> Retour à la chronologie du procès
> Revenir à la page précédente

Me Joe Nordmann, ancien résistant. Il a l'âge de Maurice Papon et a plaidé à Bordeaux pour la dernière fois de sa carrière. Une carrière débutée au procès de Nuremberg (Crédit Philippe Taris)

"Un crime d'indifférence" - 10/03/1998

Me Arno Klarsfeld a estimé hier que si une condamnation était indispensable, Maurice Papon ne méritait pas la peine maximale

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mardi 10 mars. Quatre-vingt deuxième journée d'audience. Me Joë Nordmann, 88 ans, doyen des avocats des parties civiles, plaide pour la dernière fois de sa carrière.
L'avocat de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés internés résistants patriotes) qui résistait avec « le Front national judiciaire » lorsque Maurice Papon « par voie et par fonction a suivi la voie du déshonneur et de la collaboration », et qui fut à ce titre « invité » au procès de Nuremberg n'a, dès lors, eu de cesse de « populariser » la notion de crime contre l'humanité, « des crimes commis par ceux qui nient en leurs victimes les droits et la dignité de la personne humaine, ses droits à la liberté et à la vie et mettent par là même en danger l'humanité ». En 1973, il déposa la première plainte contre le milicien Paul Touvier.
Face à la cour et aux jurés de Bordeaux, Joë Nordmann évoque « la pratique de la collaboration de Vichy » et l'insertion dans « l'inhumanité de ce régime » de l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, un homme « orgueilleux, égocentrique et ambitieux » qui s'est « engagé de plein grè et en pleine connaissance de cause dans l'engrenage de la collaboration », s'est « comporté en criminel dans un système criminel » et porte ainsi « toute la charge des crimes dont il est accusé ».
« Ce n'est pas une pression irrésistible des Allemands mais la soumission de Vichy à l'Allemagne nazie et la soumission de Papon à Vichy qui fonde son comportement et celui de l'équipe préfectorale de Bordeaux » ajoute l'avocat qui conjure les jurés de ne « pas donner à ce procès une conclusion qui ne serait pas comprise de la nation » : « Si Maurice Papon échappait à la justice, cela voudrait dire que tout ce qu'il a fait est permis. Je vous demande de rendre une décision qui soit cohérente avec le sentiment de justice ».

« Une peine équitable »

En début d'après-midi, Me Arno Klarsfeld, 32 ans, le benjamin des avocats des parties civiles, plaide pour la mémoire des 220 enfants déportés de Bordeaux entre 1942 et 1944, « la page la plus noire de notre histoire ». Durant deux heures, sans jamais lever la tête du pupitre, il lit sa longue plaidoirie, sur un rythme parfois si rapide qu'il ôte toute émotion à l'évocation du sort de ces petites victimes, ou au rappel des dernières missives envoyées par leurs parents.
A plusieurs reprises, il rend également hommage à ses parents, Beate et Serge, qui ont commencé à traquer les nazis il y a 27 ans, à l'action de l'association des fils et filles des déportés juifs de France que préside son père. Il reproche d'ailleurs à Maurice Papon « d'avoir jeté sur son père -qu'il a vu des nuits entières compter des noms sur des listes et restituer un état civil aux victimes pour les sortir de l'oubli- son ultime vilénie en lui reprochant d'avoir fait pression contre la justice alors qu'il a fait pression sur l'histoire pour la vérité ».
Me Klarsfeld surprend surtout en assurant que si l'association des Fils et Filles de victimes a demandé la peine maximale contre le nazi Barbie et le milicien Touvier ou l'aurait demandé contre le secrétaire général de la police Bousquet et son délégué Leguay, il estime que cette peine ne serait pas équitable contre Maurice Papon « afin de tenir compte des réalités historiques » : « La FFDJF et les victimes que je représente vous font confiance pour le condamner à une peine équitable qui devienne de ce fait une peine exemplaire ». Deux parties civiles, Maurice-David Matisson et Eliane Dommange quittent la salle d'audience en signe de protestation.

Le grand rabbin

Durant deux heures, Me Michel Touzet, d'une voix grave et sur un ton reposant, examine méthodiquement et minutieusement l'implication du service des questions juives et de « son chef » Maurice Papon, « un homme brillant, intelligent, adroit et même rusé », dans les quatre rafles et les huit convois reprochés à l'accusé.
Pour Me Touzet qui cite les noms de chacune des 72 victimes, Maurice Papon n'était pas « un français moyen, mais un français parfaitement informé » qui n'a cependant « jamais été intéressé par le sort des juifs. Il en a été indifférent ». Il parle d'ailleurs d'un « crime de l'indifférence » et pour qualifier sa responsabilité, donne cette définition de la cour de cassation dans l'affaire Touvier : « Les fonctions qu'il avait acceptées le mettaient naturellement dans l'obligation de satisfaire aux exigences des autorités nazies ».
Aux jurés, il dit : « J'ai peur que vous vous sentiez écrasés par cette responsablité, face à l'attente des parties civiles et la crainte de l'accusé. Mais je crois que vous êtes adossés à un dossier immense, parfois disparate, mais en définitive complet et solide avec, comme noyau dur, le pouvoir dont Maurice Papon a usé sans état d'âme et qui a abouti à l'anéantissement de familles juives. Les parties civiles attendent sereinement que la justice soit rendue, après viendra surement le temps du pardon ».
Me Caroline Daigueperse est la dernière à intervenir au nom de l'association cultuelle israélite de la Gironde. Avec passion et sincérité, elle « fait voler en éclat » les « alibis » de Maurice Papon. L'alibi humanitaire, d'abord : « Maurice Papon n'a cessé de se recommander d'une logistique humanitaire en prétendant que le service des questions juives oeuvrait pour sauver les juifs et adoucir le sort des victimes. Le réflexe humanitaire imposait qu'il se rende au moins une fois au camp de Mérignac ou à la synagogue en janvier 1944. Or, il s'est comporté en bureaucrate et en fonctionnaire, soucieux d'apporter une aide logistique et une fourniture de moyens à la politique antijuive de Vichy et à la politique d'extermination des juifs voulue par les Allemands ».
L'alibi du grand Rabbin Joseph Cohen, ensuite : « Présenter le Grand Rabbin, cet homme bon, courageux, déterminé, humain, charitable et très naif, comme l'allié des actions concertées par le bureau des questions juives, relève de l'insupportable ». Elle rappelle d'ailleurs comme preuve des « mensonges de Maurice Papon », que le sauvetage du Grand Rabbin, en décembre 1943, ne doit rien à la préfecture ou à Maurice Papon comme ce dernier l'a longtemps prétendu.
Avec une grande émotion, évoquant de nombreuses paroles de victimes à l'audience, Me Caroline Daigueperse conclut : « Par votre délibéré, où vous prononcerez la culpabilité de Maurice Papon, vous proclamerez haut et fort l'alliance entre le morale et la justice ».
Sept avocats des parties civiles doivent plaider aujourd'hui.
L'audience reprend à 9h 30.


Retour

Copyright Sud Ouest. Pour tout usage lié à la reproduction de nos articles, merci de prendre contact avec Sud Ouest : doc@sudouest.com Tel : 05 56 00 35 84. 

Accueil | Le procès | Procédures | Les acteurs | Repères | Lexique | Forum

Copyright Sud Ouest 2006 - contact@sudouest.com