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Sur les marches du palais de justice les familles Matisson, Alisvaks et Fogiel, auteurs des premières plaintes. Ils ont commencé de témoigner (Crédit Philippe Taris)

"Le deuil de nos parents" - 17/12/1997

Eliane Dommange et Jacky Alisvaks dont les parents ont été arrêtés le 16 juillet 1942 à Bordeaux et déportés trois jours plus tard à Auschwitz, ont refusé d'accorder le moindre pardon à Maurice Papon

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mercredi 17 décembre. Trente cinquième journée d'audience. Pour la cinquième journée consécutive, Maurice Papon est interrogé sur la première rafle et le premier convoi des 16 et 18 juillet 1942. A la surprise générale, cependant, les avocats sont plutôt concis. « Les parties civiles ne souhaitent pas poser de questions car elles considèrent que l'interrogatoire du président (jeudi et vendredi) et du ministère public (lundi et mardi) sont suffisants » indique d'ailleurs Me Gérard Boulanger.
Me Arno Klarsfeld interpelle cependant Maurice Papon sur la déportation de Jeanne Grunberg, 41 ans, et sa fille ainée Jacqueline, 20 ans, arrêtées au début du mois de juin 1942 par les Allemands à Hagetmau (Landes) alors qu'elles tentaient de franchir la ligne de démarcation. « Je connais bien l'affaire » assure Maurice Papon, « Nous avons littéralement arraché la petite Nicole, 3 ans, des bras de sa mère pour la mettre à l'abri. On peut me faire un procès pour l'avoir sauvegardée »
« La mère ne voulait pas s'en séparer. Comment osez-vous? C'est une honte » s'écrie Me Arno Klarsfeld qui lit cinq lettres bouleversantes de Jeanne Grunberg à sa « chère petite maman ». Elle parle de « line » qui « est remarquable » et de la petite Nicole : « J'aimerais bien la savoir avec vous... Je serai heureuse quand elle sera avec nous... ».
Jeanne et Jacqueline Grunberg ont été transférées à Drancy le 18 juillet 1942 et déportées le lendemain à Auschwitz. La petite Nicole a été placée dans un couvent. Aujourd'hui, elle est dans la salle d'audience et écoute, émue, les derniers mots de sa mère. Cet après-midi ou demain, elle témoignera devant la cour et les jurés.

"Tout ira bien"

A son tour, Me Varaut prend rapidement la parole. Il énumére une cinquantaine d'affirmations auxquelles Maurice Papon, invariablement, répond par « oui, effectivement, évidemment, absolument ou bien sûr ». Me Varaut conclut : « Vous confirmez que vous n'avez personnellement ordonné aucune arrestation, aucune séquestration, aucun transfert ». « Je le confirme et s'il est nécessaire, je le jure » répond Maurice Papon qui reconnait seulement avoir « signé l'ordre de transfert de Léon Librach de Mérignac à Drancy, sur ordre du préfet, dans l'ignorance de sa nationalité et à un moment où on ne savait pas encore ce qu'était Drancy ».
Après la suspension d'audience, l'émotion qui a accompagné l'évocation du drame de la famille Grunberg, revient avec les premiers témoignages des parties civiles.
Hersz Librach, qui a évoqué la semaine dernière la mémoire de son cousin Léon, revient parler de son frère ainé Benjamin, 20 ans, arrêté dans la soirée du 15 juillet 1942 dans la ferme de Pompignac où il travaillait depuis le mois de janvier. « Ici, je suis en sécurité, tant que la guerre durera. Je travaille bien et je mange bien, je ne cours aucun danger, vous verrez que dans trois mois, je serai parmi vous et que tout ira bien... » écrit-il à ses parents en avril 1942. « Chère maman, c'est la dernière fois que je peux t'écrire, car on parle de déportation, on ne sait pas où on va, si on est vraiment déporté, il n'y a que le voyage qui sera dur. Si on arrive à destination, on sera beaucoup moins malheureux qu'à Drancy. Je te dis qu'on se reverra bientôt... » écrit-t-il encore le 18 juillet 1942. Il a été déporté le lendemain à Auschwitz.

Douleur et émotion

Eliane Dommange, 63 ans, s'accroche à la barre pour dissimuler ses tremblements. « Avant de faire ma déposition, je vous demanderai de rendre hommage et honneur à tous les déportés qui sont morts dans les camps » dit-elle entre deux sanglots. Huit membres de sa famille ont été déportés.
Elle fixe un instant Maurice Papon et se reprend : « Je suis la fille d'Antoinette Alisvaks, 30 ans, arrêtée et déportée. Je suis la fille d'Henri Alisvaks, arrêté et déporté à 33 ans. Aujourd'hui, si on les avait laissés vivre, ils auraient l'âge de Maurice Papon ». Le soir du 15 juillet 1942 à Bordeaux, la famille était à table lorsque les policiers français ont frappé à leur porte et arrêté les parents et leurs trois enfants. Claude, 10 ans, Eliane, 8 ans et Jackie, 4 ans, ont été libérés du Fort du Hâ par un gendarme, ami de leur père, et recueillis par leur grand-mère. Leurs parents ont été déportés.
La voix nouée par l'émotion, Eliane Dommange poursuit son douloureux témoignage : « Je voudrais dire à M. Papon que ce n'est pas seulement la vie de mes parents qu'il a pris, c'est aussi une partie de la mienne... Je fais toujours le même cauchemar, une petite fille de 8 ans court après sa mère et la voit avec l'image de ces femmes qui sont revenues des camps ».
« Je ne peux pas pardonner parce que le crime est trop grand » ajoute cette dame qui souhaite lire la dernière lettre de sa mère, écrite de Drancy, alors que les photos de ses parents apparaissent sur les trois écrans de la salle d'audience : « ... Ce soir à 6 heures, nous sommes arrivés et demain matin nous repartons... Nous aurons beaucoup de courage. Soignez bien mes enfants chéris, qu'ils ne souffrent pas de l'absence de leurs parents... ». Eliane ne retient pas ses larmes.
Son frère, Jackye Alisvaks, 60 ans, s'avance à son tour à la barre : « Je porte encore le nom de mon père et de ma mère... C'est très dur quand on est un petit garçon d'être arraché à ses parents et de se reconstruire une vie... j'attends de ce procès de mettre deux noms sur une sépulture, de pouvoir porter le deuil de mon père et de ma mère dans mon coeur. Je ne peux pas regarder M. Papon, je ne peux pas pardonner. Oublier, n'existe pas non plus dans mon vocabulaire ».
« C'est la douleur qui domine et je l'éprouve. Mais j'ai une douleur personnelle de reconnaitre une fois de plus l'illustration du bouc émissaire qui est sur ce banc » ajoute Maurice Papon. « Je refuse ces propos qui sont complètement déplacés par rapport à notre souffrance » réplique Jackie Alisvaks.
Les témoignages des parties civiles se poursuivent aujourd'hui. L'audience reprend à 13 h 30.


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