Michel Slitinsky (Crédit P. Taris)
La défense de Maurice Papon a tenté de déstabiliser son principal accusateur, Michel Slitinsky
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 22 janvier. Cinquante troisième journée d'audience. Michel Slitinsky revient à la barre. Il poursuit le récit, interrompu la veille en raison de l'heure tardive, de ce que le président appelle " l'instruction parallèle du dossier ". Cet homme de 72 ans qui se consacre depuis des années à " l'affaire Papon ", parle notamment des témoignages recueillis auprès de familles qui ont hébergé des enfants juifs en juillet 1942, après l'arrestation et la déportation de leurs parents, et les ont cachés jusqu'à la fin de la guerre.
A plusieurs reprises, le président Jean-Louis Castagnède incite Michel Slitinsky à parler des faits pour lesquels il est partie civile. Il lui rappelle ainsi les coups de feu tirés par les policiers lors de l'arrestation de son père et de sa soeur Alice, dans la nuit du 19 au 20 octobre 1942, et qu'il a omis d'évoquer, la veille. Il le pousse aussi à relater les circonstances dans lesquelles il a appris le décès de son père, Abraham, déporté le 6 novembre 1942 à Auschwitz.
Mais Michel Slitinsky revient inlassablement sur la longue quête qui l'a conduit, dès la fin de la guerre, à rechercher, trier, classer, comprendre des archives puis témoigner de ses découvertes dans plusieurs livres, sur la résistance d'abord, sur l'affaire Papon ensuite. Michel Slitinsky qui attend depuis 16 ans cette confrontation avec l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, pourrait parler encore longtemps.
Me Levy, tout en y mettant les formes, rappelle que la cour a pris du retard et qu'il serait souhaitable de rester sur le convoi d'octobre 1942 dont l'examen aurait du être achevé lundi dernier. Michel Slitinsky comprend et conclut : " Nous autres témoins et victimes, j'espère que les jurés continueront à nous écouter. Nous sommes convaincus que notre travail sert l'histoire et la mémoire ".
Me Vuillemin, un des trois défenseurs de Maurice Papon, entreprend alors de déstabiliser Michel Slitinsky. Ce jeune avocat qui est peu intervenu depuis le début du procès et qui, d'habitude, se tient aux côtés de Maurice Papon dans le box de l'accusé pour l'aider à trouver ses documents, a soigneusement noté ses questions sur une feuille. Mais auparavant, il remet à la cour un exemplaire du dernier livre de Michel Slitinsky, " Le procès Papon ", paru en septembre 1997, ainsi que quelques pages de son livre " l'affaire Papon ", paru en 1983.
Me Vuillemin s'intéresse d'abord aux " archives " retrouvées par Michel Slitinsky en 1945 dans la Forêt Noire, " dans une ferme, sous une meule de foin " comme il l'a raconté la veille à la barre et écrit dans son dernier livre, ou " dans une mare " comme une journaliste le relatait en 1983. " Il ne vous arrive pas d'avoir des entretiens caviardés dans la presse ? Dans une pièce d'eau, c'est un peu roman policier " répond vivement Michel Slitinsky.
Me Vuillemin s'étonne ensuite que Michel Slitinsky n'ait jamais cité le nom de Michel Bergès. " Je sais qu'il a fait allégeance (à Maurice Papon), je ne voulais pas lui faire de publicité. Il est juste générateur des articles du Canard Enchaîné " réplique Michel Slitinsky qui indique même que Roland Dumas a été consulté avant parution de ces articles, en mai 1981, entre les deux tours des élections présidentielles.
Toujours livres en mains, Me Vuillemin dénonce une confusion sur la fonction de Pierre Garat, affecté à la délégation des questions juives (SEC). Michel Slitinsky admet cette erreur qu'il impute d'abord à Michel Bergès : " Il m'a mis sur une fausse piste ", puis à son éditeur : " Il a cru bien faire en reprenant ces pages ", et enfin à l'accusé qui " aurait du rectifier cette erreur ". " Il aurait fallu que je lise vos bouquins. Je n'ai pas perdu ce temps " réplique l'accusé.
L'échange entre l'avocat et la partie civile tourne à la confusion. Et le président suspend brutalement l'audience.
A la reprise, Me Vuillemin continue son entreprise de déstabilisation, autour d'un document figurant dans le dernier livre de Michel Slitinsky et que ce dernier admet être un " montage ". Sans rapport cependant avec le convoi d'octobre 1942, comme le font amèrement remarquer des avocats des parties civiles. Mais Michel Slitinsky s'accroche et lance, excédé, à Me Vuillemin : " Je ne suis pas l'accusé, qu'est-ce que vous me reprochez ? ".
" Vous êtes allés un peu trop loin, votre tentative de manipulation ne m'a pas déstabilisé outre mesure " affirme haut et fort Michel Slitinsky avant de quitter la barre.
Maurice Papon qui ne lui a posé aucune question, se lève, et s'adresse directement à la cour : " Je ne vais pas parler de la partie civile que l'on vient d'entendre, ni de ses erreurs, ni des quelques faux, ni de ses affabulations, ni du pilonnage médiatique auquel elle procède depuis 15 ans ". En conclusion de l'examen de la rafle et du convoi d'octobre 1942, il veut rappeler qu'un seul document, un compte-rendu, porte sa signature et dénonce une " bévue pas innocente " de l'arrêt de renvoi, qui " permet de citer sournoisement le nom de Maurice Papon une fois de plus et d'enfoncer le clou, mais le clou est en train de rouiller ".
A l'instar de Me Varaut, Maurice Papon rappelle que dans le réquisitoire définitif de décembre 1995, le procureur général concluait que " deux télégrammes, échangés les 20 et 24 octobre 1942 entre la Sipo de Paris et le KDS de Bordeaux, montrent que l'autorité occupante a contrôlé strictement l'exécution des mesures qu'elle venait d'ordonner ".
Vendredi, la cour doit commencer l'examen du convoi du 25 novembre 1943 qui a conduit 86 personnes du camp de Mérignac à Drancy. C'est le cinquième convoi reproché à Maurice Papon.
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