Papon est libre - 10/10/1997

A la surprise générale, Maurice Papon, détenu depuis mardi soir, a été remis en liberté hier, mais son procès continue lundi devant la cour d'assises de Bordeaux

BERNADETTE DUBOURG

Vendredi 10 octobre. Troisième jour d'audience. Il est 13 h 34 lorsque les magistrats et les jurés prennent place dans la cour d'assises. La salle d'audience est à moitié vide. Un léger brouhaha se fait pourtant entendre lorsque Maurice Papon, costume sombre et chemise jaune, d'un pas assuré et dossier sous le bras, monte dans le box des accusés ".
" Un peu de silence " réclame le président Castagnède d'une voix sèche. Puis sur un ton grave, avec des accents parfois dramatiques, il donne immédiatement lecture de la décision de la cour sur la demande de mise en liberté, longuement plaidée mercredi et jeudi par Me Jean-Marc Varaut.
La salle est silencieuse. Pourtant, très vite, il y a quelques mouvements sur le banc des avocats des parties civiles. Ces juristes devinent que la décision n'est pas celle qu'ils attendent.

Le cœur fendu

Lorsque le président conclut : " la cour ordonne la mise en liberté de l'accusé ", personne ne bouge. La surprise tétanise les parties civiles. Dans son box, derrière la vitre qui le protège du public, Maurice Papon ne manifeste aucun sentiment.
Puis Me Arno Klarsfeld, le fougueux avocat de l'association des fils et filles des déportés juifs de France, présidée par son père Serge, se lève et annonce : " Je me retire d'une salle où le procès n'a plus de sens ". Le président Castagnède s'étonne de sa réaction, lui demande de rester et s'inquiète de la présence du bâtonnier. Mais Arno Klarsfeld jette son sac à dos bleu marine sur le dos et quitte la salle d'audience.
Aussitôt d'autres parties civiles se lèvent. Juliette Drai-Benzazon, la première : " Depuis 16 ans, nous faisons confiance à la justice. Aujourd'hui, je suis furieuse, c'est fête pour nous (Yom Kippour), j'arrive du cimetière, j'ai le coeur fendu "; suivie par Michel Slitinsky puis Simon Haddad et d'autres encore.
Le président Castagnède essaie de poursuivre l'audience où il l'avait interrompue la veille, avec l'appel des témoins. Il a juste le temps d'indiquer que Pierre Pasquini, cité par la défense, se trouve à l'étranger. Me Boulanger demande une suspension d'audience " compte tenu de l'émotion que cette décision suscite chez les parties civiles ".
Le président l'accorde volontiers, en soulignant : " Je sais gré aux parties civiles de ne pas avoir réagi autrement qu'elles ont réagi ".
A l'extérieur de la salle d'audience, les parties civiles ne cachent pas leur fureur, leur peine ou leur émotion. " On est en train de payer les péripéties de l'envoi en prison hier soir. Il y a dans cette opération, une sorte de comédie de boulevard, on voudrait nous rendre victime des erreurs faites par l'administration " fulmine Michel Slitinsky.

Modifier la loi

Il fait très directement allusion aux événements de la veille. Déjà, lorsque les deux médecins experts ont rendu leurs conclusions, préconisant une détention en milieu hospitalier, personne n'a compris pourquoi la cour ne statuait pas sur le champ, mais renvoyait sa décision au lendemain.
D'autant que le soir, l'administration pénitentiaire a décidé par " mesure préventive " de ne pas garder Maurice Papon à la prison de Gradignan où il devait passer une troisième nuit, mais de le faire transférer à l'hôpital cardiologique de Haut-Lévêque, dans la banlieue de Bordeaux, où il a selon son avocat " passé une bonne nuit ".
Vendredi matin, tout le monde pensait qu'il y resterait les nuits suivantes, comme l'avait accepté le procureur général dans ses réquisitions. Personne ne s'attendait à cette décision.
A la reprise de l'audience, quelques minutes plus tard, Me Boulanger demande au président de suspendre les débats jusqu'à lundi " afin de permettre aux parties civiles de se rencontrer et arrêter une position ". Le président accepte.
Les parties civiles quittent le palais de justice et se retrouvent à la Concorde, la brasserie voisine. L'émotion est encore forte, la discussion est vive et animée puis peu à peu les passions se calment. " Nous respections la décision de la cour d'assises prise en toute indépendance par les magistrats soumis à forte pression " assurent ainsi Mes Gérard Boulanger et Dominique Delthil qui, dès le mois d'août, ont dit que leur souci principal n'était pas la détention mais le procès.
" Nous continueront à participer au procès. Nous allons même nous battre plus que jamais. Nous allons également demander au gouvernement de déposer un projet de loi pour modifier la procédure pénale et faire en sorte que si Maurice Papon est condamné par les assises, il soit écroué, et ne demeure pas libre jusqu'au pourvoi en cassation ".

Le procès continue

A l'intérieur du palais de justice, Me Jean-Marc Varaut fait sa dernière déclaration : " C'est une victoire pour la justice, la cour a dit le droit, c'est toujours impressionnant. Maintenant, le procès peut être équitable. A partir de cet instant, sauf cas exceptionnel, je réserverai à la cour mes explications afin que le procès se poursuivent à l'intérieur et non hors ses murs ". " L'arrêt rendu est un hommage à la justice " ajoute le bâtonnier Rouxel.
Me Varaut confie que Maurice Papon a accueilli cette décision avec une " émotion heureuse " : " Il était plus étonné que nous ne l'étions. Il a appris à douter, il commence à espérer. Je suis convaincu que devant des juges et des jurés indépendants, il sera acquitté ".
Alors que la levée d'écrou a exceptionnellement lieu au palais de justice, les avocats qui n'avaient pas prévu cette liberté, cherchent une chambre d'hôtel à Maurice Papon qui attend ses enfants dans la soirée. Il logera, du moins pour une nuit, au relais de Margaux en Médoc.
Normalement le procès, où tout depuis mercredi est exceptionnel et qui peut réserver encore bien des surprises, reprend lundi à 13 h 30.


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