Raymond Barre a adressé des éloges à son ancien ministre du budget alors qu'Olivier Guichard assurait que tous les premiers ministres de De Gaulle étaient dans la fonction publique de Vichy
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Vendredi 17 octobre. Huitième jour d'audience. Le Révérend Père Lelong n'a pu être entendu la veille au soir. Maurice Papon était fatigué et le président avait interrompu l'audience.
Ce vendredi, il est le premier témoin a être appelé à la barre. Ce prêtre missionnaire de 72 ans, grand et mince, vêtu d'un strict costume noir, confesse tout de suite : " Je ne connais pas personnellement Maurice Papon, je le rencontre pour la première fois aujourd'hui ". L'étonnement se devine dans le public.
Il parle de l'Eglise, du comportement des évêques qui " n'ont pas eu le courage de résister ", tout en assurant : " Il ne faut pas non plus être injuste en accusant globalement l'église catholique ". Le président Castagnède lui fait patiemment remarquer que " ce n'est pas l'Eglise qui est accusée ". Ce prêtre ne se démonte pas. Il évoque son amitié avec le RP Riquet au sein de " la Fraternité d'Abraham " et s'en remet " à la justice de Dieu " avant d'assurer que " l'Eglise a raison de pardonner, a le devoir d'appeler les Français à se pardonner et à se réconcilier ".
Maurice Papon se lève. Ce seront ses seules paroles de l'après-midi : " J'enregistre un éclairage nouveau par rapport à tout ce qui a été dit, entendu et proféré en matière de calomnies et d'injures. Celà me permet de respirer un instant, j'en suis reconnaissant au père Lelong ".
Le témoin suivant est attendu avec intérêt. Raymond Barre, député-maire de Lyon, 73 ans, en costume gris et cravate rose foncé s'avance d'un pas lent vers la barre : " Je connais Monsieur Maurice Papon depuis 1976. Auparavant, j'avais entendu parler de lui et je savais quelle était sa réputation de grand commis de l'Etat... Il était rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée Nationale et durant toute la fin de la législature, j'ai pu bénéficier de son coucours dévoué et efficace ".
L'ancien Premier Ministre précise, de cette voix ronde et posée, qu'en 1978, il a demandé au Président de la République (Valéry Giscard d'Estaing) d'avoir René Monory à l'économie et Maurice Papon au budget : " La période fut très difficile, c'était le second choc pétrolier, il a fallu affronter de nombreux périls. Maurice Papon s'est révélé un ministre du budget efficace et compétent et m'a aidé à faire en sorte que les finances de la France puissent être sauvées ".
Ultime hommage à son ancien ministre, Raymond Barre conclut : " J'ajoute qu'il appartenait à un parti de la majorité qui harcelait le gouvernement et il a fait part d'un grande loyauté. Je lui en sais gré ".
Pour la première fois depuis le début du procès, un juré pose une question. L'intervention de ce retraité de 62 ans, ancien cadre des ressources humaines, est des plus pertinentes. Il veut savoir si l'ancien Premier Ministre connaissait les responsabilités de Maurice Papon pendant la guerre. " Non,je n'étais pas directement informé de ce qu'avait été sa carrière " admet Raymond Barre. Ce juré s'inquiète également de savoir si avant de nommer un ministre, on ne vérifie pas son passé de manière rigoureuse comme on le fait pour un simple employé. Raymond Barre fait mine de s'étonner : " Je n'avais pas à me poser beaucoup de questions car en 1976, la réputation de Maurice Papon était excellente au sein du Parlement et comme grand commis de l'Etat. Tout ce qui est survenu ensuite est arrivé entre les deux tours des élections présidentielles ". A savoir, les articles accusant Maurice Papon, parus dans le Canard Enchainé en mai 1981.
La déposition de Raymond Barre n'a duré que 10 minutes. Le public n'a pas appris grand chose.
Le témoin suivant est moins attendu. Et pourtant, il devient le plus intéressant de cette audience.
