Raymond Blet (Crédit Philippe Taris)
Plusieurs avocats des parties civiles ont estimé hier qu'il était difficile mais indispensable de juger les crimes d'un haut fonctionnaire
Compte-rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mercredi 11 mars. Quatre vingt troisième journée d'audience. Avocat de la FNDIRP aux côtés de Me Nordmann (la veille) et Me Alain Levy (lundi prochain), le bâtonnier Henri Boerner est le premier des six avocats des parties civiles de la journée.
L'avocat bordelais s'adresse directement à « M. Papon » pour lui rappeler, par quelques souvenirs, qu'on « pouvait résister dès le début à l'autorité allemande » et qu'aucun haut fonctionnaire de Vichy ne pouvait ignorer que « les enfants et les vieillards allaient à la mort, même si eux ne le savaient pas ». « Vous avez manqué de générosité, de magnanimité, de prestance idéale, d'une évidence de désintéressment professionnel, de sacrifice à l'intérêt collectif » lance-t-il à l'accusé avant de conclure qu'« à l'infini, la morale et le droit se rejoignent ».
Sur un ton volontairement ironique, Me Gérard Weltzer interpelle à son tour Maurice Papon qui « n'a pas perdu d'aplomb, distribue les bons et les mauvais points aux avocats ou regarde sa montre quand Me Boulanger est trop long ». Se déplaçant devant la cour, s'adressant tantôt à l'accusé, tantôt directement aux jurés, l'avocat admet que s'il fut facile de juger « le nazi et idéologue » Barbie puis « le milicien et crapule » Touvier, il est plus difficile de juger le haut fonctionnaire Maurice Papon : « Ce crime nous renvoie à l'inconscience collective ».
Il revient sur les « mensonges » de l'accusé et les « crimes commis par ce préfêt bis, ce jeune loup qui voulait faire carrière, froid, autoritaire, brillant, très intelligent », pour affirmer que « si Maurice Papon n'a pas su la manière scientifique d'extermination des Juifs, il savait qu'ils allaient à un sort cruel, un sort funeste » selon les propres expressions de l'accusé à l'audience. Me Weltzer qui représente la famille Stopnicki aux côtés de Me Arno Klarsfeld partage d'ailleurs l'analyse de Me Klarsfeld sur une peine intermédiaire.
Me Stephane Lilti, avocat de l'Union des Etudiants Juifs de France, qui voit « une tâche de sang » dans la rosette que Maurice Papon arbore à la boutonnière, se livre à une analyse très juridique de la notion de complicité des crimes contre l'humanité. Il estime, comme l'a retenu l'arrêt de renvoi, que Maurice Papon est responsable des complicités d'arrestations illégales, séquestrations arbitraires, assassinats et tentatives d'assassinats par ses seuls actes personnels, qu'il s'agisse des documents qu'il a directement signés ou des ordres émanant du service des questions dont il était le responsable « même si on devine plus sa signature qu'on ne la voit ».
En début d'après-midi, Me Raymond Blet prend la parole pour l'ANACR (association nationale des anciens combattants de la Résistance). L'avocat bordelais considère qu'à « travers le procès de Maurice Papon, c'est le procès de Vichy que l'on fait ». Ainsi, au début de sa longue plaidoirie de 2 h 30 qui prend parfois des accents de réquisitoire, et même s'il se défend de faire le procès de Me Varaut, il dissèque avec virulence le livre de son confrère, « le procès Pétain », qui « veut exonérer l'administration française en assurant qu'elle a sauvé des juifs. C'est du révisionnisme, c'est ignoble ».
Pour démontrer la culpabilité de Maurice Papon, Me Blet s'appuie directement sur des documents « acceptés et reconnus par Maurice Papon », à savoir l'expertise historique réalisée lors de la première instruction puis la sentence du jury d'honneur réuni en 1981. Il retient d'ailleurs cette « phrase essentielle » du jury qui a estimé les actes de Maurice Papon « contraires à la conception que le jury se fait de l'honneur ». « Pour les résistants, l'honneur est quelque chose de sublime » assure l'avocat qui qualifie Maurice Papon de « résistant de la 23 ème ou 24 ème heure », « résistant du débarquement », et s'indigne que l'on puisse admettre « que des résistants ont déporté des Juifs ». Il attache d'ailleurs beaucoup d'importance à la « sanction symbolique » que serait la perte des décorations de l'accusé, conséquence de la condamnation.
Si Me Blet avoue une certaine compassion pour Maurice Papon qui « a une superbe extraordinaire que l'on peut craindre ou admirer », il lui reproche aussi de ne pas s'être « incliné une seule fois devant les victimes » et demande aux jurés une santion « cohérente face au nombre des victimes et la gravité du crime », Contenant difficilement son émotion, il conclut au souvenir du témoignage bouleversant d'André Balbin, déporté à Auschwitz : « Sans doute, le verdict de condamnation n'enlèvera-t-il pas le numéro inscrit à tout jamais sur le bras de ce vieux monsieur mais il pourra le porter la tête haute, sans rougir ».
Pendant toute la plaidoirie, Maurice Papon est resté plongé dans des documents, évitant de croiser le regard de l'avocat.
Me Lorach qui représente quatre associations « de défense de la mémoire » estime, à son tour, au terme d'un nouveau « balayage du dossier » que Maurice Papon « sûr de lui, dominateur, l'oeil sec, l'assurance rare, ce grand commis sans coeur qui respecte les puissants et méprise les inférieurs » a agi en « collaboration avec la SIPO-SD », jugée organisation criminelle par le tribunal de Nuremberg.
En fin d'audience et alors que la soirée est déjà entamée, Me Jean Chevais intervient au nom de Maccabi-Inter, une association sportive et culturelle qui poursuit également une oeuvre de mémoire, « cette exigence de fin de siècle, ce ciment de l'humanité ». Il n'y a plus aucun avocat des parties civiles pour l'écouter longuement répéter, dans des termes souvent semblables, qu'il « appartient aux jurés de relever le défi de l'oubli, car si le temps n'effacera jamais l'horreur des crimes contre l'humanité, il convient d'être présent pour l'avenir. S'il faut à un moment tourner la page, il faut prendre le temps de l'écrire, la lire, l'analyser, la comprendre sans concession et ne pas transiger sur les principes. Si vous acquittiez Maurice Papon en lui accordant trop légèrement votre pardon, vous pourriez un jour avoir le reproche des générations futures ».
Aujourd'hui, la cour doit entendre six avocats.
L'audience reprend à 9 h 30.
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