Maurice Papon a été interrogé sur sa responsabilité au service des questions juives à Bordeaux. Son voisin de bureau a témoigné difficilement.
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 6 novembre. Dix neuvième journée d'audience. En raison de la grève nationale des avocats et à la demande du bâtonnier de Bordeaux qui s'exprime à la barre des témoins, le président Jean-Louis Castagnède accepte de retarder l'audience d'une demi-heure. Jusqu'à 14 heures.
Maurice Papon reste dans le box. Il consulte quelques documents et discute avec l'un de ses trois avocats, le bâtonnier Rouxel.
A la reprise de l'audience, le président Castagnède interroge l'accusé sur l'organisation de la préfecture de Bordeaux. Mais avant de répondre, Maurice Papon tient à faire deux observations sur la déposition de Marc Olivier Baruch, la veille. L'une tient à une contradiction dans le propos de l'historien, l'autre dans sa lecture des archives : " Dans l'administration, les fonctionnaires prenaient beaucoup de précautions de style, il s'était institué un langage codé ".
Puis, il en vient à la préfecture de Bordeaux. Au rôle, d'abord, du préfet régional Maurice Sabatier qui " s'appuyait sur trois organes, le cabinet dirigé par M. Chapel, l'intendant de police et l'intendant des affaires économiques ". Au préfet délégué Louis Boucoiran, ensuite, qui avait reçu par arrêté du 20 juin 1942 un certain nombre de délégations à l'exception des affaires réservées. Au secrétaire général de la préfecture Maurice Papon, enfin, qui " avait le contrôle des cinq divisions de la préfecture et la production bureaucratique ".
Le président s'intéresse plus particulièrement aux délégations de signature que Maurice Sabatier avait donné à Maurice Papon notamment pour le service des questions juives. " Ce n'est pas une délégation de compétences comme on peut le croire après un examen sommaire " se défend l'accusé qui admet cependant, avec un certain embarras, qu'il avait bien autorité, " en terme de pratique quotidienne ", sur ce service dirigé par Pierre Garat.
Maurice Papon tente d'ailleurs de minimiser les excellentes appréciations de Maurice Sabatier qui relève fin 1942 " qu'en 5 mois, Maurice Papon a repris en main avec une autorité remarquée l'ensemble des services de la préfecture " ou encore, en 1944, que " par l'autorité et l'habileté avec laquelle il a dirigé l'ensemble des services de la préfecture, Maurice Papon s'est fait en Gironde une situation de premier plan ".
Le président voudrait aussi comprendre pourquoi un nouvel arrêté est pris le 20 avril 1944 pour modifier les délégations de signature et les attribuer à Louis Boucoiran qui apparaissait jusqu'à présent comme un préfet délégué sans beaucoup d'autorité ni de pouvoir.
" Ceci doit être le reflet d'une évolution " risque Maurice Papon qui ajoute : " Fin 42, je me suis de plus en plus engagé dans l'action de la résistance à un point tel que dès 43 et à 95 % en 44, je servais la Résistance avant de servir l'administration. Maurice Sabatier pouvait se douter que je me livrais à ces activités à la suite d'un changement qualitatif de mes relations avec lui, il a alors du changer de système ". Un sourire parcourt la salle d'audience.
Le président revient alors sur cette délégation de signature pour les ordres d'internement de Juifs au camp de Mérignac. " Théoriquement, c'était Maurice Sabatier, M. Boucoiran en a peut-être signés en l'absence de Maurice Sabatier " assure Maurice Papon qui nie en avoir lui-même paraphés. " Vous savez qu'il y en a un au dossier " remarque le président qui donne effectivement lecture d'un ordre d'internement du 25 juin 1942, signé par Maurice Papon, ainsi que d'une note rédigée quatre jours plus tard par Maurice Papon pour expliciter cette décision.
