Les charges finalement retenues - 02/04/1998

La cour d'assises a estimé que Maurice Papon n'avait pas connaissance de l'extermination des Juifs. Seules ont été retenues dans quatre convois sur huit des complicités d'arrestation et de séquestration.

Bernadette DUBOURG

Lorsque les jurés se sont retirés mercredi en tout début d'après- midi, l'on se doutait que leur réflexion serait longue. Pas au point, cependant, de les retenir tout l'après-midi puis toute la nuit. Le délibéré a duré 19 heures.
Ils avaient certes à répondre à 764 questions, concernant le sort de 72 victimes juives, arrêtées à Bordeaux, séquestrées au camp de Mérignac puis déportées à Drancy dans l'un des huit convois qui ont quitté Bordeaux entre juillet 1942 et mai 1944. La nature de leur verdict témoigne d'une discussion minutieuse, au cas par cas, convoi par convoi.
Mais surtout, on peut imaginer un débat autour de la connaissance que pouvait avoir le secrétaire général de la préfecture de la Gironde de la solution finale. En écartant toute complicité d'assassinat ou de tentative d'assassinat, les jurés ont admis que le haut fonctionnaire de Vichy ignorait tout du plan concerté d'extermination des juifs, en 1942, en 1943 mais aussi 1944, comme n'a cessé de le marteler Me Varaut à longueur de procès : " Le secret le mieux gardé de la guerre ", en appelant aux témoignages des plus grands résistants. Maurice Papon a peut-être frôlé l'acquittement.
A 9 heures, précises, lorsqu'ils sont revenus dans la salle d'audience, leurs traits étaient tirés, leur visage marqué par une nuit sans sommeil. Les six jurés et les deux magistrats suppléants qui avaient passé l'après-midi et la nuit dans la salle des témoins, ont alors pris place au premier rang du public.

Des preuves

Maurice Papon, qui avait passé la nuit dans la maison où il logeait depuis novembre à Izon, entre Libourne et Bordeaux, avait été avisé trois quarts d'heure plus tôt. Le temps pour l'escorte policière de le ramener au palais de justice de Bordeaux.
Peu avant 9 heures, il est entré dans le box, en costume gris et cravate noire, sa mallette à la main. Il s'est laissé choir dans le fauteuil de cuir noir, a ouvert sa mallette posée sur le siège à côté de lui, en a sorti une feuille blanche, l'a lue puis l'a reposée. De nombreux policiers en civil et en uniforme ont pris place autour du box, et devant chacune des portes de la salle d'audience.
Lorsque la cour a fait son entrée, il s'est levé, tapotant nerveusement de la main droite sur la tablette en bois devant lui, puis il s'est rassis pour écouter le président, lire, d'une voix éraillée, les réponses des jurés et de la cour.
" Le crime contre l'humanité ne peut être tronçonné. C'est tout ou rien. Je suis coupable ou innocent " leur avait dit mercredi Maurice Papon, au cours de son intervention, à la clôture des débats.
La cour et les jurés ont fait une tout autre analyse des faits qui étaient reprochés à l'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux. D'abord, ils n'ont retenu la culpabilité de Maurice Papon que pour quatre des huit convois visés par l'acte d'accusation. Puis, pour les quatre convois restants, ils n'ont retenu que les complicités d'arrestations et de séquestrations des juifs arrêtés et détenus à Bordeaux.
Cette analyse qui se base davantage sur des preuves matérielles que sur une " responsabilité globale " de Maurice Papon, se rapproche assez des explications développées à l'audience par Me Arno Klarsfeld, mais aussi -et c'est le plus surprenant- du raisonnement du parquet général de la cour d'appel de Bordeaux dans son réquisitoire définitif de décembre 1995. Alors même qu'à l'audience, le procureur général et l'avocat général ont rejoint les parties civiles et soutenu contre Maurice Papon l'ensemble des accusations, avant de requérir 20 ans de réclusion criminelle.
Tout au long des six mois de procès, le parquet général a d'ailleurs été la cible privilégiée de Maurice Papon qui, comme son principal avocat Me Jean-Marc Varaut, n'a cessé de critiquer les " évolutions " de l'accusation. Mercredi, encore, Maurice Papon interpellait, méprisant, le procureur général Henri Desclaux : " Il serait intéressant de savoir pourquoi le réquisitoire a changé de costume. Ce qui était vrai il y a deux ans, cesse de l'être aujourd'hui. Quand vous trompez-vous ? Hier ou aujourd'hui ? Vous distillez vous-même le doute par vos discours confus et contradictoires ". Il lançait même au magistrat : " Si vous me condamnez, vous rentrerez dans les annales, mais par la porte de service ".

Personnalisation

De fait, il ressort que les jurés et la cour ont fait " la part des choses " entre ce qui pouvait réellement être imputable à Maurice Papon, comme des réquisitions de gendarmes, policiers ou moyens de transports pour l'arrestation des juifs ou l'escorte des convois, de ce qui n'était pas prouvé. Ainsi, ils ont écarté le convoi de septembre 1942 où Maurice Papon était absent de Bordeaux; ceux de novembre 1943 et de décembre 1943 -" la préfecture est court-circuitée, elle n'est informée ni des arrestations ni des convois organisés et exécutés par les Allemands " avait plaidé Me Varaut-; et celui de mai 1944. " Dès lors que l'information n'a mis en évidence aucune action personnelle de Maurice Papon en relation avec ces événements, sa responsabilité ne peut être recherchée " concluait d'ailleurs le parquet général en décembre 1995.
Par contre, les jurés ont reconnu la culpabilité de Maurice Papon dans la séquestration de Léon Librach, la première rafle et le premier convoi de juillet 1942, l'arrestation des enfants et le convoi d'août 1942, la rafle et le convoi d'octobre 1942 (ainsi que la tentative d'arrestation de Michel Slitinsky le 19 octobre), puis la rafle et le convoi de janvier 1944.
Pour ces crimes contre l'humanité, constitués -exclusivement- de complicité d'arrestations et de séquestration, la cour et les jurés ont condamné Maurice Papon à 10 ans de réclusion criminelle, suivant également le raisonnement de Me Klarsfeld sur la " peine graduée " et de manière plus nuancée, la position du parquet général sur " la responsabilité de chacun ". " Il faut être impitoyable, mais dans l'équité, le respect de la personnalisation des peines. Si Maurice Papon est un rouage essentiel de ce crime, il n'en est ni l'instigateur, ni le seul complice " avait assuré Henri Desclaux, refusant de faire de Maurice Papon " un bouc émissaire ".
Tout au long de l'énoncé du verdict, Maurice Papon, mettant sa main gauche en pavillon derrière l'oreille, est resté impassible. Il n'y a pas non plus eu la moindre réaction dans la salle d'audience. Après le verdict, Maurice Papon est resté de longues minutes dans le box pour discuter avec ses avocats. Me Varaut semblait le plus éprouvé.


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