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Le médecin de pauvres de Bacalan, déporté et mort à Dachau (Crédit D.R)

"Le médecin des pauvres" - 23/01/1998

Le Dr Sabatino Schinazi, père de neuf enfants, est parti avec le convoi du 25 novembre 1943

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Vendredi 23 janvier. Cinquante quatrième journée d'audience. Avant de débuter l'examen du convoi de novembre 1943, le cinquième reproché à Maurice Papon, le président Jean-Louis Castagnède évoque l'imputation des dépenses de la déportation des juifs. Fin 1942 et début 1943, plusieurs factures relatives au ravitaillement des convois ou au transport des déportés, notamment du camp de Mérignac à la gare Saint Jean, sont adressées à la préfecture de Bordeaux.
Le 24 novembre 1942, Maurice Papon interroge le commissariat général aux questions juives pour savoir qui doit payer les 12.717,15 F facturés pour les deux convois de juillet et août. Trois jours plus tard, Darquier de Pellepoix répond qu'à titre exceptionnel, ces dépenses doivent être prises en charge par l'UGIF. Dans le courant du moins de décembre, c'est effectivement l'Union générale des Israélites de France qui acquitte ces diverses factures.
" Il n'y avait aucun budget répondant à ces catégories de déportés " confirme Maurice Papon.

Intendant de police

Le président reprend alors le fil des convois et fait un bond dans le temps de treize mois, en passant directement du convoi d'octobre 1942 dont l'examen a été achevé la veille avec la déposition de Michel Slitinsky, au convoi du 25 novembre 1943.
Il passe ainsi sous silence les deux convois, partis de Bordeaux le 2 février 1943 avec 170 Juifs et le 7 juin 1943 avec 36 Juifs. Ils ne sont pas reprochés à Maurice Papon pour la seule raison qu'aucune partie civile n'a déposé plainte pour une des victimes de ces deux convois. Le président ne rappelle même pas les bouleversements qui ont pu affecter la préfecture pendant ces treize mois.
En abordant le convoi de novembre 1943, on découvre ainsi que Pierre Garat a quitté depuis le mois d'août le service des questions juives et qu'il a été remplacé par Jacques Dubarry.
Comme pour chaque convoi, le président s'appuie sur les documents qui figurent au dossier. Le 23 novembre 1943, la Sipo de Bordeaux adresse directement un courrier à l'Intendant régional de police pour l'informer de la formation d'un convoi de 92 juifs qui doit partir le surlendemain pour Drancy. Le 24 novembre, le commissaire divisionnaire Fredou donne l'ordre au commissaire central de Bordeaux, M. Bonhomme, de mettre 30 policiers à disposition pour escorter le convoi, placé sous la responsabilité de l'officier de paix Ducamin. Au terme des 18 heures de trajet, ce dernier rédige un long rapport de quatre pages où il mentionne notamment trois tentatives de suicide au départ du camp de Mérignac et cinq évasions avant l'arrivée à Drancy. Rapport que l'intendant de police adresse à son tour, le 7 décembre, au KDS de Bordeaux.
A aucun moment de la mise en route de ce convoi, n'apparaît le nom de Maurice Papon. " C'est M. Dubarry qui a appris fortuitement l'après-midi qu'un convoi était parti le matin à 10 heures. Il en a immédiatement rendu compte au préfet régional " explique l'ancien secrétaire général de la préfecture. Sur la note de Dubarry, le préfet Maurice Sabatier a simplement écrit à la main : " M. Papon, prière m'en parler d'urgence ". Ce dernier mot est souligné deux fois.
" Il a piqué une colère fantastique contre l'intendant de police " se souvient Maurice Papon qui n'a rien d'autre à dire sur ce convoi pour lequel il ne manquera pas de rappeler que le parquet général, dans son réquisitoire définitif, avait abandonné l'accusation.

Mort à Dachau

Parmi les 86 déportés de ce convoi, figurait Sabatino Schinazi, 50 ans, surnommé " le médecin des pauvres " parce qu'il soignait souvent gratuitement ses patients du quartier de Bacalan.
Il avait été arrêté en juin 1942 et était détenu depuis le 10 juillet 1942 au camp de Mérignac où il était resté " pour examen ". Sa femme était catholique. Le 18 avril 1943, Mme Schinazi et ses 9 enfants obtiennent d'ailleurs, au terme de nombreuses démarches, leur radiation du fichier juif.
Le président s'étonne que Sabatino Schinazi ainsi qu'un de ses fils, Daniel, qui s'évadera du convoi de décembre 1943, n'aient pas été libérés du camp de Mérignac. Il n'y a aucune trace d'une quelconque intervention de la préfecture. Maurice Papon ne répond pas. Le président s'étonne également que dans sa note au préfet régional, Jacques Dubarry ne mentionne même pas le nom de ce médecin alors qu'il cite d'autres déportés qui auraient aussi du être exemptés. Maurice Papon ne répond toujours pas.
Mme Schinazi a poursuivi les démarches pour obtenir la libération de son mari. Le 8 décembre 1943, le chef de cabinet du préfet régional lui écrit que cette décision dépend des autorités allemandes à Paris. Il est de toute manière trop tard. Sabatino Schinazi a été déporté la veille, 7 décembre, à Auschwitz. Il mourra le 23 février 1945 à Dachau. L'un de ses fils, Sam Schinazi, est partie civile au procès et témoignera la semaine prochaine.
L'audience reprend lundi à 13h30.


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