M. Jean Pierre-Bloch, 93 ans, a témoigné en dépit de son état de santé. Un léger malaise a écourté son audition (Crédit AFP)
Contrairement à la sentence du jury d'honneur en 1981, dont il est l'unique survivant, Jean Pierre-Bloch, 93 ans, a contesté hier l'appartenance de Maurice Papon à la résistance
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mercredi 4 mars. Soixante dix-neuvième journée d'audience. Le procureur général Henri Desclaux informe la cour que son collègue allemand, Rolf Holfort, ne peut pas déposer aujourd'hui devant la cour comme prévu. Il est au chevet de son fils, grièvement blessé la veille dans une chute de vélo. « Ces indications n'appellent pas les réserves que j'avais exprimées » assure Me Varaut qui, lundi, s'était opposé au « retour » de ce témoin. Le 16 février, ce magistrat allemand qui devait déjà témoigner, avait quitté Bordeaux après avoir reçu une lettre anonyme dans sa chambre d'hôtel. La cour ne l'entendra donc jamais.
Me Blet demande ensuite à Maurice Papon de verser aux débats l'ensemble de ses carnets intimes dont il a lu un extrait la veille, afin de « mettre en perspective d'éventuelles appréciations portées sur les faits ». Me Levy s'associe « en pensant aux carnets de Paul Touvier qui révélé son antisémitisme ».
Maurice Papon s'y oppose : « C'est un journal à valeur sentimentale. J'estime que vouloir pénétrer dans les sentiments d'un individu quel qu'il soit, c'est un viol, et ce viol, je ne suis pas disposé à l'accepter, la cour et les jurés peuvent très bien comprendre ». La cour devrait statuer aujourd'hui.
La cour entend le dernier témoin de moralité, Robert Abdessalam, 78 ans, avocat à Paris, ancien député et champion de tennis qui a rencontré Maurice Papon au Maroc lors d'un tournoi, sur le court privé de Mohamed V. Il veut dénoncer l'amalgame entre les faits dont Maurice Papon est accusé et les événèments liés à la guerre d'Algérie, lorsque Maurice Papon était préfet de police de Paris et dont il a surtout été question au début du procès. Il rappelle également que Bourgès Maunoury lui a toujours dit « combien il appréciait Maurice Papon ».
Jean Pierre-Bloch, 93 ans, président d'honneur de la Licra est entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire du président. « Je crois que je suis un résistant » dit simplement ce vieux monsieur qui a organisé le premier parachutage d'armes et d'hommes en Dordogne, et a rejoint Londres après avoir connu « les prisons des Allemands, de Pétain et de Franco ». Il est titulaire de la Grand Croix de la légion d'honneur, de la croix de guerre avec 7 palmes, de la médaille de la France Libre et médaillé de la résistance avec rosette.
A Londres, Jean Pierre-Bloch était responsable des renseignements civils au BCRA. Il est formel : « Nous avions une liste des préfets et secrétaires généraux qui avaient rendu des services à la résistance et pourraient nous aider à la Libération. Il y avait le nom de Gabriel Delaunay mais je n'ai jamais vu celui de Maurice Papon. Ca m'aurait frappé, car je connaissais Maurice Papon avant guerre, il était membre du groupe des étudiants socialistes. Après le débarquement, sur la liste des préfets, secrétaires généraux et commissaires de la République, visée par De Gaulle, le nom de Maurice Papoon n'y figurait pas non plus ».
« Pour moi, Papon n'a pas été résistant » répète plusieurs fois le témoin. Il ironise même : « Maurice Papon était un résistant bien clandestin. Mon étonnement a été grand de le voir préfet à Bordeaux. Cusin l'avait nommé, Bourgès-Maunoury le soutenait, il y a des choses qui m'échappaient. Mais si Maurice Papon avait été résistant, le BCRA l'aurait su ».
Le président Castagnède puis Me Varaut s'étonnent de certaines contradictions entre ces déclarations et la sentence prononcée à l'unanimité, le 15 décembre 1981, par un jury d'honneur de cinq anciens grands résistants, présidé par Daniel Mayer et composé de Marie-Madeleine Fourcade, le révérend père Riquet, Charles Verny, et Jean Pierre-Bloch, unique survivant.
Ce jury d'honneur donnait acte « à M. Maurice Papon de ce qu'il fut bien affilié aux Forces Françaises Combattantes à compter du 1er janvier 1943 et attributaire de la carte du Combattant Volontaire de la Résistance ». Il concluait néanmoins « qu'au nom même des principes qu'il croyait défendre et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance Française pour demeurer à son poste, M. Papon aurait du démissionner de ses fonctions au mois de juillet 1942 ».
« J'ai un souvenir très ému des séances, des discussions très vives. Nous avons entendu beaucoup de témoins, Bourgès-Maunoury et Soustelle sont venus soutenir Maurice Papon, lui apporter une caution morale » assure Jean Pierre-Bloch qui affirme : « Avec René Mayer, nous étions opposés aux conclusions du jury. Il y avait aussi Verny mais il est passé de l'autre côté. Au lieu d'être 3 contre 2, nous étions 2 contre 3. D'ailleurs, à la fin, Daniel Mayer et moi avons affirmé devant les journalistes que Maurice Papon n'était pas Résistant, qu'il avait commis des fautes contre l'honneur et aurait du démissionner en 42 ».
Jean Pierre-Bloch indique aussi qu'il a entendu Maurice Sabatier à son domicile, avec Marie Madeleine Fourcade : « Il nous a affirmé qu'il ne s'était jamais occupé des questions juives, c'est Maurice Papon qui en était chargé ». Or, devant le jury au complet, l'ancien préfet régional de Bordeaux déclarait « assumer l'entière responsabilité de la répression anti-juive à Bordeaux ». « C'est vrai, convient le témoin, il a dit le contraire de ce qu'il nous avait dit ». Sur question de Me Charrière-Bournazel, avocat de la LICRA, Jean Pierre-Bloch s'excalme : « On était d'un côté ou de l'autre. Combien de hauts fonctionnaires ont joué le double jeu pendant que d'autres risquaient le poteau ! »
Conscient de la fatigue de ce témoin qui a tenu à faire le déplacement à Bordeaux, malgré une bronchite infectieuse, suspend l'audience. Jean Pierre-Bloch a alors un léger malaise en se relevant de sa chaise.
Près d'une heure plus tard, il revient dans la salle d'audience. Maurice Papon tient à « lever quelques ambiguités » et apporter « quelques rectificatifs ». Il cite ainsi les déclarations de Jean Pierre-Bloch devant le magistrat instructeur en 1989 : « Il est incontestable que Maurice Papon appartenait à un réseau de résistance début 1943 ». « Je l'en remercie » conclut Maurice Papon.
En fin d'audience, le président lit une déposition du général de Boissieu, gendre du général de Gaulle qui évoque « la grande rigueur morale » de Maurice Papon, « grand serviteur de l'Etat en toutes circonstances ».
Les débats s'achèvent aujourd'hui.
L'audience reprend à 13 h 30.
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