Silence embarassé de l'accusé qui tente aussitôt de se justifier : " Il a pu y avoir des interversions de signatures selon la vie quotidienne des signataires. J'ai pu signer à la place de Boucoiran et inversement ". L'explication est peu convaincante. " C'est une observation de bon sens, insiste-t-il. Je n'ai jamais calculé le nombre de signatures que j'ai données ici ou là, peut-être 100 000 par an. Comment voulez-vous que 55 ans après, j'apporte une réponse à votre interrogation, il faudrait que j'ai tous les moyens intellectuels et administratifs de le faire ".
Le président Castagnède arrête là son interrogatoire précis et minutieux et appelle le premier témoin.
Adrien Castanet, 77 ans, costume marron et couronne de cheveux gris, cité à la fois par le ministère public et la défense, est attendu avec impatience. Mais la déposition de l'ancien chef de cabinet de Maurice Sabatier dont " le bureau était en face de celui de Maurice Papon " à la préfecture de Bordeaux, est aussi longue que peu informative.
Le président l'interrompt même poliment alors qu'il évoque sa propre carrière à la préfecture pour lui demander de dire plutôt ce qu'il sait des attributions de Maurice Papon, et notamment du traitement des questions juives. " Je n'en sais rien " convient tout simplement Adrien Castanet.
Le témoin évoque alors un épisode d'août 1944, quelques jours avant la libération de Bordeaux, au cours duquel, par l'intermédiaire d'un ami d'enfance, il a mis Maurice Sabatier en contact avec des résistants dont Gaston Cusin. Il se souvient surtout de la " figure " de Jean Chapel et Maurice Papon lorsque Maurice Sabatier leur a parlé de cet entrevue : " Il y a eu une sorte de joie. Ils se sont rendu compte que le patron était enfin sorti d'affaire en rencontrant ces gens-là ! "
" Comment saviez vous que Maurice Papon avait des contacts avec la résistance? " l'interroge le président. " Ca tient en une demi phrase. Il est entré le jour même de la Libération de Bordeaux dans le cabinet de Cusin ". Rire étouffé dans le public.
Il est 17 h 15. le président suspend l'audience à la demande d'un juré. Durant trois quart d'heure, Adrien Castanet attend patiemment sur une chaise. Mais à la reprise, personne n'a de questions à lui poser. Seul Maurice Papon veut faire une " très brève observation pour rafraîchir la mémoire de M. Castanet " : " D'une part, j'ai été informé préalablement par M. Cusin de la rencontre avec M. Sabatier, d'autre part, M. Cusin et moi même avions convenu que je n'assisterais pas à cette rencontre car j'avais des égards à observer envers M. Sabatier ".
Il reste trois témoins à entendre. Le président demande à Bernard Bergerot et Bernard Vaugon de revenir demain. Seul André Briaud, 82 ans, cité par la défense, est retenu à la barre. " Les historiens disent des contre vérités, ils ne peuvent pas dire exactement ce qui s'est passé parce qu'ils n'ont pas vécu cette période " assène-t-il d'une voix rocailleuse, la main gauche dans la poche du pantalon.
Ce témoin dont on met longtemps à comprendre qu'il est militaire de carrière et qu'en 1943 il travaillait au fichier du STO au ministère du travail à Paris, explique au terme d'une longue déposition dont il perd parfois le fil, que Maurice Papon qu'il n'a jamais rencontré lui a sauvé la vie : " Il avait compris que je sabotais le fichier. Il m'a sauvé la vie en ne me dénonçant pas. S'il n'avait pas été un grand résistant, il n'aurait pas fait ça ". Il se tourne vers l'accusé : " Je vous remercie, je vous serrerai la main lorsque l'occasion se présentera ".
Ce témoignage tardif et inattendu étonne même l'accusé. Personne n'a de question à poser. " Pas d'observation " ajoute Maurice Papon en se levant une dernière fois de son fauteuil.
L'audience reprend ce vendredi à 13 h 30.
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