" Comment pourrais-je m'offusquer qu'un amphi porte son nom ? " Bernard Noyer hausse les épaules : à cet avocat bordelais qui a passé dix ans dans l'intimité de l'oeuvre de Bonnard (2), la demande des étudiants semble pour le moins incongrue, et dictée au mieux par un certain opportunisme, au pire par une solide ignorance.
" En 1940, comme une foule de gens, Bonnard a appartenu à la première génération de vichyssois. Traumatisé par la défaite, choqué comme beaucoup par la déliquescence du parlementarisme de la 3me République, il voit en Pétain un Messie. Pour lui, le régime de Vichy est une parenthèse. Il l'accepte comme une dictature de salut public, un peu comme si l'on appliquait aujourd'hui l'article 16 de la Constitution de la Vme. Mais c'est contraire à sa doctrine ".
Pour Bernard Noyer, Bonnard " a tiré des bords, mais n'est pas devenu le salaud intégral comme on veut nous le faire croire ". Bien sûr, son maréchalisme ne fait pas de doute. Par exemple, dans son ouvrage sur la fac de Bordeaux cité plus haut, Marc Malherbe raconte que Georges Hubrecht, père d'un professeur de droit public bordelais en exercice, " avait demandé son transfert dans une autre faculté : il était sans doute en désaccord avec le doyen Bonnard qui incitait ses collègues à répandre dans leurs cours les principes de la Révolution nationale prônée par le maréchal Pétain ".
Mais pour le reste, Noyer monte au front pour défendre l'ancien officier d'infanterie de la guerre de 14-18. " Il n'y a eu de sa part aucun acte de collaboration active et aucun antisémitisme militant ". En atteste l'affaire de la Commission chargée de statuer sur l'admission des étudiants juifs, rendue obligatoire par une loi de 1941 et dont M. Malherbe relève " qu'elle réussit l'exploit de ne se réunir qu'à quatre reprises, sans jamais refuser une seule inscription au moindre étudiant juif ".
Bonnard fut l'auteur d'un ouvrage sur la doctrine nazie. " Et alors ? ", rétorque B. Noyer. " Cette étude est exclusive de la moindre sympathie à l'égard du nazisme. Elle est purement technique et juridique et s'achève par une condamnation sans équivoque du système ". En désaccord total avec les conceptions totalitaires de Hitler, Bonnard se démarque aussi des conceptions raciales du 3me Reich, souligne l'avocat, qui cite ce texte : " l'idée d'inégalité des races ne peut pas exister logiquement (...) elle ne constitue qu'une pure conception subjective. Pour les races et leurs mélanges, on peut concevoir des différences, non des inégalités ".
Allergique au " refoulement complet de l'individu " voulu par un nazisme qui osait brûler les livres des grands juristes juifs allemands (Jelinek, Kelsen...) qu'il admirait, Roger Bonnard est au contraire " un apôtre de la limitation de l'Etat par le droit ", rappelle l'avocat : " son idée, c'est de poursuivre l'effort pour fonder l'Etat de droit, et infléchir la pensée de Duguit dans le sens de la protection de l'individu. Ce qui l'amène à fonder le droit naturel plus sûrement qu'avant, à développer la notion de droit public subjectif -plus protecteur des individus- et à développer des analyses très intéressantes sur le contrôle juridictionnel de l'Etat ".
Bernard Noyer constate donc que Bonnard reste une référence : " tous les ouvrages de droit administratif le citent. En 40 ans de travail et plus de 150 ouvrages et articles, on lui doit des apports considérables ". Et malgré les quelques années d'égarement du doyen, l'avocat ne peut se défendre d'une certaine admiration pour la " rigueur extrême " de ce Bordelais janséniste : " ne dit-on pas qu'il tint à faire cours le jour du mariage de sa fille ! "...
(2) Il est l'auteur d'une thèse d'Etat de mille pages intitulée " Essai sur la contribution du doyen Bonnard au droit public français ", avec ce sous-titre : " étude d'une étape de la participation de l'école de Bordeaux à la construction de l'Etat de droit " (Bordeaux, 1984).
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