Philippe Souleau étudiant historien est plongé dans les archives du réseau Jade-Amicol. (Crédit Philippe Taris)
Auteur d'une étude remarquée sur la ligne de démarcation dans le Langonnais, Philippe Souleau mène aujourd'hui un important travail de recherche sur le réseau Jade-Amicol auquel Maurice Papon revendique son affiliation.
Etudiant en cinquième année à la Faculté d'Histoire de Bordeaux, Philippe Souleau qui travaille sous la direction du professeur Marc Agostino, a réuni plus de 5 000 documents souvent inédits sur le réseau Jade-Amicol. Sa réflexion est loin d'être achevée. Mais avant même sa publication, on peut avancer sans craindre de se tromper qu'elle restaurera le crédit d'un réseau injustement décrié qui est né en Gironde et à qui Maurice Papon a rendu quelques services.
L'intervention du chef de ce réseau, le Colonel Ollivier a été décisive pour permettre à l'ancien secrétaire général de la Préfecture de la Gironde d'obtenir enfin, après plusieurs refus, le certificat de combattant volontaire de la Résistance.
Sud-Ouest.- Maurice Papon est-il un authentique résistant ?
Philippe SOULEAU.- Dans son ouvrage, " Servir l'Etat français ", l'historien Marc-Olivier Baruch a été très clair. " Rares sont les préfets, même parmi les plus fidèles à Vichy, qui n'ont pas donné des gages à la Résistance. " Maurice Papon a certainement rendu quelques services à la Résistance. Combien ? Je ne sais pas. A partir de quand ? Je l'ignore avec précision !
Ceci-dit, un fonctionnaire même bien placé ne pouvait rendre que des services limités. Il s'agissait essentiellement d'une aide matérielle : fausses cartes d'identité et d'alimentation. A cela s'ajoutait un peu de renseignements économiques ou politiques mais très peu de renseignements militaires.
S-O.- Comment Maurice Papon se rapproche de Jade-Amicol ?
P.S.- Le contact a été établi par Jean Poitevin, un ancien des cabinets ministériels d'avant guerre replié à Bordeaux pendant l'Occupation. Par son entremise, Maurice Papon est entré en relation avec Gustave Souillac, un petit industriel de la chaussure. Ce dernier était membre du groupe Collaboration mais c'était une couverture pour ce véritable résistant dont l'appartenance à Jade-Amicol n'est pas contestée. Il est une des pierres angulaires du réseau.
C'est d'ailleurs lui qui recueille en février 44 les aviateurs américains dont la forteresse s'était écrasée dans les Landes. Maurice Papon leur a fourni des blousons si on se réfère à la lettre adressée en mars 45 à Souillac au Commissaire de la République (1). Or une aide de cette nature lui a suffi pour être classé agent occasionnel. Mais dans le fichier du réseau, il est inscrit à Lyon et son prénom n'apparaît pas.
S-O.- Maurice Papon n'aurait-il pas bénéficié lui aussi d'un certificat de complaisance ? Les anciens de Jade-Amicol affirment dans leur grande majorité ne pas se souvenir de lui ?
P.S.- Il s'agit d'un réseau qui était très cloisonné dans lequel les groupes ne communiquaient pas entre eux. Cette organisation explique les pertes minimes subies par Jade-Amicol : 8 tués ou fusillés, 26 morts en déportation sur un nombre d'agents que l'on peut évaluer en 44 entre 1 200 et 1 400. Maurice Papon n'était donc en liaison qu'avec Poitevin et Souillac.
S-O.- Quel est le sentiment général des anciens du réseau à propos de ce procès ?
P.S.- Les avis sont partagés. Une majorité est attentiste, estimant ne pas disposer d'éléments pour se prononcer en connaissance de cause. Une minorité apporte son soutien à Papon. Parmi ces défenseurs figurent le fils de Gustave Souillac et le vétérinaire du Langonnais, Alain Perpezat. Une autre minorité à pris partie contre Maurice Papon. Notamment Suzanne Monniot dont l'époux dirigeait pendant la guerre le groupe le plus actif à Bordeaux.
Le réseau Jade-Amicol sera l'un des rares réseaux français à être affilié à l'Intelligence Service.
S-O.- La personnalité du Colonel Arnould, le chef de Jade Amicol, suscite un certain malaise. C'est un personnage dont la probité a été mise en cause à plusieurs reprises ?
