Après l'émotion suscitée vendredi par la remise en liberté de Maurice Papon, toutes les parties civiles sont revenues à l'audience lundi. Les deux greffières ont commencé la longue lecture de l'arrêt de renvoi qui se poursuit ce mardi
Bernadette DUBOURG
Lundi 13 octobre. Quatrième jour d'audience. A la demande des parties civiles qui organisent un rassemblement devant le palais de justice de Bordeaux ainsi que pour permettre à l'Institut des droits de l'homme du Barreau de Bordeaux de déposer une gerbe devant le buste de Ludovic Trarieux, ancien bâtonnier de Bordeaux et fondateur de la ligue des droits de l'homme, la cour a accepté de retarder la reprise de l'audience d'un quart d'heure.
Vers 13 h 30, pourtant, la salle d'assises se remplit peu à peu. Arno Klarsfeld qui a claqué vendredi la porte de la salle d'audience sous les micros et les caméras, revient au banc des parties civiles, comme si rien ne s'était passé. Son retour qu'il justifie hors procès par la décision du parquet général de former un pourvoi en cassation, est diversement commenté et apprécié.
Personne ne se rend compte que Maurice Papon entre tranquillement dans le box des accusés. Contrairement à la semaine dernière, il n'est entouré d'aucun policier et n'a pas attendu que le président de la cour ordonne aux services d'ordre de faire entrer l'accusé.
C'est à ce détail inhabituel en cour d'assises qu'on mesure la situation particulière de Maurice Papon. En attendant l'ouverture de l'audience, il devise tranquillement avec ses avocats et lit le journal. L'ambiance s'apparente plus à celle d'un colloque que d'un procès d'assises où l'accusé encourt pourtant la réclusion criminelle à perpétuité pour les faits les plus graves qui soient, les crimes contre l'humanité.
Il est 14 heures. L'huissier annonce la cour. Immédiatement, Me Gérard Boulanger, avocat de 26 parties civiles (il s'est constitué hier pour une 27ème personne), demande la parole.
Il veut expliquer à la cour l'incompréhension et l'émotion qui ont accueilli vendredi après-midi la décision de remettre Maurice Papon en liberté : " La différence entre la gravité des faits et l'apparente mansuétude dont a bénéficié Maurice Papon a provoqué un émoi chez les parties civiles et bouleversé le pays qui a semblé posé une autre exigence. "
Il tient aussi à dissiper tout malentendu entre les parties civiles qui ont ressenti cette décision " comme une nouvelle humiliation " et leurs avocats dont " le rôle n'est pas d'épouser la détresse des clients ". A la légitime émotion des uns, il répond par le " devoir de raison " des autres. On devine, entre les mots, quelques dissensions parmi les parties civiles.
S'il ne peut éviter un trait d'humour sur les pérégrinations hôtelières de Maurice Papon tout au long du week end et sa soudaine bonne santé : " Le Margaux est bon pour les coronaires ", Me Boulanger tient surtout à affirmer que " sans un procès exemplaire, il ne pourrait y avoir de jugement exemplaire ".
Me Zaoui, avocat de plusieurs associations de déportés, confirme que " cette décision a provoqué une sorte de charivari douloureux " et avoue lui aussi que " quelque soit le trouble et la blessure ressentis, cela ne doit pas nous empêcher de manifester notre attachement à un état de droit ". Il rappelle qu'en plaidant la détention de Maurice Papon, la semaine dernière, " il ne s'agissait ni d'un désir de vengeance ni d'un ressentiment, mais d'un acte symbolique " et assure également : " Malgré cela, nous voulons surmonter ces épreuves, le procès doit avoir lieu ".
Me Lévy (FNDIRP) est beaucoup plus virulent : " A cette douleur s'ajoute la colère et l'indignation. Tout le monde sait que Me Varaut a joué une immense comédie sur la santé de Maurice Papon. Malgré tout cela, ce procès ne perd pas tout son sens, il doit avoir lieu plus que jamais pour que soient démontrés les faits reprochés à Maurice Papon ".
C'est Me Jakubowicz, avocat du consistoire central, qui rappelle que vendredi soir commençait le Grand Pardon (Yom Kippour), fête juive où " chaque Juif comparait devant le tribunal céleste " : " Cet instant est venu à la rescousse de la justice temporelle et a permis d'apaiser le vif et profond sentiment d'incompréhension ".
Comme pour faire taire des rumeurs persistantes dans la salle des pas perdus, il affirme qu'il n'y a aucune division des parties civiles " sur le sens profond de ce procès, il n'y a que des divergences inéluctables sur la détention ".
Me Varaut, moins prolixe que la semaine dernière, répond alors aux observations des parties civiles. Il rappelle qu'un arrêt ne peut être commenté, assure que " le pays veut la vérité sur ce passé si proche et si lointain ", s'indigne qu'on l'ait accusé d'avoir " joué un immense comédie " : " En quarante ans de barre, je n'ai jamais menti ", évoque la situation de Maurice Papon dont personne n'avait prévu la remise en liberté et raconte comment dès vendredi, le service de sécurité a cherché un hôtel, trouvant finalement un établissement à Pessac non loin de l'hôpital Haut Lévêque où Maurice Papon a passé une nuit jeudi dernier.
Me Varaut admet tout de même qu'" Aujourd'hui, on a changé de programme, on est dans les prémices d'un procès équitable. Maintenant, nous sommes librement à la disposition de la justice ".
De fait, le procès commence. La cour reçoit d'abord dans un certain désordre la constitution de partie civile de six nouvelles associations et de la famille Junger puis finit d'appeler les témoins. Me Varaut interrompt le président pour lui demander de veiller à l'accoustique car Maurice Papon qui est appareillé a du mal à tout entendre.
Il est 16 heures. Le président, avec deux heures de retard sur le programme initialement prévu, donne la parole aux deux greffières, Josette Sanchez et Chantal Pinel-Peria, pour la longue lecture des 169 pages de l'arrêt de renvoi.
Les rangs des avocats s'éclaircissent. La salle d'audience se vide à moitié. Maurice Papon range ses lunettes et ferme son sous-main où il a scrupuleusement pointé les témoins qui se succéderont à la barre. Puis, il se ravise, remet ses lunettes et suit attentivement la lecture de l'arrêt de renvoi. Il prend même des notes. Les jurés sont tout aussi attentifs. Pour eux aussi, le procès commence.
A 18 heures, le président suspend l'audience. Il reste 112 pages à lire avant de commencer à interroger Maurice Papon sur sa vie et sa carrière. Les premiers témoins qui étaient convoqués aujourd'hui viendront ce mardi.
Le procès reprend à 13H30
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