Le souvenir des victimes - 08/01/1998

Les petites soeurs de Thérèse Stopnicki, le grand père et le grand oncle de Juliette Benzazon, les pères d'Armand Benifla et de René Jacob faisaient notamment partie du convoi du 26 août 1942

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 8 janvier. Quarante troisième journée d'audience. La veille, le président a clairement manifesté sa lassitude devant certaines interventions. A la reprise de l'audience, Me Boulanger y souscrit. Il assure que le " triple interrogatoire de l'accusé (par le président, le procureur général et les avocats des parties civiles) est superflu, superfétatoire et même inutile ". Il s'engage d'ailleurs à ne plus poser de questions, sans promettre toutefois de ne plus parler " parce que je suis avocat de plusieurs parties civiles ".
Me Alain Levy ne partage cependant pas le point de vue de son confrère. S'il comprend le souci " d'avancer rapidement et positivement ", il défend " l'oralité des débats qui a apporté des acquis ".
Lorsque Me Varaut se lève pour interroger à son tour Maurice Papon sur le convoi du 26 août 1942 que la cour étudie pour la sixième journée d'audience, l'avocat de la défense ajoute sa voix à la critique : " Pendant trois jours, j'ai entendu un interrogatoire et pendant deux jours une espèce d'happening, une danse du scalp, des questions insultantes et outrageantes. La confusion s'est ajoutée à l'ignorance où nous sommes toujours de la préparation et de l'organisation de ce convoi et les conditions dans lesquelles sont revenus les enfants qui sont la croix de ce procès ".

"Mes petites soeurs"

" Nul n'est personnellement responsable que de son propre fait. Il n'y a pas de culpabilité collective, par amalgame, pour autrui ou pour l'exemple " plaide Me Jean-Marc Varaut avant d'interroger rapidement l'accusé, notamment sur le sort des enfants dont les parents ont été déportés en juillet 42 et qui sont, à leur tour, déportés le mois suivant. Maurice Papon répète : " Je n'ai pas su et je ne sais toujours pas comment les enfants ont pu revenir au camp de Mérignac. Ce que nous savons aujourd'hui donne à la situation un accent dramatique et douloureux. J'ai le regret de ne pas avoir pris à l'époque certaines initiatives pour empêcher ces faits, mais j'ai la conscience de ne pas être complice de leur départ pour Drancy ".
Après une suspension d'audience, la parole est aux parties civiles dont un ou plusieurs membres de leurs familles ont été déportés dans ce convoi du 26 août 1942.
Thérèse Stopnicki, 66 ans, tailleur noir et cheveux châtains, est la première à s'avancer à la barre. Ses parents ont été arrêtés à Salles et déportés dans le convoi du 18 juillet 1942. Ses petites soeurs, Nelly et Rachel, 5 et 2 ans, ont été recueillies par une voisine puis déportées à leur tour le 26 août. Cette ancienne visiteuse médicale se tient droite, parle vite et contient parfois difficilement son émotion : " J'ai échappé à ce triste sort parce que j'étais avec mes grands parents. Si j'avais été à Bordeaux, je ne serais pas là. Mais je suis là... Je ne suis pas seule, mes parents et mes soeurs sont avec moi. Si je suis partie civile, c'est pour donner une voix et un visage à des numéros sur des listes ".
Thérèse Stopnicki n'a su qu'après la guerre ce qui était arrivé aux siens : " Pendant très très longtemps, j'ai rêvé la nuit que l'un ou l'autre avaient réussi à s'échapper et revenait, mais malheureusement, ce n'était pas le cas ". Elle n'a jamais pu fonder de famille : " Dans chaque enfant que je voyais, c'était mes petites soeurs ". En 1988, elle a rencontré Mme Deysieux qui avait recueilli ses petites soeurs lors de l'arrestation des parents : " Elle m'a dit que le garde champêtre était venu et lui avait donné un avis de la préfecture pour qu'elle ramène les enfants à Bordeaux. Elle était très malheureuse, elle les aurait gardées ". Les photos des deux enfants sont projetées sur les écrans de la salle d'audience. Elle lui a aussi remis la dernière lettre de sa mère écrite du camp de Mérignac : " C'est tout ce qui me reste de ma maman ".

"Devant Dieu"

Armand Benifla, 72 ans, légèrement voûté, les cheveux très blancs, a déjà témoigné le mois dernier pour son frère, Adolphe, déporté le 18 juillet 1942. Aujourd'hui, ce retraité qui vit à Paris, évoque la mémoire de son père, Moise, 47 ans, brocanteur à Mériadeck, arrêté en mars 1942, détenu à Mérignac, déporté le 26 août sur le mur de l'atlantique et libéré en mai 1944 .
Par contre, le grand père de Juliette Benzazon, Simon Drai, 62 ans, fripier dans ce même quartier de Mériadeck, et son grand oncle, Saadia Benaim, 60 ans, cordonnier, ne sont pas revenus d'Auschwitz. Cette dame de 62 ans, énergique et passionnée, les cheveux blancs coiffés en arrière, est partie civile depuis 16 ans. Elle témoigne des humiliations de la petite écolière de 12 ans qui portait une étoile jaune et de la douleur d'avoir perdu plusieurs autres membres de sa famille dans ce convoi et celui de janvier 1944 : " J'ai transmis ma peine et mon caractère révolté à mes enfants ". Avec son franc-parler, elle se tourne vers Maurice Papon et lance : " Le jour où il se retrouvera devant Dieu, il n'y aura ni ministre, ni historien pour l'en sortir ".
René Jacob, 72 ans, retraité à Sarrebourg, costume gris et couronne de cheveux blancs, est le dernier à s'avancer à la barre. En 1940, sa famille, de souche lorraine, s'est réfugiée à Cérons. Avec son père, il a travaillé dans les vignes et les bois à Illats et Landiras. Le 28 mars 1942, de retour du travail, le père et le fils ont été arrêtés par les gendarmes de Podensac, après le couvre-feu : " Tout le village était à notre porte pour les supplier de nous laisser tranquilles. Les maires de Cérons et d'Illats sont même intervenus mais il n'y a rien eu à faire ". Jugés et condamnés par les Allemands, le fils a été libéré au début de l'été, mais le père a été déporté. Il se souvient surtout d'une phrase : " Pauvres de vous, avec le nouveau secrétaire général, vous n'allez pas être de la fête ! ". René Jacob a également perdu sa mère, son oncle, et deux tantes dans la rafle et le convoi de janvier 1944.
Aujourd'hui, la cour d'assises devrait commencer l'examen du (troisième) convoi du 21 septembre 1942 où 71 juifs dont 12 enfants internés au Fort du Hâ et au camp de Mérignac ont été transférés à Drancy et déportés à Auschwitz.


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