René Jacob: témoin direct des rafles. Libéré à Mérignac, il a vu toute sa famille partir pour les camps. Seul son père en est revenu après avoir connu onze camps différents. (Crédit Michel Lacroix)
Quatre parties civiles ont fermement accusé Maurice Papon, d'être responsable de l'arrestation et la déportation de leurs familles en janvier 1944
Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG
Mardi 10 février. Soixante cinquième journée d'audience. La cour termine l'examen de la rafle du 10 janvier 1944 et du convoi du 12 janvier 1944. Comme à son habitude, Me Jean-Marc Varaut énumère une série d'affirmations auxquelles Maurice Papon répond par des « assurèment, « certainement », « exactement », « absolument », « bien sûr », « de toute évidence », « bien évidemment », « tout à fait », et autre « je le confirme ».
Au fil de ce « dialogue » avec son défenseur, Maurice Papon assure que l'action de la préfecture, en janvier 1944, se limite à « une logique humanitaire » pour apporter aide et assistance aux détenus de la Synagogue, « le logement, si je puis dire, la nourriture et nombre de choses », avec l'appui des associations « qui sont là pour faire le bien spontanèment », par opposition à « la logique opérationnelle de la police qui réalise les arrestations, les internements et le convoi jusqu'à Drancy ».
Un murmure de désapprobation s'élève dans la salle d'audience.
La cour entend ensuite quatre parties civiles dont des membres de la famille étaient parmi les 317 déportés du convoi du 12 janvier 1944.
Alain Mouyal et sa soeur Marie Mouyal-Etcheberry, 41 ans, évoquent la mémoire de leur grand-père, Maklouf Mouyal, 48 ans, brocanteur à Mériadeck, et de sa seconde femme, déportée en décembre 1943. Ils parlent de « ce grand père très croyant qui remplaçait le grand rabbin Cohen lorsqu'il était malade » et qui, après le décès de sa première femme, s'est retrouvé seul avec ses quatre garçons de 9, 7, 6 et 2 ans.
Le 10 janvier 1944, lorsque les policiers français l'ont arrêté, les quatre garçons étaient au cinéma. « Un voisin les a prévenus de ne pas rentrer chez eux ». Charles, Albert, Jacques (leur père) et Guy se sont cachés. « Je suis fière d'eux, je les remercie pour le courage et l'énergie qu'ils m'ont donnée » dit Marie, en contenant son émotion. Il y a quelques années, elle a fait le voyage à Auschwitz où son grand père a été gazé le jour même de son arrivée, le 23 janvier 1944, comme 1104 des 1153 déportés du convoi : « Auschwitz, on s'en imprègne, on y médite, c'est le vide, la parole ne peut traduire ce que l'on ressent. Je suis revenue meurtrie. Aujourd'hui, je suis apaisée ».
Puis Marie se tourne vers Maurice Papon : « Vous m'avez privé de mes grands parents. Sur cet impossible deuil, j'ai renforcé mes racines et mon identité. Vous êtes en fin de vie, une très longue vie, et vous attendez le jugement des hommes. Demain, vous aurez le jugement de Dieu pour les enfants que vous avez fait gazer. » Maurice Papon ne répond pas.
Solange Torres, 82 ans, est partie civile en mémoire de l'oncle de son mari, Louis Torres, 45 ans, brocanteur à Mérignac, sa femme Estreja, 40 ans, et leurs dix enfants dont un bebé né quelques jours avant la rafle, exterminés à Auschwitz le 25 janvier 1944. « Il (Louis Torres) avait été averti par un employé de la mairie mais il disait qu'il était Français et qu'on ne ferait rien aux Français » se souvient Solange Torres, émue à ne plus pouvoir parler : « Des souvenirs remontent en moi... ». Devant le juge d'instruction, elle avait également rapporté les propos de son dernier compagnon, résistant à Bordeaux : « Maurice Papon a cherché à l'arrêter ». « Non seulement c'est absurde, mais c'est insoutenable » réplique l'accusé.
René Jacob, 72 ans, retraité à Sarrebourg, est déjà venu témoigner le 8 janvier dernier pour son père, déporté dans le convoi du 26 août 1942. Aujourd'hui, il évoque la mémoire de sa mère, Erika, son oncle Max, et deux tantes, Selma et Sarah, arrêtés le 11 janvier 1944 à Illats et Cérons, déportés le lendemain à Drancy et le 3 février 1944 à Auschwitz.
A peine arrivé à la barre, René Jacob s'adresse au président : « Malgré le choc de la troisième journée (le remise en liberté de Maurice Papon) et les turbulences d'il y a 15 jours (les déclarations d'Arno Klarsfeld), je maintiens ma confiance au tribunal ». Le président l'interrompt immédiatement : « Pardon Monsieur, je n'ai pas vu de turbulences dans cette salle ». C'est la première fois que les « révélations » sur un lien de parenté entre le président et des victimes sont évoquées dans l'enceinte de la cour d'assises.
René Jacob revient à la journée du 11 janvier 1944. Vendredi dernier, son ami René Tauzin a raconté comment il avait pédalé jusque dans les bois de la commune voisine pour le prévenir, l'avait caché plusieurs jours puis lui avait procuré de faux papiers pour lui permettre de gagner Toulouse et la Haute Vienne où il a rejoint le maquis.
L'émotion submerge René Jacob au souvenir du télégramme reçu fin 1945 : « Je suis de retour de déportation. Ton père ». « Mon père avait fait onze camps. Il était dans un état... On aurait dit des bouts de bois avec du plastique dessus ». A son tour, il se tourne vers Maurice Papon : « Quand j'étais au camp de Mérignac (en 1942), on nous a dits : Pauvres de vous, avec le nouveau secrétaire général, vous n'allez pas être de la fête ». Ca n'a pas loupé. Vous n'avez pas seulement esquinté ma jeunesse, mais ma vie. Depuis 1945, je prends 16 à 17 gélules par jour pour tenir le coup. Pour moi, la culpabilité de Maurice Papon ne fait aucun doute ». Les deux hommes se font face. Maurice Papon reste taisant.
Il attend la fin d'audience pour « attirer l'attention de la cour sur les défaillances chroniques de l'arrêt de renvoi » : « On cherche uniquement à construire un coupable, peut-être pour raison d'Etat. Si c'est le cas, il reste à réveiller les manes de Voltaire et Zola ! ».
Aujourd'hui, la cour débute l'examen du dernier convoi du 13 mai 1944.
L'audience reprend à 13 h 30.
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