"Papon doit payer" - 03/04/1998

Dernier acte de la procédure, la cour d'assises a condamné Maurice Papon à verser près de 4,6 MF d'indemnités aux parties civiles

Bernadette DUBOURG

L'audience civile qui s'est tenue dans la salle d'audience de la cour d'assises pourrait être, en quelque sorte la quatre-vingt quinzième et dernière du procès Papon. Elle marque en tout cas l'ultime acte bordelais de cette procédure engagée il y a plus de 16 ans, et achevée jeudi matin par la condamnation de l'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux à 10 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité.
Maurice Papon, désormais " condamné ", même si la décision n'est pas définitive tant que la cour de cassation n'a pas statué sur son pourvoi, était absent de l'audience. Il avait regagné la veille son domicile familial de Gretz-Armainvilliers en Seine et Marne. Dans le box, le fauteuil de cuir noir était tourné vers la porte. Comme un symbole.
Les jurés ne participaient pas non plus à cette audience où seuls siégeaient le président Jean-Louis Castagnède et ses deux assesseurs, Jean-Pierre Esperben et Irène Carbonnier.

Compétence

D'entrée d'audience, le bâtonnier Marcel Rouxel qui représentait seul Maurice Papon a soulevé l'incompétence de la cour d'assises au profit du tribunal administratif. Il estimait, en effet, que " les faits pour lesquels Maurice Papon ne sont pas détachables de sa fonction " et que c'est à l'Etat français d'indemniser les victimes.
" Nous avons tous plaidé que Maurice Papon avait agi dans le cadre de ses fonctions sous le gouvernement de Vichy " ont convenu deux avocats des parties civiles, Mes Levy et Zaoui, partageant ainsi les " excellentes " explications de la défense : " Maurice Papon a agi comme fonctionnaire d'un Etat qui existait bel et bien même si le gouvernement, lui, était illégitime ".
Leurs confrères n'ont pas apprécié qu'ils " volent au secours de Me Rouxel ". " On cherche par ce biais à réhabiliter une opération qui a échoué pendant le procès. Cette demande traduit une vision révisionniste de l'histoire en disant que l'Etat est responsable " a commenté Me Boulanger.
" les vieux fantômes entrent à nouveau dans le prétoire ", a également déploré le bâtonnier Favreau, pour lequel aucun " citoyen français ne peut aujourd'hui se prévaloir de ses fonctions sous Vichy pour des actes discriminatoires qui ont été annulés le 9 août 1944 par le gouvernement provisoire ", " Maurice Papon doit répondre seul de ses actes personnels ".
" Ce débat me parait un peu irréel " a commenté l'avocat général Marc Robert. Le procureur général Henri Desclaux était retenu à Paris par " une importante réunion " du Conseil supérieur de la Magistrature. " La République française n'a pas à payer les frais exposés dans un procès pour crime contre l'humanité du gouvernement de Vichy " a conclu Marc Robert pour le rejet de cette demande.
De fait, en fin d'après-midi, la cour d'assises a écarté cette exception d'incompétence.

Dommages et intérêts

Elle a, dès lors, statué sur les demandes de dommages et intérêts sollicitées par les parties civiles, ainsi que l'indemnisation des frais de procédure, exposés par leurs avocats.
Là encore, les avocats des parties civiles ont eu du mal à taire leurs dissensions. La majorité a demandé le franc symbolique de dommages et intérêts ainsi que le défraiement, en quelque sorte, des frais engagés depuis le début de la procédure, même s'il y avait parfois une gêne à parler d'argent. " L'ensemble des confrères des parties civiles sont des avocats militants qui ont accepté de travailler bénévolement, comme une nécessité de conscience. Mais aujourd'hui, la note est lourde pour tout le monde. A l'heure où un avocaillon (allusion à Me Klarsfeld, absent de cette audience) dit que nous travaillons pour notre carrière, nous pouvons nous regarder dans une glace ". " Nous ne pouvons accepter le paradoxe que les seuls à payer les conséquences des actes de l'accusé, soient les victimes. Papon doit payer " a ajouté Me Blet.
Si Me Zaoui et Me Levy n'ont demandé aucun dommage et intérêt pour les associations qu'ils représentent, ils ont cependant sollicité une indemnité pour les frais, tout en révélant l'insolvabilité de Maurice Papon qui, dès janvier 1996 a donné sa maison à ses enfants, puis l'année suivante son appartement parisien. " Il a pris ces dispositions patrimoniales en raison de son état de santé et celui de sa femme (décédée la semaine dernière) " a répliqué Me Rouxel.
Me Welzer qui représentait également Me Klarsfeld a d'ailleurs senti le danger de ne jamais toucher le moindre centime. Contrairement à ses confrères, il a sollicité des dommages et intérêts d'un total de 2 MF pour 10 parties civiles dont l'association des fils et filles de victimes, présidée par Serge Klarsfeld, ainsi que des indemnités.
A la fin de l'audience, Maurice-David Matisson s'est levé pour remercier ses avocats et renoncer au moindre centime : " Je ne veux pas souiller la cause que le défends. Je ne suis venu ni pour la gloire, ni pour le fric ". En revanche, Juliette Benzazon, rentrée la veille d'Israël, a sollicité la réparation de son préjudice pour " aider la communauté à construire une maison de retraite ".


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