Soir de verdict avec les parties civiles - 02/04/1998

En l'espace de quelques minutes jeudi matin elles sont passées de l'angoisse au doute par la délicieuse étape du soulagement

Dominique DE LAAGE

" Je n'ai pas quitté le palais de justice de la nuit. Cette attente, l'abandon dans lequel nous avons été durant ces longues heures, tout nous a relié à "eux". Il s'est passé quelque chose d'extraordinaire ". Ereintées par l'insomnie, les parties civiles se dirigent vers la salle d'audience. Pour la dernière fois.
L'inhabituelle densité policière autour de l'accusé alerte immédiatement son plus fidèle ennemi. " Cela pourrait bien annoncer l'acquittement " s'inquiète Michel Slitinsky en s'installant au premier rang, côté couloir. " Sa " place. Totem emblématique de la " lutte ".
" Tiens ! Selon ce journal, la première plainte aurait été déposée par Slitinsky. Je pensais que c'était toi, papa ? ", lâche Jean-Marie Matisson suffisamment haut pour être entendu par Michel Slitinsky. " Qu'importe ! Nous avons déposé ces plaintes en même temps, balaye son père, Maurice-David. Michel, tout à l'heure, quoi qu'il arrive, nous devons avancer ensemble vers les caméras ". " Okay " répond son compère.

Les ablutions dehors

Me Boulanger s'approche du banc et croise les doigts, pas vraiment rassuré. Le grand rabbin Maman fait le tour de ses ouailles : " Quel que soit le verdict, restez dignes, surtout ! " Me Caroline Daigueperse insiste :" Pas de réactions intempestives dans le prétoire. On fait nos ablutions dehors, dans la salle des pas perdus. D'accord ? "
Bref, tandis que Maurice Papon attend déjà dans son box et que survient Me Varaut, les parties civiles doutent, tremblent et redoutent. " La Cour ! ", annonce l'huissier pour l'ultime fois. On se lève, les jambes en coton, les yeux rivés sur les jurés, le président Castagnède et ses deux assesseurs. " L'un des jurés sourit. D'autres ont l'air sombre ", souffle Michel Slitinsky en se rasseyant.
La voix enrouée du président égrène les premières réponses. " Non ", Maurice Papon n'est pas coupable. " L'acquittement ! " se désespère-t-on déjà. La moustache de Michel Slitinsky se hérisse comme un radar. Les premiers " oui " tombent. Il en faut un, deux, trois, quatre pour qu'ils produisent enfin leur effet. " C'est bon, on a gagné ! " murmure Maurice-David Matisson en serrant spontanément l'épaule de Michel Slitinsky. Le souffle de ce dernier enfle à mesure que tombent les " oui ". " Oui ", Maurice Papon est coupable de l'arrestation de son père et de sa soeur. Ses lunettes s'embuent. Les réponses vont trop vite. Dix-sept ans d'attente pour ce verdict servi en quelques minutes...

Rugissement de plaisir

" Maurice Papon est condamné à dix ans de prison ! " Une femme étouffe un cri de victoire. " Et à dix ans d'indignité nationale ! ". Henri Chassaing, le vieux résistant communiste, rugit de plaisir en sourdine. Et soudain l'on se lève, l'on s'embrasse en silence, l'on se serre, l'on pleure de joie. " Merci Michel ". " Merci Michel ". La moustache du lutteur est retombée. Il passe de bras en bras, les lunettes complètement opaques. Oublié Maurice Papon, cet accusé dont on n'arrivait pas à détacher le regard, comme hypnotisé, à l'issue de chacune des quatre-vingt-treize premières audiences. Jusqu'à cette libération, ce soulagement. Bien sûr, dix ans, " c'est peu ". Et manque l'" assassinat ". " Faut pas pinailler, on a gagné ! " se rassure-t-on.
Dans le sas policier qui protège du raz-de-marée médiatique, Michel Slitinsky retrouve en quelques secondes ses réflexes de bête de scène, une grosse marque de rouge à lèvre sur la joue : " L'essentiel, c'est la condamnation. Nous ne cherchions pas à nous venger. Vichy n'a pas été réhabilité mais nos familles, oui. Je n'ai pas de mots pour couronner cette journée ". " Nous sommes restitués dans la nation française " dit en écho Maurice-David Matisson.
Mais très vite surgissent les récifs. Car beaucoup ont vu leur espoir se briser sur les " non " de la Cour. Ainsi Moïse Schinazi. Maurice Papon n'a pas été jugé responsable de l'arrestation de son père, le médecin des pauvres de Bacalan. " Cette condamnation n'est pas assez lourde pour nous prémunir de l'avenir. Ce Papon et ses avocats ont été tellement malins... "
L'infirmière Marie Mouyal-Etcheberry résume les sentiments qui l'ont assaillie à l'énoncé du verdict : " J'avais tellement peur de l'acquittement que j'ai flotté durant les premières minutes. Je me suis donc focalisée sur le seul convoi des miens, attendant que Papon soit condamné. Dès que j'ai été comblée, je m'en suis aussitôt voulue. Ce distingo entre les victimes est terrible... "
Michel Slitinsky aussi ne tarde pas à réaliser combien la " victoire " est amère pour certains. " Le combat n'est pas terminé. Tant que Papon ne sera pas incarcéré, nous ne baisserons pas les bras " répète-t-il devant les caméras.
Autour du petit déjeuner, tandis que défilent encore et encore les micros, la grande tablée des parties civiles souffle enfin. Groggy de joie. Mais emproie au doute. " Il faut que je téléphone à ma femme ", dit Michel Slitinsky.


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