> Retour à la chronologie du procès
> Revenir à la page précédente

Le témoin du jour, Nicole Grinberg.(Crédit Ph.Taris)

"Un aveu capital" - 18/12/1997

Pressé de questions sur le "sauvetage" de Nicole Grunberg, 3 ans, Maurice Papon a avoué en fin d'audience, qu'en juin 1942, il avait déjà entendu parler des camps de concentration

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 18 décembre. Trente sixième journée d'audience. Maurice-David Matisson a déposé, avec trois autres membres de sa famille, la première plainte contre Maurice Papon le 8 décembre 1981.
Sa grand mère, sa soeur et son beau-frère, deux tantes, deux oncles et son jeune cousin de 5 ans ont été raflés à Bordeaux en juillet 1942 et déportés dans les convois du 18 juillet et du 26 octobre 1942. La veille, sa nièce Eliane Dommange et son neveu, Jackie Alisvaks, ont témoigné avec beaucoup d'émotion de l'arrestation et la déportation de leurs parents. Leur mère, Antoinette, était la soeur aînée de Maurice-David Matisson.
" Je pourrais prêter serment car je vais parler sans haine et sans crainte, mais la rage au coeur, une rage rentrée depuis 55 ans " prévient Maurice-David Matisson, 71 ans, dont les parents, originaires de Lettonie, se sont installés à Bordeaux après la première Guerre où son père a combattu pour " le pays des droits de l'homme et de la liberté ".
En 1942, il avait 16 ans et vivait à Paris : " Je croyais avoir vécu le pire : la défaite, les premières insolences et l'agressivité de l'ennemi, l'infâme affiche sur la teinturerie de mon père, l'interdiction de sortir le soir, l'étoile jaune... Mais le pire était devant ".

"Devenir des vivants"

Avec une émotion contenue, il parle des " gens simples qui savaient où était leur devoir " : Le commissaire de police de Belleville qui, le 15 juillet 1942, a prévenu la famille Matisson; l'employé de la mairie de Bordeaux qui a écrit une lettre pour favoriser le passage en zone libre de Maurice-David, sa soeur et leurs trois jeunes neveux, Claude, 10 ans, Eliane, 8 ans, et Jackie, 4 ans, qu'ils avaient recueillis après la déportation de leurs parents; le jeune scout qui dans le train d'Orthez leur a conseillé de jeter leurs papiers par la fenêtre; une dame qui les a accompagnés sur la route entre Puyoo et Orthez et a fait croire aux Allemands qu'ils étaient protestants; ou encore cette dame qui a ouvert grand la porte de sa maison d'Orthez à ces cinq gamins, dépenaillés et affamés, alors qu'ils s'étaient trompés d'adresse.
" En 1981, quand j'ai porté plainte avec ma famille, la blessure s'est rouverte mais c'était nécessaire. Nous étions comme un arbre foudroyé où la sève a du mal à circuler. La guérison est en route. Si je souhaite la sanction de l'accusé, ce n'est pas par haine mais parce que la sanction est humanisante. Nous étions des survivants, nous espérons devenir des vivants ".
Armand Benifla, 71 ans, grand, mince, légèrement voûté, les cheveux et la moustache blanche, s'approche à son tour de la barre. Son frère, Adolphe, 22 ans, a été déporté dans le convoi du 18 juillet 1942. Son père, Maurice, 47 ans, dans celui du mois d'août.
Aujourd'hui, Armand ne parle que de son frère, dénoncé par des collègues de travail, arrêté le 13 septembre 1941 par les inspecteurs du commissaire Poinsot et détenu à la section allemande du Fort du Hâ jusqu'au 11 avril 1942. Deux jours plus tard, il a été de nouveau arrêté et transféré au camp de Mérignac le 24 avril 1942, puis à Drancy par le premier convoi.
Né d'une mère catholique, Adolphe Benifla n'aurait cependant jamais du être déporté. Le 4 juillet 1942, la préfecture a d'ailleurs demandé à la mère de fournir en urgence un certificat de baptême qu'elle a amené dès le lendemain. La SEC a accepté cette radiation le 21 août 1942, mais la préfecture ne lui a adressé ce certificat, pour elle-même et ses deux autres fils, que le 15 janvier 1943. " Que se serait-il passé pour eux trois s'ils avaient été arrêtés entre temps ? " interroge Me Touzet.
Pour Adolphe, il était déjà trop tard. Le 17 juillet, il a écrit une dernière lettre à sa mère du camp de Mérignac : " Nous partons demain, nous ne savons pas où nous allons... ". " Il portait le numéro 49 669. Nous ne savons même pas quand il est mort. Mon frère me manque encore ". Maurice Papon ne fait aucun commentaire.

"Anéantissement"

Jean-Jacques (absent), Pierre et Nicole Grunberg, sont parties civiles au nom de leur mère, Jeanne, 41 ans, et leur soeur aînée, Jacqueline, 20 ans, déportées à Drancy le 18 juillet 1942 et à Auschwitz le lendemain. Elles avaient été arrêtées le 4 juin 1942 prés d'Hagetmau en franchissant la ligne de démarcation. Le père et les deux fils étaient déjà passés. La mère et les deux filles n'ont pas eu la même chance. Mais la petite, Nicole, 3 ans, a été " arrachée à sa mère " par les Allemands et placée dans un couvent.
La déposition de Pierre, 71 ans, est justement l'occasion pour les parties civiles de revenir sur les affirmations de Maurice Papon, la veille, tendant à faire croire qu'il avait lui-même - ou ses services - sauvé " la petite Nicole ".
Me Touzet dénonce " l'énorme mensonge de Maurice Papon " qui, d'une voix chevrotante, a du mal à s'expliquer. Il évoque " le dilemme de laisser les enfants avec leurs parents ou les sauver de l'anéantissement ". Me Levy bondit : " Maurice Papon parle d'anéantissement. C'est un aveu capital ". " Quand je dis " anéantissement ", c'est à la lueur de la connaissance d'aujourd'hui " rectifie aussitôt Maurice Papon.
Mais Me Zaoui insiste : " Pourquoi vouliez-vous arracher un enfant des bras de sa mère ? ". " Pour la sauver ". " La sauver de quoi ? ". " D'une chose qui était déjà évidente, leur départ dans un camp de concentration... On avait déjà entendu parler à satiété des camps de concentration depuis que les nazis étaient au pouvoir ".
Maurice Papon se rend compte qu'il en a trop dit. Il s'énerve et tape violemment sur le rebord du box : " Ce n'est pas en juin ou en juillet que j'ai su, mais en août (1942). " Il y a une différence entre les camps de concentration et les camps d'extermination " s'empresse d'ajouter Me Varaut. Mais les parties civiles en ont assez entendu.
Ce vendredi, Nicole Grunberg viendra justement témoigner. L'audience reprend à 13 h 30.


Retour

Copyright Sud Ouest. Pour tout usage lié à la reproduction de nos articles, merci de prendre contact avec Sud Ouest : doc@sudouest.com Tel : 05 56 00 35 84. 

Accueil | Le procès | Procédures | Les acteurs | Repères | Lexique | Forum

Copyright Sud Ouest 2006 - contact@sudouest.com