Me Gérard Boulanger très sollicité. Il attendait ce jour depuis 17 ans. (Crédit A.F.P.)
Me Gérard Boulanger a affirmé que Maurice Papon avait eu conscience que les actes qu'il accomplissait étaient contraire à l'humanité
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Lundi 9 mars. Quatre vingt et unième journée d'audience. " Y-a-t-il une justice à ce genre de crimes ? ". C'est par cette question, empruntée à Elie Wiesel, que Me Gérard Boulanger, debout devant la cour et les jurés, débute sa plaidoirie.
En préambule, le premier des avocats des parties civiles à prendre la parole, plus de 16 ans après avoir déposé les premières plaintes pour " crimes contre l'humanité " contre Maurice Papon, explique en quoi le procès de l'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux entre 1942 et 1944, est " le procès de la démesure, du dénigrement et de la suspicion ". Maurice Papon qu'il qualifie de " jeune homme malfaisant qui s'est mué en un vieillard obstiné à nier la vérité ", écoute sans mot dire, enfoncé dans son fauteuil de cuir noir.
Me Boulanger justifie la " démesure " par les 17 ans de procédure, 6 mois d'audience, trois juges d'instruction, 164 transports sur les lieux, 6364 documents saisis, un dossier de 40 tomes et 10 000 pages, 133 témoins cités dont 82 par Maurice Papon et plus de 50 parties civiles pour " 72 fantômes parmi les 1600 déportés de Bordeaux ".
Il voit le " dénigrement " dans l'attitude et les commentaires des " révisionnistes modernes " qui estimaient ce procès inutile, tardif ou dangereux.
Il stigmatise enfin la " suspicion " dans les " attaques incessantes " contre les parties civiles, les juges d'instruction, le parquet, le président (allusion très directe à Me Arno Klarsfeld, absent de cette première journée de plaidoirie), et lui-même : " Ce genre de procédés discréditent ceux qui les tiennent et les véhiculent ".
D'une voix calme et d'un ton posé qui tranchent avec certains de ses emportements d'audience, Me Gérard Boulanger affirme que ce procès " n'est pas un procès juif, mais un procès pour la mémoire juive et pour la conscience universelle qui pose la question fondamentale de la nécessité de désobéir à l'ordre inique ".
Au fil de sa plaidoirie, l'avocat des parties civiles veut répondre à trois questions : Pourquoi ce procès maintenant ? Pourquoi ce procès à Bordeaux ? Pourquoi le procès de cet homme ?
Me Gérard Boulanger justifie le procès " tardif " par les lenteurs de la procédure et par " un blocage politique en rapport avec un blocage de la mémoire ". " Aucun pouvoir politique ne voulait de ce procès, affirme-t-il. Mais aujourd'hui, il y a eu une longue maturation sociale, une prise de conscience ".
Il évoque aussi la difficulté de s'entendre sur la notion de crime contre l'humanité " une notion plus proche de la morale que du droit ". Me Boulanger ne reproche d'ailleurs pas à Maurice Papon d'avoir adhéré à une idéologie nazie, mais " d'avoir eu la claire conscience que les actes qu'il accomplissait étaient contraires à l'humanité ". Pour lui, Maurice Papon était " un fonctionnaire très efficace, trop efficace même, et un antisémite par indifférence ". Plus tard, il précise que des fonctionnaires comme Maurice Papon " ont déporté en 1942 pour les mêmes raisons qu'ils étaient radicaux socialistes en 1938, par souci de leur carrière. Il n'y a pas de raison idéologique, mais une raison de carrière. Ce n'est pas un crime passionnel, mais un crime d'intérêt ".
Abordant la connaissance de la solution qui fonde la crime contre l'humanité, Me Boulanger admet qu'on " ne connaissait pas la hideuse technologie meurtrière des camps de la mort " mais assure qu'on " savait que les nazis étaient des bourreaux ", si " on ne savait pas le projet total d'extermination des juifs, on savait la haine des nazis pour les juifs ".
En fin de matinée, Me Boulanger parle de Bordeaux qui " a eu le triste privilège d'être la capitale de la défaite. Vichy est né à Bordeaux ". Il assure cependant que " cette ville n'était certainement pas la capitale de la collaboration " tout en précisant que le service des questions juives de la préfecture a fonctionné (comme à Paris et Strasbourg) de manière efficace.
A la reprise de l'audience, l'après-midi, il aborde le troisième volet de ses explications : Le procès de Maurice Papon.
Pour " planter le décor ", Me Boulanger revient sur " la profonde solidarité " entre le préfet régional Maurice Sabatier et son secrétaire général Maurice Papon, " un homme de confiance " auquel il délègue sa signature. Pour démontrer la culpabilité de ce fonctionnaire de Vichy dans " ce crime collectif ", Me Boulanger s'appuie principalement sur " les pouvoirs de police exercés de manière criminelle par le service des questions juives " dès la première rafle du 16 juillet 1942. " Maurice Papon n'a pas agi par malveillance, haine antisémite ou par zèle, mais par conscience professionnelle sans trop de poser de questions " assure l'avocat qui se refuse à " faire une distinction dans l'ignominie ".
Avec une grande sobriété, Me Boulanger évoque ensuite rapidement les trois autres rafles et les sept autres convois reprochés à l'accusé, pour conclure : " Tout prouve que Maurice Papon, qui est au centre de ce processus, a agi de la même manière ".
Avant d'achever son intervention et même s'il estime que ce n'est pas l'objet du procès, Me Boulanger critique longuement " la fausse résistance de Maurice Papon qui tient en ces quatre nuitées offertes à Roger Samuel Bloch ". Il a une dernière formule choc : " La résistance de Maurice Papon n'existe que comme nécessité fonctionnelle. En 1954, c'était une question de survie. En 1958, une question de carrière. En 1981, une question d'honneur ".
En conclusion, la voix nouée par l'émotion, l'avocat tend vers les jurés la liste des 1600 juifs déportés de Bordeaux. " La vérité de ce procès ne pouvait naître que de la confrontation de deux paroles " affirme-t-il, opposant à " la langue de bois et aux mensonges de l'accusé, " la dignité des parties civiles " dont il cite plusieurs " paroles bouleversantes ".
Au terme de 5 h 30 de plaidoirie, Me Boulanger s'adresse une dernière fois aux jurés : " Il n'est pas de la responsabilité des parties civiles de demander une peine, mais j'aimerais que dans votre délibéré lorsque vous prononcerez une condamnation inéluctable, vous pensiez à ces mots d'Herz Librach : Notre peine, nous, elle est perpétuelle ".
Mardi matin, Me Joë Nordmann sera le second avocat des parties civiles à intervenir.
L'audience reprend à 9 h 30.
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