P.S.- De nombreux journalistes se sont focalisés au cours de ces dernières années sur le cas Arnould, intérêt qui n'est pas sans rapport avec l'affaire Papon. Récemment Bernard Violet lui a reproché d'avoir été impliqué dans une série de scandales économico- politiques (cf : " Le dossier Papon ", Paris, Flammarion, p. 211) (2). Mais en l'état actuel de mes recherches, je ne dispose pas d'assez de renseignements pour tirer des conclusions définitives sur cette question.
L'ouvrage d'Arthur Laurent sur la banque d'Indochine, source de toutes les critiques contre Arnould est loin de faire l'unanimité dans la communauté scientifique. D'autre part les alliés ont décerné les plus hautes distinctions militaires à Arnould prouvant par la même le sérieux et la sincérité de l'engagement de cet agent. Quant à la thèse selon laquelle, le réseau Jade-Amicol se serait attribué à la Libération le travail de Lamirault, réseau Jade-Fitzroy, elle ne repose sur aucune source crédible.
S-O.- Quand est né le réseau Jade-Amicol ?
P.S.- Officiellement en 41 à l'initiative de Claude Arnould, alias Colonel Ollivier. Engagé volontaire en 14-18, décoré de la Croix de guerre, il était issu d'une famille aisée et profondément croyante du nord de la France. Dans les années trente, il avait connu d'importantes difficultés personnelles. Ayant succédé à son père à la tête de l'entreprise familiale, il avait été acculé à la faillite.
Affecté au régiment du train en 39, il a été démobilisé dans les Landes après l'armistice. Pour des raisons que l'on ignore, il a décidé de rester dans le sud ouest. Rapidement, il a manifesté l'envie de faire quelque chose contre les Allemands. Ses origines lui ont permis de prendre contact avec des catholiques bordelais. Parmi eux figurait le père Antoine Dieuzayde, un ecclésiastique qui animait des mouvements de jeunesse.
Au début, il ne s'agissait que d'un groupuscule. Il s'est tout d'abord rapproché de l'antenne toulousaine du 2e bureau, le contre espionnage militaire français de l'époque. Le commandant Robert Terres qui était l'un de ses membres a affirmé par la suite que Claude Arnould n'avait transmis que des informations à caractère religieux. Ces propos sont démentis par plusieurs témoignages de proches d'Arnould.
Le réseau se structure définitivement fin 41 avec le recrutement de Philippe Keun, un agent anglais en cavale qui s'était enrôlé dans l'armée française en 39. Il venait juste de s'évader du camp de prisonniers où il était interné. Amicol résulte de la contraction des pseudonymes d'Arnould et Keun. Jade- Amicol sera l'un des rares réseaux français a être affilié à l'Intelligence Service, les services secrets britanniques, (MI 6)...
S-O.- Comment est-il amené à prendre une ampleur nationale ?
P.S.- Il se développe d'abord en Gironde où neuf groupes vont se former de manière totalement indépendante. En 42, le PC s'installe à Paris au couvent de la Sainte- Agonie. Progressivement, il va essaimer en Charente, en Bretagne, sur la façade Atlantique, dans le Lyonnais grace aux relais catholiques et à la personnalité du père Dieuzayde qui fait en quelque sorte office de mentor spirituel.
La mauvaise réputation du réseau tient à la nature de certaines interventions de Claude Arnould au lendemain de la guerre
S-O.- Certains émettent aujourd'hui des doutes sur la qualité des renseignements transmis à Londres ?
P.S.- J'ai retrouvé des archives inédites de l'époque qui devraient mettre fin à toutes ces rumeurs infondées. Dès 42, le groupe Monniot avait confectionné une carte de Bordeaux où figurait l'ensemble des défenses allemandes. Le même travail fut effectué à Lyon et dans le Sud-Est. En 43, plus de trente opérations aériennes ont eu lieu sur le sol national et se sont traduites par des remises de documents à des aviateurs anglais.
Arrêté en 44, Philippe Keun a été déporté et pendu avec un collier de chien à Buchenwald. Claude Arnould a eu plus de chance. Blessé par balles lors d'une souricière, il est parvenu à s'enfuir. Il n'y a donc aucune raison pour que Jade- Amicol ne soit pas reconnu comme membre à part entière des forces françaises combattantes à la Libération.
S-O.- Comment expliquer alors la mauvaise réputation du réseau ?
