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Me Michel Tubiana. Sa plaidoirie a été interrompue par Maurice Papon, lequel s'est fait rappeler à l'ordre par le président. (Crédit Daniel)

"Le racisme et l'arbitraire" - 13/03/1998

Maurice Papon a vivement interrompu Me Tubiana qui lui reprochait de ne rien comprendre à son procès

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Vendredi 13 mars. Quatre vingt cinquième journée d'audience. Me Michel Tubiana est le premier des trois avocats de la Ligue des Droits de l'Homme, aux côtés du bâtonnier Bertrand Favreau et de Me Francis Jacob, à prendre la parole.
" Ce n'est pas le procès des Juifs contre les autres, mais le procès du refus du racisme et de l'arbitraire du régime. Chacun de nous, demain, peut être victime de cet arbitraire et il nous appartient de nous y opposer. On est tous le Juif, l'Arabe ou le Noir de quelqu'un d'autre " assure l'avocat en préambule, estimant aussi qu'il n'appartient pas aux parties civiles de " requérir une peine ". Ni Me Klarsfeld qui a souhaité, mardi, une peine intermédiaire, ni Me Jakubowicz qui a demandé, la veille, la perpétuité, ne sont présents pour l'entendre.
Pour Me Tubiana, la responsabilité de Maurice Papon s'apprécie au regard du " jeune haut fonctionnaire brillant et ambitieux " qu'il était à la préfecture de Bordeaux, des fonctions qu'il exerçait " en situation de responsabilité " et des " ordres donnés et signés en toute connaissance de cause, sans aucune contrainte, en toute liberté depuis qu'il avait accepté de travailler pour le régime de Vichy ".
" La seule chose qui a guidé Maurice Papon, c'est de bien faire son travail en préservant au mieux son avenir. Rien de plus mais rien de moins. Il ne comprend rien à ce procès parce qu'il ne comprend pas qu'on puisse reprocher à un fonctionnaire d'avoir fait son travail " martèle l'avocat qui s'adresse très directement à l'accusé : " Ce furent des temps où il fallait haïr et vous n'avez été qu'indifférent, il fallait rompre et vous avez été complaisant, il fallait délaisser les nuances et vous avez nuancé votre complicité "

"Calomniateur"

Maurice Papon qui, depuis lundi, fait mine de ne pas écouter les vives attaques des avocats des parties civiles, ne peut plus se taire. " Vous faites de la démagogie " lance-t-il à Me Tubiana. L'avocat poursuit : " Vous êtes complice de l'oubli et du mépris des droits de l'homme et vous avez oublié ce qu'est un Juif ". " Vous mentez " crie Maurice Papon. " Vous aurez le temps de lui répondre, laissez terminer la plaidoirie " intervient le président. " Il y a des choses qui dépassent l'audible " réplique Maurice Papon.
" Quelque chose l'a touché. Il vient peut-être d'exprimer que quelque chose a pénétré dans lui de sa responsabilité " commente l'avocat qui répète : " Vous avez oublié ce qu'était un juif ". " Vous êtes un calomniateur " explose Maurice Papon qui menace de se retirer de l'audience. " C'est moi qui ordonnerai votre retrait " coupe le président.
" Un juif est un homme comme les autres. Ce n'était pas l'idée du régime que vous avez servi sans état d'âme et sans remords, ce dont nous venons vous demander réparation " conclut Me Tubiana.
Dans le calme retrouvé, le bâtonnier Favreau détaille la défense de l'accusé " qui ressemble à celle des autres criminels contre l'humanité " : Le complot " idée permanente de l'antisémitisme ", la responsabilité que l'on rejette sur son supérieur (Maurice Sabatier) ou son inférieur (Pierre Garat) alors qu'il " a joué un rôle fonctionnel déterminant au service des questions juives ", le système du double-jeu " inventé par le maréchal Pétain et son entourage ", la non-démission " pour sauver et protéger" alors qu'il est " jugé pour ceux qu'il a déportés ", ou encore l'affirmation selon laquelle " on ne savait pas " : " Goering, lui-même, le disait ! "
" Il ne saurait y avoir une justification du pardon pour celui qui prive son semblable de sa condition d'homme au point de l'envoyer à la mort " conclut Me Favreau après avoir, la voix nouée par l'émotion, donné le nom des enfants juifs de Bordeaux " partis en fumée dans le ciel de Pologne " : " Justice a été rendue à Nuremberg en 1946, Jérusalem en 1961 (Eichmann), Lyon en 1987 (Barbie) et Versailles en 1994 (Touvier). Il n'y aura pas de fausse note à Bordeaux, mais un écho qui résonnera à l'échelle du crime, celle de l'humanité ".

"Mémoire commune"

Me Francis Jacob s'attache pour sa part à la personnalité et la carrière de Maurice Papon. Il rappelle ainsi les appréciations de Garat, Sabatier ou Boucoiran sur le secrétaire général de la préfecture de Bordeaux : " Du caractère et de la décision, fidèle et dévoué, disposition exceptionnelle pour la carrière préfectorale, spécialiste de l'administration, talentueux, rapide et fiable ".
" En 1942, si vous aviez choisi de démissionner, de quitter la préfecture de Bordeaux et prendre un autre chemin, votre goût du pouvoir aurait pu être satisfait ailleurs, vous auriez pu aussi être préfet, ministre et couvert de décorations, mais vous ne seriez pas ici, en face de moi " dit Me Jacob à Maurice Papon. L'accusé garde les bras croisés.
Me Jacob s'adresse aux jurés : " Les grands commis d'Etat qui sont passés de la Troisième République à Vichy, puis de Vichy à De Gaulle et ainsi de suite, seront-ils exemptés de justice au mépris de la démocratie? Votre décision devra être salutaire. Il le faut pour qu'elle reste inscrite au livre de la mémoire commune. Quand nous quitterons tous cette enceinte, alors seulement le châtiment du coupable permettra d'oublier l'interminable conspiration du silence ".
Me Christian Charrière-Bournazel conclut la semaine de plaidoiries. Avec une ironie mordante, l'avocat de la Licra s'en prend surtout à " l'imposture de la résistance " de Maurice Papon, dénonçant " la construction du mensonge " et " la chaîne d'exonérations " qui ont permis au " collaborateur de Vichy de se rétablir à la Libération ". Il compare Maurice Papon " à une espèce d'ectoplasme qui peut vivre dans n'importe quel milieu, à n'importe quelle température ". Maurice Papon sourit. Se référant à l'enseignement de " notre Dieu qui s'est incarné dans un Juif ", l'avovat de la LICRA retrouve un sérieux biblique pour demander aux jurés de prononcer un jugement qui soit " l'honneur pour nous de ne pas désespérer ".
Lundi, Me Alain Levy et Me Michel Zaoui prononceront les deux dernières des 22 plaidoiries des parties civiles. L'audience reprend à 9 h 30.


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