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Henri Desclaux, procureur général (Crédit C.Petit)

"La responsabilité de chacun" - 19/03/1998

En tenant compte de "la responsabilité de chacun", le procureur général a requis 20 ans de réclusion criminelle contre Maurice Papon pour sa complicité dans le crime contre l'humanité

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 19 mars. Quatre vingt huitième journée d'audience. Le procureur général Henri Desclaux poursuit le réquisitoire débuté la veille par l'avocat général Marc Robert. " Il me reste à vous dire la conviction du Ministère Public quant à l'infraction matérielle. Je le ferai en juriste responsable, les yeux fixés sur les preuves " assure le procureur général. Il donne une première indication : " Tout acte de Maurice Papon, même mineur, tendant aux arrestations, séquestrations et déportations, signera en droit comme en fait sa complicité "
Durant près de 6 h 30 d'un réquisitoire précis et méticuleux, le procureur général ne fait aucune concession à l'accusé.
Henri Desclaux définit d'abord les " instruments de la complicité " de Maurice Papon : Son autorité " incontestable et incontestée " sur le service des questions juives " né de Vichy pour mettre en oeuvre la politique antisémite de Vichy et collaborer avec les Allemands "; La gestion du fichier " le seul à jour et opérationnel "; Ses pouvoirs sur la police et la gendarmerie qui " exécutent au pied de la lettre les ordres individuels et collectifs "; Sur le camp de Mérignac " où Maurice Papon détient le véritable pouvoir d'interner comme de libérer les Juifs "; Ou encore ses relations avec les autorités de Vichy : " Il est au centre du réseau d'information de la préfecture ".
Puis, le procureur général détermine les éléments matériels de la complicité d'arrestation et de séquestration " par instruction, aide, assistance ou fourniture de moyens " : La fourniture des listes, mais aussi la mobilisation de policiers ou de gendarmes et les réquisitions de moyens de transport pour les rafles, les transferts des Juifs du Fort du Hâ au camp de Mérignac, du camp de Mérignac ou de la Synagogue à la gare Saint-Jean, jusqu'à l'escorte des convois vers Drancy.

"C'en est trop"

" Pour la quasi-totalité des victimes, la séquestration est suivie de mort. Cette circonstance aggravante est reprochée à Maurice Papon " rappelle le procureur général qui renvoie à la fin de son réquisitoire l'examen de la complicité d'assassinat. Il précise cependant : " Que la mort soit la conséquence de la séquestration ou le fait des nazis, en s'en rendant complice, Maurice Papon a pris le risque des conséquences de ses actes ".
Après avoir posé ces postulats de base, le procureur général examine longuement et précisément l'ensemble des faits retenus par l'arrêt de renvoi et concernant 74 victimes. A commencer par le transfert de Léon Librach du Fort du Hâ au camp de Mérignac avant sa déportation à Drancy, le 8 juillet 1942 : " Le seul donneur d'ordre est Maurice Papon ".
Suivent les quatre rafles et huit convois visés par les plaintes des parties civiles, alors même que dans son réquisitoire définitif de décembre 1995, le parquet général n'avait retenu que quatre convois.
-La rafle du 16 juillet et le convoi du 18 juillet 1942 (171 victimes) : " Qu'a fait personnellement Maurice Papon pour aider les juifs durant cette première quinzaine de juillet ? Est-il intervenu auprès de Luther, est-il allé à Mérignac pour négocier pied à pied avec Doberschutz, s'est-il rendu sur le quai de la gare pour manifester sa compassion et aider les juifs par sa présence ? Non. Il est resté dans son grand bureau. Un accusé a le droit de mentir mais vous avez le droit de tenir compte de ces mensonges " adresse le procureur général aux jurés.
" C'en est trop " rugit Maurice Papon qui se lève vivement, ouvre la porte de son box et quitte l'audience. " C'est inadmissible " lâche simplement le président qui suspend l'audience. Quelques instants plus tard, Maurice Papon revient dans le box : " M. le président, je vous demande ainsi qu'à la cour et mesdames et messieurs les jurés de bien vouloir accepter mes excuses du geste que je viens de commettre et dont ils comprennent les raisons ". " Si vous deviez réitérer cette attitude, prévient le président, j'en tirerai les conséquences d'un refus de comparaître ". Maurice Papon se tait tout le reste de l'audience.
Le procureur général conclut sur le convoi de juillet 1942 : " Un système, une organisation sont mis en place à la préfecture de Bordeaux, les rôles sont répartis, les responsabilités définies ".

