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Maurice Papon inspecteur général de l'administration dans l'est algérien.(Crédit Keystone)

Une carrière passée au crible - 15/10/1997

Maurice Papon a été longuement interrogé mercredi sur la torture en Algérie ou les répressions policières à Paris lorsqu'il était préfet

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Mercredi 15 octobre. Sixième jour d'audience. Maurice Papon sort d'un grand cartable en cuir noir plusieurs dossiers qu'il étale soigneusement devant lui. L'on devine que, pour lui aussi, le procès commence vraiment.
Il ne se fait manifestement aucune illusion sur la décision de la cour qui, en tout début d'audience, rejette en effet la demande de Me Varaut d'interrompre ce " procès inéquitable ".
Le président invite alors Maurice Papon à raconter " le film de sa vie ", en mettant entre parenthèse les années de guerre qui seront évoquées plus tard, avec les faits.
Maurice Papon refuse poliment de rester assis, comme le lui propose le président. Il se lève, ajuste le micro, et comme il l'aurait fait à une tribune, entame un discours construit, limpide, prononcé d'une voix sûre, en haussant le ton en fin de phrase. Il raconte sa naissance le 3 septembre 1910 à Gretz-Armainvilliers en Seine-et-Marne où il réside toujours. Il parle avec respect de son père, Arthur Papon, notaire puis co-fondateur d'une société de verrerie, " un homme d'action qui est mort en 1942 des suites de la guerre. Cette mort a coincidé avec ma nomination et mon installation à Bordeaux ".

"Le sage, le juste"

Il détaille ensuite ses études de philosophie, lettres et sciences publiques, et insiste sur son souci, en 1935, de " trouver du travail sans plus attendre " pour faire vivre son épouse et son fils : " Je me suis présenté au premier concours venu, celui du Ministère de l'Intérieur ". A la fin de l'année, il est affecté au secrétariat des affaires départementales et communales dont Maurice Sabatier est le directeur adjoint. C'est la première rencontre avec le futur préfet régionale de Bordeaux.
Avec une égale aisance verbale, Maurice Papon s'attarde volontiers sur sa mobilisation en 1939 : " J'étais volontaire pour la Syrie, c'est là que m'a surpris l'horrible défaite de 40. J'essayais déjà d'écouter Londres ". En septembre, il est rapatrié pour raison de santé " dans l'avion piloté par Guillaumet ". Puis c'est la parenthèse bordelaise.
En 1945, il revient à Paris : " Je suis mis à disposition du ministère de l'Intérieur qui m'a gardé à son service après l'épuration ". De 1947 à fin 1949 il est préfet de Corse : " A l'époque, j'ai participé à une mission secrète pour permettre aux USA d'envoyer du matériel au peuple israélite qui luttait pour son indépendance ". Maurice Papon se prévaut d'ailleurs des félicitations du chef des services secrets israéliens et de l'ambassadeur d'Israël en France.
Lorsqu'il aborde sa nomitation de préfet de Constantine, le ton change. Les avocats des parties civiles l'interrogent vivement sur la torture en Algérie. Maurice Papon ne se démonte pas. Il répond avec assurance : " Je me suis toujours élevé contre la torture et les procédés expéditifs ". Il poursuit : " En Algérie, j'ai ramené le calme, l'ordre, la paix. On m'appelait le mahadi. Pas le maitre, mais le sage, le juste. C'est peut-être la meilleure décoration que j'ai reçue durant ma carrière. " Il s'honore aussi d'avoir " là comme ailleurs, protégé la communauté israélite, menacée par le FLN ". Me Jakubowicz le reprend : " vous pouvez utiliser le terme de communauté juive ".

Tenir Paris

En 1958, il est nommé Préfet de police de Paris, pour 9 ans : " On m'a demandé une remise en ordre, je crois que je l'ai faite. Quand De Gaulle a repris le pouvoir, il m'a gardé à ce poste et m'a manifesté son entière confiance pour tenir Paris ".
Là encore, les parties civiles le questionnent longuement sur la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 où plusieurs cadavres ont été repêchés dans la Seine.
" Les victimes étaient des tenants du PPA (Parti Populaire Algérien), des dissidents du FLN que les commandos FLN ont fait disperser en les jetant dans la Seine. L'enquête s'est terminée par un non-lieu, ce qui était justice ", répond avec aplomb et assurance. Maurice Papon, relevant au passage " le ton de polémique " des avocats, ou ironisant sur les questions qu'il ne comprend pas.
Me Arno Klarsfeld bondit : " C'est toujours la même défense : Les juifs ont déporté les juifs et les Algériens ont tué les Algériens ".
Le ton monte, les échanges entre avocats sont plus virulents. Le président suspend l'audience.
A la reprise, Maurice Papon demande à rester assis, manifestement plus fatigué qu'en début d'après-midi. Me Blet revient alors sur les huits morts du Métro Charonne après une manifestation anti-OAS, le 8 février 1962. " C'est un accident dramatique, un fait regrettable " réplique Maurice Papon. " Le lendemain, en conseil des ministres, trois d'entre eux ont demandé ma démission. De Gaulle leur a répondu : Cette manifestation était interdite, la préfecture de police a fait son devoir. Passons à l'ordre du jour ".

Le sentiment du devoir

Pourquoi n'avoir pas démissionné ? " Je n'ai pas l'habitude de démissionner. Démissionner, c'est déserter, j'en ai tiré les conséquences, je ne suis pas resté un observateur passif, j'ai chaque fois engagé ma responsabilité ".
Me Jakubowicz souhaite que Maurice Papon s'explique sur cette phrase : " il n'y a pas de crise de conscience quand on obéit aux ordres du gouvernement ". Maurice Papon s'énerve, se lève : " Dans le contexte de l'occupation, je la condamne. Quand le gouvernement est légitime, cela se plaide ". Arno Klarsfled insiste. Maurice Papon lâche : " Je considérais le gouvernement de Vichy comme un gouvernement de fait et non pas de droit. Le droit implique la légitimité. J'étais Gaulliste dès le temps de l'occupation. Pour moi, le gouvernement légitime était le comité provisoire de libération nationale présidée par De Gaulle... J'ai passé l'occupation à me battre pour les juifs et pour les autres ".
" Je demeure dans le sentiment que je n'ai fait que mon devoir " répète Maurice Papon qui d'un trait raconte ensuite sa retraite en 1967, sa carrière industrielle comme président de Sud Aviation, puis sa carrière politique, maire de Saint-Amand-Montrond et député du Cher " à la demande de Pompidou ".
" En 1992, je pensais avoir mérité de profiter de ma retraite. Il a été pourvu à mon oisiveté par le procès qui m'est fait ". En fin d'audience, un premier témoin, Roger Levy, 83 ans, compagnon de la Libération, confirme que son frère Maurice, mort en déportation, était un ami de Maurice Papon : " Je m'appelle Levy, c'est tout de même difficile, comprenez-le ".
Michèle Aumont, 75 ans, qui le connait depuis 35 ans, évoque l'ami " humain, pudique, solitaire et réservé ".
Roger Baconnier, directeur adjoint au cabinet de Maurice Papon au ministère du budget en 1978 confirme qu'il était " l'exemple même du serviteur de l'Etat, du haut fonctionnaire ". Il le décrit aussi comme un " homme d'ordre, exigeant et froid "
Les cinq autres témoins prévus ne sont pas là. Le procès reprend jeudi à 13 h 30.


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