Quatre semaines à Drancy - 05/02/1998

A 27 ans, Raymonde Sonendal a volontairement rejoint Drancy pour aider son père. Elle y est restée prisonnière quatre semaines

Annie LARRANETA

" C'est moi qui recevais les punaises, je les tuais et je les balançais dessous, sur les autres, ça puait ! " Ce n'était pas une farce de potache même si, par pudeur, elle rit aujourd'hui de la mauvaise blague. Raymonde Sonendal dormait au camp de Drancy dans un châlit, au-dessus de deux autres internées. " Une petite polonaise était en bas et, au milieu, une femme médecin également polonaise qui était enceinte. Une infirmière l'a emmenée un matin pour accoucher, elle est revenue le soir, son bébé était mort. Elle est partie dans le convoi suivant... Des convois, il en partait toutes les semaines. "
En 28 jours passés à Drancy, Raymonde Sonendal qui avait alors 27 ans, a eu le temps de voir partir des milliers d'internés. " Certains étaient volontaires. Moi aussi je l'étais pour accompagner mon père... " C'est cet amour filial qui l'avait conduite jusqu'au camp. Elle n'avait pas été raflée à Bordeaux quand on était venu chercher sa famille le 10 janvier 1944, cours Alsace-Lorraine, elle était alors à Libourne.
" Ce n'est que le lendemain que j'ai su que mon père Alfred Juda, ma mère et sa soeur avaient été arrêtés. Il y avait les scellés sur la porte de la maison et c'est à " La Petite Gironde " où mon père était typographe, que j'ai appris par Alice Girou (1) ce qu'il en était. Elle m'a proposé de coucher chez elle et le lendemain quand je suis revenu au journal j'ai retrouvé ma mère et sa soeur qui avaient été libérées après avoir passé deux nuits à la synagogue. " Raymonde Sonendal est arrivée tout juste pour voir partir son père. " Un Allemand l'a bousculé avec son fusil pour le faire monter dans un autobus. Mon cousin m'a soulevée pour qu'il me voie, je crois qu'il a dit " ma fille ! ". " Si ma mère était chrétienne, mon père s'était déclaré juif en 1941 comme l'exigeaient les lois allemandes. Il n'avait pas de crainte, on était français depuis sept générations ! Pourtant, quelques jours avant son arrestation, une de mes tantes nous avait appris que le grand rabbin Cohen conseillait le départ à tous ceux qui le pouvaient. Nous n'étions pas riches, nous sommes restés... "

Raoust !

Son père était parti sans rien quand les Allemands étaient venus l'arrêter. " Raoust ! " Il avait fallu faire vite, sortir du lit, s'habiller à la hâte. Raymonde prépare alors un colis de vêtements et, avec son cousin venu voir sa mère, prend le train pour la capitale jusqu'au bureau parisien de " La Petite Gironde " où on leur indique la route pour Drancy. " A l'entrée du camp, surveillé par des gardes-mobiles français, on a refusé de prendre le colis où j'avais inscrit le nom de mon père. On a tant insisté qu'on nous a dit " rentrez le porter vous-mêmes ! " Et les portes se sont refermées.
" On est entrés dans des bureaux, il y avait là un officier allemand et un interprète, un grand rouquin alsacien. On était arrêtés. On nous a laissés là pendant des heures au milieu d'employés français. Il y en avait un, odieux. Pour nous saper le moral, il a dit qu'il avait vu des gens se traîner par terre au moment d'être fusillés. Je lui ai répondu que si on devait y passer, on n'en ferait pas autant... On a pris mon cousin, on l'a examiné et comme il n'était pas circoncis, on l'a libéré. Moi, on me gardait, j'ai sorti mes bagues et mon argent que j'ai remis à mon cousin qui repartait "
Appelé dans le bureau, Alfred Sonendal est tombé dans les bras de Raymonde " ma fille, je suis sauvé ! " " Il était naïf, c'est moi qui était prisonnière ! " Il y avait là d'autres membres de la famille, ses soeurs Camille Torrès et Pauline Delvaille et son mari et des cousines. Pauline et Louis auraient pu échapper à Auschwitz. " Quand on est venus les arrêter le 10 janvier 44, les policiers français leur ont dit " préparez un sac de linge, on revient dans une demi-heure... et ils les ont attendus ! Isidore, le frère de mon père et sa femme, eux, n'ont pas répondu quand on a frappé à leur porte et plus tard dans la nuit ils sont partis à pied jusqu'à Libourne. Ils ont été sauvés ! "

Le bon numéro

Raymonde et son père aussi s'en sont sortis. Miraculeusement. " Quand j'ai été arrêtée à Drancy j'avais un papier comme quoi j'étais demi-juive. L'officier allemand l'a déchiré et me l'a jeté à la figure en me disant que pour 500 francs toutes les préfectures en donnaient de semblables. Mais le mien était vrai. C'est ma tante, ma mère était trop secouée, qui est allée chercher dans les Landes tous les certificats de baptême y compris ceux de mes grands-parents. Peut-être sont-ils arrivés à Drancy... Nous avions tous des numéros et quand mon père était appelé dans un bureau j'allais avec lui en prétextant qu'il était sourd et à moitié fou, ce que traduisait l'interprète alsacien auquel on doit peut-être quelque chose... "
De ces quatre semaines passées dans l'antichambre d'Auschwitz, Raymonde Sonendal garde, malgré ses 81 ans, des souvenirs très précis. " Tous les jours on voyait arriver des autocars accompagnés par des miliciens, les gardes-mobiles étaient dans les miradors et de temps en temps on voyait des Allemands. Quand on les apercevait, on partait vite. Aux hommes, ils donnaient des coups de poing sous le menton pour faire tomber leur chapeau... On n'avait presque rien à manger : un bouillon avec quelques morceaux de rutabagas le matin et un morceau de pain noir... On s'organisait entre nous, des instituteurs faisaient travailler les enfants... "
Tous les internés avaient une étiquette, la rose ou la mauve. Raymonde et son père ont eu un jour la seconde, un bon pour Auschwitz. " On ne savait pas pour où à l'époque mais on savait que c'était pour le pire. Quand j'ai quitté, libre, le camp avec mon père, mes tantes m'ont dit " regarde-nous mon enfant et rappelle-toi toujours... Je me suis convertie en souvenir de tout ça. "

(1) Alice Girou, résistante, a longtemps dirigé le service social de Sud-Ouest.

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