P.S.- Elle tient à la nature de certaines interventions de Claude Arnould au lendemain de la guerre. Elles visaient à apporter la caution morale du réseau à des personnalités qui aux yeux de l'opinion s'étaient compromises avec Vichy. En examinant minutieusement chaque cas, on s'aperçoit que les prises de position des dirigeants du réseau répondaient pourtant à une certaine logique. Le réseau Jade-Amicol était un réseau de renseignements, ce qui exigeait des contacts réguliers avec des agents doubles, des collaborateurs ou encore des fonctionnaires. Cela a contribué à développé cette représentation aussi ambiguë du réseau dans l'historiographie. Cette vision qui s'étend en fait à tous les réseaux me semble exagérée.
S-O.- Lucien Rotté, l'ancien patron des renseignements généraux parisiens était-il vraiment défendable ?
P.S.- Certainement pas. Il s'agit à mon sens de la seule erreur que l'on peut véritablement reprocher au réseau Jade-Amicol. Il a été abrité au couvent de la Sainte-Agonie avant d'être planqué à Bordeaux. Lorsqu'Arnould s'est rendu compte qu'il s'était trompé sur son compte et qu'il avait sauvé un homme zélé, maniaque du renseignement qui s'était fait remarquer dans la traque des communistes, il l'a remis à la justice.
S-O.- On a aussi du mal à comprendre la protection dont a bénéficié le cardinal Suhard qui ne voilait pas son admiration pour Pétain.
P.S.- L'archevêque de Paris fut l'un des premiers à bénéficier de l'appui de Jade-Amicol. Tout comme le cardinal Feltin, il faisait partie de la fameuse liste des prélats jugés collaborateurs dont le gouvernement provisoire avait demandé au Vatican la mise à l'écart. Après la libération de Paris, le général de Gaulle lui avait d'ailleurs interdit de célébrer le Te Deum de la Victoire.
Cela ne l'a pas empêché d'assister aux cérémonies officielles organisées pour la liquidation du réseau Jade-Amicol en compagnie de nombreuses figures de la Résistance. Son secrétaire particulier savait que le réseau avait installé son PC dans les locaux du couvent de la Sainte-Agonie. Claude Arnould a estimé que le cardinal Suhard était au courant et qu'il avait su fermer les yeux.
S-O.- Jade-Amicol est aussi venu en aide à Paul Baudouin, l'éphémère ministre des affaires étrangères du Maréchal Pétain ?
P.S.- Ce polytechnicien a été nommé en juin 40 ministre des affaires étrangères par Pétain et fut à ce titre chargé de négocier l'armistice avec les vainqueurs. Fervent partisan de la Révolution nationale, favorable à la législation antisémite de Vichy, il ne réussit pas à imposer ses idées.
Critiqué par Laval, hostile à la politique de collaboration avec l'Allemagne, il démissionne le 3 janvier 41 et obtient du gouvernement sa réintégration à la présidence de la banque d'Indochine. A la fin de la guerre, le réseau Jade-Amicol le cache et essaie d'organiser sa fuite. En vain !
Arrêté, il est jugé et condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir participé à des actions visant à déstabiliser la nation. L'ambassadeur d'Angleterre en France, le garde des sceaux anglais témoigneront en sa faveur. Alors qu'il était président de la banque d'Indochine, il avait financé les activités du réseau Jade-Amicol (3).
La question de la banque d'Indochine pose un autre problème, celui du financement des réseaux. Fallait-il accepter de l'argent d'un collaborateur ? Certains comme Alexandre Parodi se prononcent contre, d'autres pensent le contraire. C'est notamment le cas du père Chaillet, fondateur des Témoignages chrétiens qui introduit d'ailleurs Arnould auprès de Baudouin.
(1) Maurice Papon n'a pas sollicité son affiliation au réseau Kléber alors qu'en 43 et 44, à plusieurs reprises, il avait hébergé à son domicile le résistant Pierre Samuel Bloch lorsqu'il venait en mission à Bordeaux.
2) NDLR : Le nom du colonel Arnould a été mêlé après guerre à un certain nombre d'affaires. On l'a accusé d'avoir trempé dans un trafic de vins entre la France et l'Espagne, d'avoir monnayé des certificats de résistance de complaisance, d'avoir été un agent secret du Vatican.
(3) La Banque d'Indochine a facilité le reclassement de plusieurs personnalités impliquées dans la collaboration. Le plus célèbre est René Bousquet, l'ancien secrétaire général de la police de Vichy. Si l'on en croit l'homme d'affaires bordelais Arthur Laurent, l'ancien maire de Bordeaux Adrien Marquet, son directeur de cabinet Raymond Cousteau et l'ancien maire du Bouscat Antoine Cayrel ont été recrutés par la succursale girondine de la banque.
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