Pendant ce temps, au village de M.Papon - 08/10/1997

A Saint-Amand, les mésaventures de l'ancien maire, Maurice Papon, viennent perturber un quotidien paisible

Jean-François MEZERGUES

Phare terrien du sud du Cher, une ville de 12 000 habitants reçoit les images et les commentaires du procès de Bordeaux de plein fouet. Comme un méchant boomerang que tout le monde se défend d'avoir lancé. l'Histoire revient par ricochet tourmenter une population sans histoires aspirant uniquement à vivre en paix. Bordeaux paraissait si loin, les souvenirs de l'Occupation si vagues.
Dans ce modeste centre de tradition bijoutière et d'imprimeries, bourgeoisie aisée, parfois nostalgique du 19e siècle, majorité municipale RPR-UDF soudée autour du sénateur-maire Serge Vinçon, " l'héritier " de l'ancien ministre d'Etat, on vivait l'après-Papon comme l'avant. La conscience tranquille. En toute innocence.
On s'efforçait d'oublier les tristes révélations du Canard Enchaîné. En quoi Saint-Amand serait-elle coupable de la France de Vichy et des rafles de Bordeaux ? Ici, l'Histoire passe, elle ne s'arrête pas aux soucis quotidiens des gens qui ne se mêlent pas des affaires de leurs voisins.

La poussière du temps

La voilà qui entre avec fracas, à grand renfort de documents deterrés de la poussière du temps. Il n'y a plus d'échappatoire, pas de faux-fuyants possible. Pourtant, au matin du premier jour du procès, Pierre, 16 ans, élève de seconde au lycée Jean Moulin, ignore encore que Maurice Papon a conduit la municipalité pendant douze ans. " Pour le reste, le passé c'est pas mon fort. S'il a fauté, qu'on le juge. Et qu'on n'en parle plus ".
Claire, 17 ans, terminale classique, en a beaucoup entendu parler en famille. " Les dessous de la politique me dépassent. Je n'ai pas la prétention de demander des comptes à un vieux monsieur que je n'ai jamais vu. Cela regarde et intéresse surtout nos parents. "
Les parents justement aimeraient bien mettre une sourdine au tam-tam de l'Histoire. Au comptoir du bar-tabacs-journaux Le Chiquito, à l'angle de la rue des Victoires et de la rue Nationale, la majorité silencieuse reste taisante. Le nez dans les colonnes de l'Equipe, ou sur les pages locales du Berry et de la Nouvelle République, les quotidiens ancrés dans le terroir, les premiers clients n'invitent pas au débat. La victoire de Monaco, la veille sur Canal +, et le départ des amis de Nottuln, la ville jumelle de Westphalie, accompagnent mieux le petit noir que les miasmes d'une époque obscure. On a tout juste le temps de l'avaler avant de filer au boulot. Il y a presse. L'aparté mezza voce du bout du zinc ne s'ouvre pas davantage à l'étranger. L'intrus.

Les loups rodent

A l'Hôtel de ville, Serge Vinçon n'est pas dans son bureau. Il siège au Sénat en attendant d'aller à Bordeaux témoigner en faveur de Maurice Papon. Il ne renierait pas ses propos rapportés hier par Le Berry : " Mais pourquoi me taire ? J'ai de l'admiration pour celui que j'ai côtoyé et auprès de qui j'ai fait mon apprentissage d'homme public. J'ai appris de lui à me fortifier, le sens de l'effort, à tirer la leçon de l'Histoire. (...) N'est-ce pas un peu facile de hurler aujourd'hui avec les loups ? "
Les loups ne sont pas loin. Ils rôdent dans la ville. Au lycée Jean Moulin, c'est un soixante-huitard barbu et membre des " Amis de Louis Lecoin ", une association pacifico-anar. Le prof de maths, Alain Pennetier, attend impatiemment une " franche condamnation ". Il l'appelle de tout son être. " D'abord, parce que depuis les révélation de 1981, il a toujours nié, parlant de basses manoeuvres politiques, de complot, de cabale. Au bout du compte, il aura ce qu'il semble avoir recherché ".
A la Poste, c'est Joël Bugnone, militant du PC, dont les copains ont été assassinés à Charonne et des aînés traînés en justice par Papon et condamnés pour affichage diffamatoire. Aujourd'hui, le prof et le postier mènent le même combat. Au nom de la mémoire. La mémoire dont les tourments n'ont pas fini de torturer les coeurs de Saint-Amand la paisible.


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