En fin d'audience, hier, Maurice Papon s'est vivement défendu contre les attaques portées depuis une semaine autour de la répression de la manifestation algérienne d'octobre 1961 alors qu'il était préfet de police de Paris
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Mardi 21 octobre. 10 ème jour d'audience. Aujourd'hui, encore, la cour entend plusieurs témoins cités par la défense de Maurice Papon.
Claude Bouchinet-Serreulles, 87 ans, long et maigre, vêtu d'un costume bleu marine aux fines rayures blanches, avance d'un pas hésitant vers la barre. Il tourne lentement sur lui-même, dévisage la cour et les avocats, puis d'une voix chevrotante parle « des évènements dont j'ai été le témoin en 1944 ».
Entre 1940 et 1943, il était membre du cabinet du Général de Gaulle à Londres avant de rejoindre en France l'entourage de Jean-Moulin. Fin août 1944, il était chargé de rencontrer les nouveaux commissaires de la République dans le sud de la France : « A Bordeaux, j'ai trouvé Gaston Cusin qui maitrisait la situation. Sa préoccupation était de maintenir ou rétablir l'opinion publique, les institutions de la République et veiller au ravitaillement ».
« Il m'a gardé à déjeuner et m'a présenté ses collaborateurs les plus proches. Parmi ceux-là, il y avait Maurice Papon dont il m'a dit : « Papon était avec nous, il a rendu de grands services à la résistance. Nous lui avons demandé de rester sur place le plus longtemps possible car il est clair qu'il rendait plus de service à la préfecture même, qu'en choisissant la clandestinité ».
Gaston Cusin n'a pas précisé quels genres de services Maurice Papon avait pu rendre : « Il fallait se fier à ce que disaient ceux qui étaient en place. Je n'étais pas surpris d'apprendre que c'était « un homme à nous » selon l'expression du Général de Gaulle ».
Sur une question de Me Jakubowicz, ce vieux Gaulliste précise : « Je ne pense pas que le commissaire de la République était en bonne position pour faire une enquête poussée. A la place de Cusin, j'aurais agi de même, m'en remettant à ceux qui voulaient m'apporter leur appui ».
A la reprise de l'audience, la cour entend Maurice Doublet, 83 ans, dont la carrière dans la préfectorale a croisé à trois reprises celle de Maurice Papon : « Je n'ai qu'à me féliciter des rapports que j'ai eu avec lui. Papon était certainement un chef responsable, exigeant, d'une intelligence exceptionnelle, d'une culture très forte et toujours pour moi d'une fidélité exemplaire et je tiens à lui rendre hommage en cet instant ».
C'est sur le même ton décidé et avec toute l'autorité que lui confère sa connaissance de la préfectorale qu'il affirme : « Le libre arbitre n'existe pas quand on est préfet. La hiérarchie n'est pas un vain mot, le préfet a sous ses ordres des collaborateurs qui n'ont pas le droit de désobéir à leur patron. Maurice Sabatier était un grand administrateur, un exécutant du gouvernement, qu'il soit de fait ou de droit. Maurice Papon n'était ni coupable ni responsable, il n'était que le collaborateur de l'exécutant ».
Les avocats des parties civiles multiplient les questions. Le Préfet s'énerve et leur répond sèchement : « On est en train de faire le lit des intolérants, des antisémites et des fascistes ».
Le témoignage suivant, celui de Roger Chaix, est attendu avec interêt depuis jeudi dernier. Ce préfet honoraire de 77 ans, costume gris, épaules légèrement voutées, était au service des questions algériennes à la préfecture de police de Paris lors de la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1967. Il assure que « l'attitude du préfet de police a été d'une parfaite indépendance d'un côté comme de l'autre, qu'il n'y a jamais au d'autres instructions que d'obéir aux ordres du gouvernement ».
Il confirme le chiffre officiel de trois morts. « Que pensez-vous des 200 ou 300 morts dont parlent les historiens? » l'interroge un avocat. « Qui les a vus? Comment en plein Paris, à une heure peu avancée, sous les yeux des Parisiens, on a pu jeter des hommes dans la Seine. il faudrait d'énormes complicités ».
Maurice Papon n'a pas d'observation à faire dans l'immédiat. « Mais si vous le voulez bien, dit-il au président, j'aurais des observations importantes, primordiales à faire à l'issue de ce débat ».
Le président rappelle alors à la barre Jean-Luc Einaudi en lui demandant d'être « précis et concis ». L'auteur de « la bataille de Paris » confirme les accusations qu'il a portées jeudi dernier contre Maurice Papon. « Pourquoi apporter plus de crédit à M. Einaudi qu'à un autre ? interroge Roger Chaix.
Il est déjà 18 heures et Maurice Papon qui semblait un peu las, se resaisit, enlève ses lunettes, se lève, saisi une feuille sur laquelle il n'a cessé de prendre des notes et répond longuement à « tout ce qui a été proféré ici » : « S'il ne s'agissait que de moi, ce serait peu de chose, mais il s'agit de la France, de la République, son gouvernement qui sont compromis par cette campagne amorcée depuis longtemps déjà et qui trouve son épanouissement dans cette enceinte ».
D'un ton ferme et combattif, avec une étonnante mémoire des faits, des dates et des noms, il expose le contexte de la guerre d'Algérie, rappelle les triples enjeux politiques et stratégiques du FLN, détaille les moyens mobilisés par le FLN pour arriver à ses fins, et aborde la manifestation du 17 octobre 1961 : « C'est là où je suis sauvagement pris à partie ».
Il admet que la préfecture de police a admis deux erreurs stratégiques mais confirme les trois morts officiels « dont un qui était cardiaque et n'a pas résisté à l'émotion. Paix à son âme ». Il fustige surtout ces accusations « intolérables pour mon honneur et ceux qui gouvernent la France ».
Maurice Papon qui sait manier le sarcasme aussi bien que la langue française, poursuit : « Monsieur Frey s'en est expliqué, il est décédé il y a peu, il ne peut pas être poursuivi. M. Debré s'en est expliqué, il est décédé, il ne peut être poursuivi. Il reste l'ancien préfet de police qui n'a pas de chance, malgré ses ennuis de santé, de vivre encore à 87 ans et de répondre de la République et de la France. Mais de la France, tant que j'aurais un souffle, je n'y laisserai pas toucher ».
Maurice Papon a parlé durant trois quarts d'heure. Il se rasseoit. Il est presque 19 heures et le président renonce à entendre le quatrième témoin, Jean-François Steiner, qui accepte de revenir aujourd'hui. L'audience reprend à 13 h 30.
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