Silhouette massive dans un blazer bleu marine, Olivier Guichard, 77 ans, président de la région des Pays de Loire, ancien ministre, ancien maire de le Baule et retraité du Conseil d'Etat comme il l'indique à la cour, parle d'une voix grave et presque cassée : " Monsieur le président, je ne suis ni un juriste, ni un historien. Et témoin, je ne l'ai pas été des faits reprochés à l'accusé. J'ai connu Maurice Papon alors qu'il était préfet de police depuis deux ou trois mois. J'étais moi-même chef de cabinet du Général de Gaulle. Le 20 ou 21 juin (1958), je ne me souviens plus exactement de la date, j'ai reçu la visite de Maurice Papon que je ne connaissais pas. Il lui semblait important que nous ayons un contact direct car nous serions surement appelés à prendre des décisions en fonction des circonstances ".
" J'ai fait part de cette visite au général de Gaulle le soir même et j'ai le souvenir précis de ce qu'il m'a répondu : " Ah oui, Papon, c'est ce préfet de Vichy qui était avec nous à Bordeaux en 1944 et qui a rendu de grands services à (Gaston) Cusin (préfet régional à la Libération) quand il a organisé la préfecture de Bordeaux " (Lire ci-dessous).
A la reprise de l'audience, la cour entend Philippe Mestre, 70 ans, préfet régional en retraite, ancien député et ancien ministre : " Je n'ai connu Maurice Papon que dans l'exercice des fonctions de député puis de ministre du budget ".
Philippe Mestre indique qu'il a souvent entendu son ami Bourgés-Maunoury (ancien commissaire de la République de Bordeaux et ancien président du Conseil) " parler des services éminents que Maurice Papon avait, en son temps, rendu à la résistance ", mais sans en préciser la nature. L'ancien préfêt atteste également que " le secrétaire général n'a pas à prendre de décision contraire à ce que lui demande le préfet ". " J'ai compris que le préfet de l'époque Maurice Sabatier avait exprimé ce sentiment, qu'il portait seul la responsabilité de ce qui s'était passé entre 42 et 44 " ajoute-t-il.
Enfin, il affirme que " personne n'avait connaissance de la solution finale et n'imaginait l'horreur de ce qui s'est passé... sans doute pas un fonctionnaire somme toute modeste de la préfecture ". Au juge d'instruction, comme le lui rappelle Arno Klarsfeld,il avait déclaré : " Si Maurice Papon a signé des documents, il a du le faire par inadvertance ".
Paul-Henri Watine, Trésorier payeur général dans les Bouches du Rhones était fonctionnaire au ministère des finances, chargé de mission puis chef de cabinet de Maurice Papon : " J'ai connu un grand serviteur de l'Etat, un homme affable, très droit, très clair dans les orientations qu'il donnait ". " Il n'a jamais évoqué la période de l'Occupation " admet-il après une question de l'avocat général Marc Robert.
Le dernier témoin est Serge Vincon, sénateur-maire de Saint-Amand-Montrond dans le Cher dont Maurice Papon a été le député-maire. Il témoigne de la reconnaissance qu'il lui voue toujours et de l'amitié qu'il tient une nouvelle fois à lui manifester (lire ci-contre). Avant de quitter le prétoire, il confirme ces propos que Maurice Papon lui aurait tenus il y a plus de dix ans : " Je ne voudrais pas mourir sans apporter la preuve de mon innocence, surtout pour mes enfants ".
Avant de suspendre l'audience, le président lit les deux dépositions de Félix Caillat " le plus ancien ami encore en vie " et du préfet honoraire Roland Faugère qui tient Maurice Papon pour un " préfet remarquable, un grand seigneur, un esprit à l'intelligence vive, un homme sévère et très exigeant avec ses collaborateurs ". " Pour moi, il appartient à la résistance comme en témoignent ses décorations " avait-il dit au juge d'instruction.
Lundi, mardi et mercredi prochains, la cour doit encore entendre plusieurs témoins de moralité cités par la défense. Valéry Giscard d'Estaing a cependant écrit qu'il ne viendra pas et Maurice Papon a renoncé à son audition.
Le procès reprend lundi à 13 h 30
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