Huit convois

En début d'après-midi, le procureur général aborde les autres faits.
-Le convoi du 26 août 1942 (444 personnes dont 81 enfants de moins de 16 ans) : " Certainement le plus dramatique parce qu'il amène vers la mort les êtres qui nous sont les plus chers. Il est clair que le service des juifs a transmis l'ordre de rapatriement des enfants ".
-Le convoi du 21 septembre 1942 (71 personnes) : " Maurice Papon était absent mais il était en mission à Paris et a transmis les ordres à la préfecture ".
-La rafle du 19 octobre et le convoi du 26 octobre 1942 (128 personnes) : " Les injonctions allemandes ont été exécutées par l'administration et la police française, obéissant aux ordres de Garat placé sous l'autorité de Maurice Papon ".
-Le convoi du 25 novembre 1943 (86 personnes) : " Malgré sa double autorité, Maurice Papon n'a rien fait pour libérer le Dr Schinazi qui est resté 15 mois au camp de Mérignac avant d'être déporté alors qu'il n'avait commis aucune infraction aux lois allemandes ".
-La rafle du 20 décembre et le convoi du 30 décembre 1943 (134 personnes) : " La préfecture de Bordeaux ment à Vichy, elle ne lui demande rien, la participation policière est clandestine ".
-La rafle du 10 janvier et le convoi du 12 janvier 1944 (317 personnes) : " Jusqu'au bout, à Bordeaux, on continue à collaborer aux rafles et aux déportations. Le zèle, toujours le zèle des décideurs. Les cinq responsables de la préfecture signent un document pour partager leurs responsabilités, ils signent leurs aveux et leur complicité, notamment celle de Maurice Papon ".
-Le Convoi du 13 mai 1944 (58 personnes) : " Il y a peu d'écrits car on n'a plus le temps d'écrire, même pas de faire semblant ".
" Si les attributions de Maurice Papon étaient devenues lettres mortes, il n'aurait pas eu besoin d'aborder la libération, les mains propres. Mais il savait qu'il avait les mains sales de la déportation " conclut le procureur général.

Seul aujourd'hui

En fin d'après-midi, il aborde le point le plus attendu de son réquisitoire : la complicité d'assassinat que le parquet général n'avait pas non plus retenu dans son réquisitoire définitif en décembre 1995.
" Vous ne devez pas juger avec vos connaissance d'aujourd'hui, comme les témoins d'époque et les historiens vous l'ont rappelé, il y aurait un risque d'anachronisme et d'injustice " convient le procureur général. " En 42, 43 et 44, que savait-on ? " interroge-t-il. " Les exécutants jugés à Nuremberg savaient, les responsables de la Gestapo et des SS jugés à Paris savaient, mais que savaient les complices ? ".
" Le mode d'extermination était le secret le mieux gardé de la Guerre. Si on pouvait pressentir qu'un sort cruel attendait les populations civiles, nous n'avons pas de certitude historique sur la connaissance de la solution finale. Si le haut fonctionnaire Maurice Papon était mieux informé que l'homme de la rue ou les résistants, je ne vous demande pas de le condamner sur des présomptions générales de complicité du génocide car je ne peux pas en apporter la preuve " admet le procureur général qui exclut cette complicité.
En revanche, Henri Desclaux affirme que " Maurice Papon ne pouvait ignorer le caractère sans précédent de ces déportations. Il a devant les yeux les preuves matérielles des risques de mort, ces bébés et ces enfants, ces vieillards et ces invalides entassés dans des wagons à bestiaux. Il savait que ce serait le martyre, qu'ils n'avaient aucune chance de revenir. Nous sommes là dans l'insupportable, l'inhumanité. Il savait que la mort ne serait pas le fruit du hasard, qu'elle était organisée. Il signe sa complicité même s'il n'a eu aucune certitude que ces gens allaient mourir, quand et comment ". Le procureur général conclut à la complicité d'assassinat.
Il refuse cependant de requérir une peine " pour l'exemple " : " Oui, il faut être impitoyable mais dans l'équité, dans le respect de la personnalisation des peines. Si Maurice Papon était un rouage indispensable de ce crime, il n'en est ni l'instigateur, ni le seul complice. En raison du destin (la mort) des autres responsables comme René Bousquet (chef de la police) ou Jean Leguay (son délégué en zone sud), il est seul aujourd'hui à répondre de ses crimes. C'est aussi en mesurant la responsabilité de chacun et en refusant d'en faire un bouc émissaire que nous demandons, dans un souci de justice, qui n'est ni vengeance ni haine, 20 ans de réclusion criminelle, la privation de ses droits civiques, civils et de famille ".
" La paix pourra revenir dans les coeurs de ceux qui souffrent " conclut le procureur général dans un silence absolu. Le procès reprend lundi à 10 heures avec la première des trois plaidoiries de la défense.


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