La promotion 97 de l'Ecole Nationale de la Magistrature a décidé d'honorer la mémoire de Paul Didier en choisissant son patronyme comme nom de baptême. Ce fut le seul magistrat à ne pas prêter serment au Maréchal Pétain
Dominique RICHARD
Depuis 1 993, les noms de baptême des promotions de l'ENM ne passent pas inaperçus. Les futurs juges ont successivement choisi de placer leur carrière sous le magistère de Giovanni Falcone abattu par la mafia qu'il traquait sans relâche, d'Alfred Dreyfus et des juristes qui ont lancé l'appel de Genève contre la corruption.
Les auditeurs actuellement en formation à Bordeaux ne se sont pas démarqués de leurs plus jeunes prédécesseurs. Ils ont décidé de rester dans l'air du temps en honorant la mémoire de Paul Didier, le seul et unique magistrat ayant refusé de prêter serment au Maréchal Pétain pendant l'Occupation.
Ce geste de désobéissance qui avait valu à son auteur d'être interné au camp de Chateaubriant date de 1941. Mais aux yeux des étudiants qui s'apprêtent à passer la robe, sa signification reste plus que jamais d'actualité." Seul contre tous, il a posé un acte. Il a dit non à l'allégeance au pouvoir politique ", explique Clément Schouler.
Le nom de Paul Didier a été proposé par les adhérents du Syndicat de la magistrature et ceux de l'Union syndicale des magistrats. Le procès de l'ancien secrétaire général de la Préfecture de la Gironde qui se déroule à quelques dizaines de mètres des amphithéâtres n'est pas étranger à cette initiative.
Au début de la scolarité, la cellule intitulée " traitement judiciaire des crimes contre l'humanité " que les auditeurs baptisent plus volontiers " Atelier Papon " a été prise d'assaut. Nombre d'étudiants qui voulaient y participer sont restés à la porte.
Plutôt vif, l'intérêt pour cette période coïncidait avec la disparition au sein de l'Ecole d'un enseignement où était disséqué l'attitude de l'institution judiciaire sous Vichy. Volonté délibérée ou remaniement de programme dictée par des considérations autres ? Toujours est-il que cette suppression a été vécue par certains comme une occultation d'un passé pas très glorieux.
C'est aussi à ce moment là que le sacrifice de René Parodi a été évoqué. Substitut au parquet de la Seine, ce magistrat résolu s'était lancé très tôt dans une résistance active. Arrêté par la police allemande, il est mort dans sa cellule en 42 après avoir été torturé. Mais sans jamais donner les noms des responsables du mouvement Libération-Nord dont il était l'un des dirigeants.
" Une majorité d'auditeurs s'est retrouvé autour de ces deux noms, insiste Catherine Massot." D'un coté, c'était le magistrat résistant, de l'autre le résistant magistrat. Le vote a été très serré. Paul Didier ne l'a emporté finalement qu'avec deux voix d'avance. Je ne crois pas qu'on puisse interpréter cet écart qui n'est pas significatif en soi. "
Le baptême de la promotion est une tradition qui remonte aux débuts de l'Ecole. Jusqu'en 1 968, les étudiants cherchaient des parrains dans les livres d'Histoire où les manuels de droit. Cette pratique rappelait celles des énarques et des militaires. C'était un signe d'appartenance, l'assurance d'une solidarité future entre anciens d'une même année.
La révolte de 68 a eu raison de cette habitude. Pendant vingt ans, les auditeurs ont voulu s'écarter d'une habitude porteuse de valeurs qui n'étaient pas les leurs. Cette année encore, dans le droit fil de cet état d'esprit, certains militaient pour une promotion " Pas de nom ".Cette position qui marquait une défiance vis à vis des effets de mode est restée largement minoritaire.
Tout comme celle sur laquelle campait Jean-François Couret. Incollable sur la vie et l'oeuvre de Malesherbes, cet auditeur aurait souhaité réhabiliter l'image de l'homme politique de l'Ancien Régime, guillotiné sous la Terreur." Avant d'être l'avocat de Louis XVI, il fut le protecteur des philosophes, l'homme qui a vidé La Bastille et l'artisan de l'Edit de tolérance universel. "
A l'heure où, dans le sillage des évêques, nombre de corps constitués se retournent sur leur passé, la pertinence de Masleherbes n'a pas sauté aux yeux du plus grand nombre. " La place du magistrat a changé. Il est perçu comme quelqu'un d'un peu mois servile. D'une certaine façon, le choix de Paul Didier illustre cette évolution ", constate Clément Schouler.
Loin des auditeurs l'idée d'instruire le procès systématique de ceux qui avaient reconnu l'autorité du Maréchal. René Parodi était de ceux-là. Ce qui ne l'a pas empêché de participer à des actions de sabotage. Mais Il demeure que la réputation de l'institution a souffert du comportement de ses membres. A la Libération, 10 % des magistrats seront révoqués. Rares seront les professions aussi sévèrement sanctionnées. A l'époque, Paul Didier devait se sentir terriblement seul.
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