais fait d'illusions sur l'imperium allemand sur la France occupée ».
« On se bat toujours ou on fait semblant? » demande le président. « On se bat toujours mais avec plus ou moins d'impuissance » assure l'accusé.
En fait, ce sont 57 juifs (dont 23 arrêtés le 4 février) qui sont transférés le 13 mai 1944 à Drancy, dont Jules Cahn, mais aussi Rachel Levy, 79 ans, (arrêtée le 10 janvier 1944), Noémie Léon, 73 ans (toutes les deux déportées le 20 mai 1944 à Auschwitz), et Gaston Benaim, 22 ans, dont le père a été déporté en août 1942, la mère et les deux soeurs en décembre 1943. Des parties civiles sont constituées en leur nom.
« On a choisi Bordeaux pour faire le procès historique que les gazettes ont annoncé avec force fanfare. Pour ce qui me concerne, je pose la question qui me brûle les lèvres : Que me reproche-t-on dans ce dossier en dehors de l'intervention faite auprès du gouvernement pour les personnes agées et M. Cahn. C'est la seule signature que j'ai donnée » se défend Maurice Papon
Le président interroge surtout Maurice Papon sur la connaissance qu'il avait du sort de ces déportés, des vieillards qui ne pouvaient partir travailler comme on le prétendait des juifs valides, et qui allaient encore moins rejoindre leur famille comme on le disait des enfants.
« Nous ne serions pas des hommes dignes de ce nom si nous étions indifférents à la tragédie de la communauté juive, mais à l'époque il subsiste l'idée que les juifs sont envoyés dans des camps d'internement en Allemagne, assure Maurice Papon. On sait déjà que les séjours en camp de concentration étaient rudes, sévères, impitoyables, mais l'idée n'effleure aucun esprit qu'il y a des camps d'extermination. On sait qu'il y a beaucoup de morts, mais nous n'allons pas au delà, il faudra attendre l'arrivée des troupes américaines pour connaitre l'extermination industrielle des Allemands ».
« Qu'est-ce que vous imaginiez ? » poursuit le président. « Une réalité de malheur, de souffrance, de mort comme mon ami François de Tessan » confesse Maurice Papon.
« Depuis quand imaginait-on ce sort effroyable ? insiste le président. « On se posait la question et on donnait une réponse avec un contenu sans forme. Les camps de déportation, on en avait parlés. Les Français étaient déjà habitués à la déportation des Juifs ou des non Juifs. On avait un voile de doute, mais il ne portait ni sur les souffrances endurées ni sur le malheur ».
Lorsqu'après la suspension d'audience, l'avocat général Marc Robert revient sur le sort des Juifs déportés, Maurice Papon réplique : « Cette question m'a été posée par le président. S'agissant d'un problème humain, je ne vais pas me dérober, quitte à me répéter. Mes sentiments ne varient pas avec le calendrier. L'extrème compassion, la pitiée portée aux exilés restent vives au fur et à mesure qu'on approche de l'issue de 4 à 5 ans de guerre ».
Puis, il se lève et avec une certaine ironie, lit un extrait du réquisitoire définitif du parquet général de Bordeaux qui, en décembre 1995, concluait : « Aucun élèment n'a permis d'établir la participation de Maurice Papon au convoi du 13 mai 1944 ». « Celà me permet de rendre hommage à l'honnêteté du ministère public » lance Maurice Papon qui sera interrogé, aujourd'hui, par les avocats des parties civiles.
L'audience reprend à 13 h 30.
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