Me Jean-Marc Varaut, 65 ans, plaidera durant trois jours l'acquittement de Maurice Papon, 88 ans, accusé de crimes contre l'humanité. Le verdict doit être rendu vendredi
Propos recueillis par Bernadette DUBOURG
"SUD-OUEST DIMANCHE". - Les cinq mois et demi d'audience qui viennent de s'écouler ont-ils modifié votre vision du dossier ?
Me Jean-Marc VARAUT. - Les cinq mois ont surtout modifié la vision que tout le monde avait à la veille du procès puisqu'il était habituellement publié que Maurice Papon avait fait déporter 1 600 juifs de Bordeaux. Les observateurs professionnels comme les participants à l'audience ont petit à petit constaté la distorsion entre les affirmations péremptoires de l'acte d'accusation et la réalité du dossier lui-même, où l'on ne trouve que quelques traces de l'intervention de Maurice Papon.
L'instruction d'audience a donc confirmé l'analyse que j'avais faite devant la chambre d'accusation et l'a même considérablement renforcée par l'effet de l'oralité.
- Quels seront, mardi, vos premiers mots aux jurés ?
- Je ne sais pas encore. Je pense que j'évoquerai la fonction inouïe qui est la leur de juger quelqu'un qui était leur contemporain ou leur cadet à l'époque des faits.
- Et vos derniers mots ?
- J'ignore aussi. Je pense qu'ils me viendront du regard des jurés eux-mêmes.
- Vous allez demander aux jurés d'acquitter Maurice Papon. Quel sera votre principal argument ?
- Mon principal argument sera de relever la contradiction entre la reconnaissance loyale du parquet général de l'ignorance de la solution finale et du plan de destruction de juifs qui fut pour tous une révélation largement postérieure d'ailleurs à l'ouverture des camps, car les camps montraient la mort, mais ne rendaient pas compte du plan délibéré, avec le fait que le procureur général maintient quand même la complicité d'assassinat.
L'assassinat, c'est le meurtre prémédité. Il faut donc connaître le sort final, c'est ce qu'exige l'article 6 du statut de Nuremberg, ainsi que la Cour de cassation. Il n'y a de crime contre l'humanité que si les actes inhumains, et, selon le droit français, les crimes de droit commun, sont inspirés par un mobile que l'on nomme plan concerté. Le procureur général, dans ses réquisitions de décembre 1995, avait d'ailleurs écarté l'assassinat en constatant que faisait défaut la connaissance de l'extermination. Un sort cruel n'est pas une mort préméditée.
- Comment organisez-vous votre plaidoirie qui doit durer trois jours ?
- Le premier jour, mardi après-midi, je vais exposer le contexte historique, juridique et procédural de cette affaire. Mercredi après-midi, je discuterai les charges en reprenant, comme le procureur général, les convois et rafles dans leur chronologie. Jeudi après-midi, je traiterai la notion de crime contre l'humanité et la connaissance que l'on avait ou non du sort final.
- Vendredi, le procureur général a requis vingt ans de réclusion criminelle contre Maurice Papon. Vous parlez d'une condamnation à mort, notamment en raison de son âge. S'il est condamné, quelle sera son attitude ?
- Il formera un pourvoi devant la Cour de cassation avec la difficulté qu'un arrêt de cour d'assises n'est pas motivé. Il fait jour quand il fait nuit et il fait nuit quand il fait jour. Le contrôle est effectivement réduit.
- Quel usage ferez-vous de la plainte que vous avez déposée contre Me Serge Klarsfeld au sujet d'une pression exercée sur la justice, lorsqu'il a révélé un lien de parenté entre le président et des victimes d'un convoi ?
- Je n'en ferai pas usage à l'audience. Mais elle pourrait être au nombre des moyens développés devant la Cour de cassation pour rendre manifeste la tentative de pression devant la cour d'assises. Mais ceci me semble plutôt relever du contrôle de la Cour européenne de justice.
- Que fera Maurice Papon après le verdict ?
- Il retrouvera sa femme, malade, à Gretz-Armainvilliers, son seul domicile.
- Quelle place gardera la procès Papon dans votre carrière d'avocat ?
- Je n'ai jamais eu une responsabilité semblable. Je ne me suis jamais trouvé confronté à un procès de six mois. Je ne plaiderai jamais aussi longtemps, entre douze et quinze heures. Ce procès, le plus long de l'histoire de France, se clôturera sur la plus longue plaidoirie de l'histoire judiciaire.
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